Disponible depuis le mois de juin en kiosque, puis offert aux abonnés, un hors-série de Charlie Hebdo est intitulé « Voiture électrique : dernière arnaque avant l’apocalypse ». Ce document de 16 pages est sans doute l’un des meilleurs pour alerter le public contre les débordements possibles d’une politique de la mobilité tout électrique. Il n’est cependant pas exempt de faiblesses, raccourcis ou clichés trop instantanés.

Préambule

Quand j’ai commencé à parcourir ce numéro spécial de Charlie Hebdo, je me suis dit : « Ben là, les gars, vous avez fait fort ! ». On sent globalement un véritable travail de recherche, avec des apports originaux parfois très intéressants.

Je ne sais pas si c’est une volonté, mais le titre m’a ramené à un ouvrage décapant d’anticipation signé Jean Yanne : « L’Apocalypse est pour demain ». Il y est question d’une société et d’une planète qui sont complètement étouffées par l’automobile. Me sachant passionné de voitures et fils de petits commerçants garagistes, ma prof de français de quatrième avait pris un malin plaisir à m’imposer la lecture de ce livre plutôt angoissant.

Il m’a manqué deux éléments importants pour adhérer davantage aux propos du hors-série de Charlie Hebdo. Tout d’abord les habitudes et moyens de déplacement de chacun des auteurs pour davantage de crédibilité, et, surtout, de consistantes pistes alternatives pour la mobilité durable.

L’urgence climatique impose aujourd’hui d’être constructif. Changer profondément la société ? Oui, pour retrouver le sens de l’amour de l’autre et du collectif, ce serait bien. Mais comment faire au siècle de la mondialisation sans jeter les citoyens dans la misère et dans des luttes fratricides ? C’est une véritable question.

Qui suis-je ?

Puisque je me sens limité par le manque d’informations sur la mobilité des auteurs du numéro spécial, je me dois moi-même de redire qui je suis, en particulier pour les nouveaux lecteurs. Pour ceux que ça n’intéresse pas, débranchez-vous directement au paragraphe « C’est quoi la mobilité durable ? ».

L’automobile a été très tôt présente dans mes familles maternelle et paternelle. Du côté de mon père, 3 personnes ont travaillé chez Bugatti du temps d’Ettore, dont mon grand-père un court moment, à la suite d’un accident de schlitte. En 1953, mon propre père a usiné de manière confidentielle chez Citroën des pièces pour les prototypes de la future DS. Il a ensuite rejoint le sort des pompistes, chefs de pistes et gérants de stations-service.

J’ai donc été trempé dans le bain très tôt : à 5 ans, je servais pour la première fois l’essence, et à 10 ans je déplaçais seul les voitures des clients lorsque j’aidais mes parents en dehors des heures de classe. Ce qui représentait bien à l’année plus que l’équivalent d’un mi-temps. Le matin et le soir, j’aimais sortir et rentrer les véhicules laissés en dépôt-vente. J’enchaînais aussi les lavages, vidanges, réparations de roue, allumages, etc.

Bref, un environnement pas vraiment propice à s’engager dans une mobilité des plus vertueuses.

Modifier sa mobilité

À la fin des années 1990, j’ai abandonné une carrière d’informaticien pour devenir journaliste dans une maison d’édition en presse professionnelle et de loisir. J’ai fait le choix d’accepter de diviser mon salaire par deux afin d’abandonner mes 450 km quotidiens de train. J’ai donc au compteur plusieurs centaines de milliers de kilomètres en transport en commun.

Passionné de voitures anciennes, j’ai continué à modifier mes habitudes de mobilité avec l’arrivée de mes enfants, au début des années 2000. D’abord en me tournant vers le GPL. Puis en tentant de m’accrocher au vélo électrique que j’ai dû abandonner, car difficile à utiliser au quotidien (50 km AR par jour avec souvent des cartons de productions pour la jeunesse à embarquer afin de rédiger depuis chez moi des brèves à destination des enseignants du primaire).

Alors, en 2007, j’ai laissé mon gros break Citroën XM au GPL pour une Renault Clio électrique de 1996 achetée sans aide à un prix environ 3 fois plus élevé que sa déclinaison à essence, et pour des performances forcément très limitées.

De la voiture à la marche

En parallèle à l’arrivée de cette citadine à batterie nickel-cadmium, je suis passé chez Enercoop pour ne pas l’associer au nucléaire et j’ai réduit les besoins en électricité du foyer au moins à hauteur de ceux pour la mobilité. L’énergie qui alimente une voiture électrique, c’est aussi un choix qui peut être effectué, au moins en France, de façon personnelle.

En 2012, gros déménagement pour réduire de 700 km la distance avec mes beaux-parents et de 10 000 km par an les déplacements en voiture. Cette année, je suis passé de la campagne à la ville. Marché, boulanger, banque, Poste, soins, et même supermarché : j’y vais désormais à pied. Ma voiture électrique, seul véhicule à la maison, sert désormais beaucoup moins, principalement pour mes besoins professionnels.

Et là, je suis loin d’avoir tout dit de ce que j’ai fait pour réduire personnellement l’empreinte de mes déplacements sur l’environnement et la santé publique. Mais c’est largement suffisant comme carte de visite pour légitimer ma réponse au numéro spécial de Charlie Hebdo.

Pionniers de la mobilité électrique

En 2007, il y avait déjà des pionniers qui roulaient en voiture électrique. Je suis devenu modérateur du forum vehiculeselectriques.fr et un temps aussi de la revue Autobio. Parmi nous, des passionnés de voitures américaines, de motos bruyantes, des adeptes de la décroissance, des créatifs toujours en quête de solutions pour laisser une terre vivable à nos enfants.

