Jean-Jacques Fuan, consul honoraire de la République de Corée

Fin 2014, l’arrivée sur le marché branché français du SUV urbain électrique Soul EV de Kia est quasiment passée inaperçue. L’absence de communication sur un modèle est un comportement assez inhabituel chez un constructeur. Il a fallu que les premiers utilisateurs très satisfaits en parlent pour que les ventes se développent. J’ai toujours cherché une explication à cet épisode et aux solides progrès réalisés en une dizaine d’années. Jean-Jacques Fuan apporte son éclairage historique et culturel.

Discrètes mais efficientes

En 2014, nous avions déjà deux voitures électriques dans le foyer : Un ancien Renault Kangoo Elect’Road de 2003 et une Citroën C-Zéro entrée chez nous en 2012. Je ne m’intéressais absolument pas aux marques Kia et Hyundai, fondues dans le même groupe. Début 2016, j’ai tout de même essayé le Kia Soul EV pour rédiger un article sur ce modèle. J’étais alors dans l’idée d’acquérir à moyen terme une Nissan Leaf dont j’avais déjà apprécié le confort à diverses occasions.

En octobre de cette même année, la concession Kia de Perpignan m’a prêté un Soul EV pour participer au Catalan electric Tour. Ce fut une véritable révélation. En grimpant, à une heure très tardive, vers le col d’Envalira que je ne connaissais pas, j’aurais pu me sentir perdu et très soucieux. Il y avait un épais brouillard et de la neige verglacée sur les côtés de la route. Le système de navigation et l’ambiance lumineuse à bord étaient rassurants.

Je me suis alors davantage intéressé à cette voiture. C’est comme ça que j’ai découvert que l’essentiel de la communication, ce sont les premiers adoptants de ce véhicule qui la produisait et la diffusait, par satisfaction. Deux ans et demi plus tard, j’en achetais un exemplaire.

Besoin de plus d’autonomie, fin de LOA : j’en suis à ma troisième voiture de la marque sur déjà sept électriques. Avec toujours cette joie d’obtenir des consos serrées, du genre 12,5 kWh/100 km sur départementales à vitesse normale l’été et entre 13,5 et 14,5 sur les voies rapides et autoroutes. Des modèles d’efficience, dont la Hyundai Ioniq est certainement la meilleure ambassadrice.

Une mise à niveau surprenante

« Quoi que Tesla fasse, nous pouvons faire mieux ! », avait déclaré Herbert Diess, président de Volkswagen, en mai 2017. Il était même question qu’avec la famille ID, et l’ID.3 en particulier, le système de gestion des voitures électriques de la marque allemande arrive au niveau des rivales américaines. Développements bâclés, annonces hasardeuses, etc. : Nikkei Business a mis en évidence qu’il existait encore en 2020 un fossé de plusieurs années.

Pendant ce temps-là, Kia et Hyundai n’ont jamais cherché à rivaliser ouvertement avec Tesla. Les résultats des ventes ont affiché une belle progression et même une exceptionnelle tenue par rapport à la concurrence durant les troubles causés par le Covid et la crise des semi-conducteurs. Résultats : C’est une Hyundai, la Ioniq 6, qui a en 2023 montré qu’une voiture électrique pouvait faire mieux qu’une Tesla dans une épreuve de longue distance à parcourir dans un minimum de temps.

L’équipe de la Chaîne EV n’a pas choisi ce modèle au hasard, retenant le seul à la hauteur pour faire mieux qu’une Tesla Model 3 entre le cap Saint-Vincent au Portugal et le cap Nord en Norvège. Sans rien dire, Hyundai a réussi ce que Volkswagen avait promis de faire sans y parvenir. Ça aussi, ce n’est pas vraiment courant. D’autant plus que la marque coréenne n’a même pas cherché à profiter de l’événement, laissant encore une fois aux utilisateurs le soin de communiquer leur satisfaction.

À lire aussi Témoignage – Claude a alimenté sa maison en électricité avec sa Kia EV6 après la tempête Ciaran

Un pays meurtri et sous-développé il y a 50 ans

Tout cela est si surprenant. Depuis longtemps, j’avais envie de tomber sur une personne capable d’expliquer les phénomènes que sont les marques Kia et Hyundai. Mon souhait a été exaucé lors de mon reportage à la concession Kia d’Yffiniac, près de Saint-Brieuc, le 14 décembre 2023. J’ai rencontré sur place un client très inhabituel, Jean-Jacques Fuan, consul honoraire de la République de Corée.

Une carte de visite serait bien trop petite pour aligner tous les rôles qu’il a joués dans sa vie. Dans les premières lignes, on trouverait sa formation pour devenir ingénieur en automobile : « Dans les années 1960, j’étais en Grande-Bretagne. J’ai travaillé avec Alec Issigonis au moment de la création de la Mini ».

Ce qui nous intéresse cependant aujourd’hui, ce sont ses connaissances de l’histoire et de la culture coréennes : « Mon père était coréen. Résistant contre l’occupant japonais, il a été médaillé de l’équivalent de la Légion d’Honneur. Le pays a été secoué par la guerre entre 1950 et 1953. Je suis allé pour la première fois en Corée en 1972. Nettement sous-développé, le territoire rencontrait alors des difficultés à se relever »

Un redressement fulgurant

C’est Park Chung-hee qui est au pouvoir en 1972 en Corée du Sud : « C’était un dictateur qui s’était mis en tête de redresser le pays. C’est lui qui est à l’origine de la création des chaebol, les conglomérats dont LG, Samsung et Hyundai font partie. Afin de développer l’économie, ils ont bénéficié d’aides financières de l’État qui voulait faire de la Corée un pays civilisé. À l’époque, il n’y avait pas de fabrication de voitures sur place, mais un contrat avec Ford USA. Il fallait compter quatre ans d’attente avant de recevoir son véhicule ».

Les efforts fournis par les Coréens ont été colossaux : « Le développement a été extraordinaire en 40 ans, mais les ouvriers ont été traités comme des esclaves. Ils travaillaient sept jours sur sept en étant payés chichement. Le système a été efficace dès les années 1970 et dans les années 1980 ». Les chiffres des exportations sont particulièrement parlants : 50 millions de dollars en 1960, au-delà du milliard en 1970, et 10 fois plus au début des années 1980.

Jean-Jacques Fuan compare : « Ça fait 40 ans qu’on parle du désenclavement de la Bretagne, et ce n’est toujours pas fait. En pas beaucoup plus de temps, ce qui a été construit en Corée est impressionnant. Les autoroutes, les ponts, les tunnels : tout ça, c’est en place ».

Cette fameuse discrétion

Cet épisode de reconstruction a forgé l’état d’esprit des Coréens : « Au début, ils ne se faisaient pas trop connaître. On y va pas à pas avant de s’attaquer au marché avec des produits compétitifs. Les Coréens sont pugnaces aussi. Ils apprennent rapidement. Mes deux sœurs ont travaillé pour l’ambassade de France en Corée. Les technologies du TGV, des vedettes maritimes ont été reprises. Bouygues a assuré des formations dans le BTP. Les routes et les autoroutes dans le pays, c’est grâce à cette entreprise ».

L’année 2019 a été une nouvelle charnière pour ce territoire : « À partir de là, le président Moon Jae-in a voulu que le pays manifeste sa reconnaissance aux Coréens qui ont résisté cent ans plus tôt et perdu la vie face aux envahisseurs japonais. Ces derniers ont alors refusé de livrer des produits. Les Coréens ont dû les fabriquer eux-mêmes. Ainsi, les puces électroniques, par exemple ».

Un centenaire marquant : « 2019, c’étaient les 100 ans de la déclaration pour la Corée libre. Dans le pays, le Japon a commis 30 Oradour-sur-Glane. Les Japonais ont d’abord dit vouloir aider administrativement, mais c’était pour avoir la mainmise sur le territoire. La pratique du coréen était interdite et les habitants devaient faire allégeance à l’empereur du Japon ».

Jeanne d’Arc coréenne

À Pyongyang comme à Séoul, les Coréens se sont réunis le 1er mars 1919 pour écouter la lecture du Manifeste de l’indépendance. Ce jour férié aujourd’hui est nommé « Samiljeol » : « C’était une manifestation pacifique. La Corée a sa Jeanne d’Arc depuis. C’était une étudiante de 16 ans qui a perdu la vie parce qu’elle n’a pas voulu crier ‘Vive le Japon !’ ».

Ses parents ont aussi été tués pendant cet événement par la police japonaise : « C’est en mémoire de ce mouvement que mon père a été honoré, avec d’autres Coréens survivants ».

Le pays est sorti de l’ornière depuis des années déjà : « La Corée est actuellement la dixième puissance économique mondiale et la quatrième puissance militaire. Elle traverse pour le moment la vague culturelle de Hallyu, symbolisée par la K-Pop. Les jeunes chanteurs du groupe BTS viennent d’atteindre l’âge d’effectuer leur service militaire qui peut s’étendre sur 3 ans. Le pays cultive aussi sa gastronomie ».

À lire aussi Témoignage – Gwenaël fait 40 000 km par an en Hyundai Ioniq 28 kWh et avec beaucoup d’autoroute

La crainte des véhicules électriques chinois

Dans la famille de Jean-Jacques Fuan, on roule branché : « J’ai un Kia Sportage hybride rechargeable, ma femme et ma belle-fille se déplacent chacune avec leur Kia Niro EV. Auparavant, j’utilisais une BMW Série 3. Il n’y a pas beaucoup de différences de qualité et de confort entre les deux marques. Les voitures coréennes sont en revanche beaucoup moins chères à l’achat et à l’entretien ».

Le consul honoraire est cependant inquiet : « L’invasion des modèles chinois me rend malade. Tout est géré par l’État en Chine. Le prix importe peu. Subventionnés, les constructeurs peuvent produire à perte, exploitant leurs ouvriers. C’est une forme de forcing pour obtenir des marchés. Les bas prix en France sont artificiels ».

Il n’est pas le seul à craindre le phénomène : « Il y a un peu plus de dix ans, Elon Musk avait ri à l’évocation du constructeur BYD comme concurrent de Tesla. La marque chinoise est maintenant au point. Dommage que MG ne soit plus une marque britannique ».

Automobile Propre et moi-même remercions beaucoup Jean-Jacques Fuan pour le temps qu’il nous a accordé et son précieux témoignage. Un grand merci également à Stéphane Linossier, chef des ventes chez Kia Yffiniac, qui nous a mis en relation.