Tous, nous échangions en bonne intelligence avec l’idée d’une certaine sobriété qui ne devait pas pour autant être triste. Nous rêvions de vélo, trottinette, monoroue, scooter, moto et voiture électriques. Ces dernières prenaient souvent la forme des Friendly devenue Mia, Aptera, Scarlette, Zoé. En bref, des modèles de dimensions modérées pour des déplacements quotidiens plus vertueux.

Mais certainement pas des gros SUV chinois bardés de luxe que nous voyons arriver aujourd’hui en Europe. Tesla aussi nous faisait rêver, avec son programme qui devait mener vers un modèle abordable, mais aussi comme agitateur pour stopper la folle industrie automobile engluée dans le pétrole.

C’est quoi la mobilité durable ?

La mobilité durable, c’est d’abord limiter les déplacements. Ainsi avec le télétravail, les consultations à distance, les webinaires. Puisqu’il y a urgence à n’en pas douter pour le climat et la santé, pourquoi ne pas adapter les remembrements agricoles au monde du travail ? Il s’agirait de redistribuer les postes, quand ce serait possible, au plus près des domiciles.

A minima en respectant au mieux les qualifications, compétences, salaires et souhaits de chacun. Une piste qui pourrait être efficace, mais aussi très impopulaire, et qui touche aux valeurs de la démocratie. On imagine mal un referendum sur le sujet emportant l’adhésion des citoyens. Les températures caniculaires, la multiplication des incendies et les exodes climatiques ne suffiront pas. Passons !

La mobilité durable, c’est aussi retrouver des habitudes pour nous passer des voitures. La marche, donc, chaque fois que c’est possible. Puis les engins de mobilité douce, électriques ou non. Un scooter ou une moto à batterie peuvent déjà jouer un rôle positif pour se passer d’une voiture.

Transports en commun

Le report au mieux vers les transports en commun est incontournable. Encore faut-il que les opérateurs le facilitent et deviennent plus performants dans leurs offres. « À nous de vous faire préférer le train ! », communiquait un temps la SNCF.

Entre dessertes supprimées, impossibilité de rechercher finement des solutions par le rail (par exemple ne pas passer forcément par Paris en TGV, mais trouver un trajet plus en droite ligne avec une succession de trains régionaux moins chers), verbalisation pour avoir pris un autre train en raison du retard du précédent ou d’une grève, wagons surpeuplés, arrêts portes fermées sans climatisation par de fortes températures et sans annonce ni eau pour rassurer les passagers, etc. : eh bien c’est loupé !

En ce qui me concerne, j’ai tout simplement éliminé les raisons de voyager par la SNCF, sans report vers une autre solution. Mes enfants pratiquent le covoiturage en passagers ou prennent un FlixBus ou équivalent. Ils symbolisent assez bien les choix des nouvelles générations qui voient dans ces formules davantage de souplesse pour des coûts moins élevés.

Le train, cité dans le numéro spécial de Charlie Hebdo, possède bien des vertus nécessaires à la mobilité durable. Il reste à le rendre à nouveau désirable avec un maillage efficace.

À lire aussi Voitures électriques : et si les youtubeurs de Vilebrequin avaient raison ?

La voiture personnelle

Quant à la voiture personnelle, le tout électrique à court et moyen termes est un pari risqué et peu souhaitable, d’autant plus s’il ne s’appuie que sur des modèles neufs.

Plutôt que de mettre à la casse des véhicules en bon état pour en produire des nouveaux, il est déjà possible de les rétrofiter. Par exemple en remplaçant le bloc thermique et ce qui va avec par un moteur électrique et une batterie et/ou une pile hydrogène. Mais aussi en le modifiant pour qu’il fonctionne avec un carburant plus vertueux. Ainsi le bioGNV qui peut, après quelques modifications de la mécanique, alimenter un véhicule essence ou diesel.

Dans l’urgence, on ne peut pas vraiment se priver de solutions qui peuvent avoir du sens localement. Ainsi, par exemple, sous réserve des contrôles et des prudences nécessaires, inclure les huiles végétales, les gaz d’algues vertes, et les carburants de synthèse. En revanche, l’essence et le gazole produits à partir du pétrole doivent bien être éliminés. Ce qui doit se faire autant que possible sans exploiter inutilement les aciéries.

Modèle social et économique

Il y a eu le scandale du dieselgate. Constituant un des points importants développés par Charlie Hebdo, la crainte que l’électrique prenne le même chemin est justifiée et mérite d’y prendre garde. « La bagnole électrique relance pour cinquante ans au moins un modèle social, culturel, économique, politique, qui nous a menés au bord du gouffre », peut-on lire dans le numéro spécial.

Ça, c’est aussi une crainte formulée à juste titre par pas mal de pionniers de la mobilité durable. Il y a cependant des signes qui tendent heureusement à démontrer l’inverse. Tout d’abord, la voiture n’est quasiment plus statutaire pour les jeunes générations. Elle est remplacée de façon importante par les smartphones et autres appareils nomades. Ils souhaitent désormais pour un très grand nombre consommer la mobilité différemment.

Ces véhicules de plus en plus gros et suréquipés, pointés aussi par Charlie Hebdo, ne les intéressent pas vraiment. Et surtout, ils n’ont pas envie de mobiliser tout leur argent dedans. Ils sont tellement sollicités par ailleurs que tout mettre dans une bagnole n’aurait pas vraiment de sens.

Pas un élixir miracle

C’est tout de même inquiétant, ces gros SUV électriques haut de gamme que les constructeurs chinois envoient par bateaux. À qui sont-ils destinés avec cette surabondance de matériaux qui va jusqu’à recouvrir de cuir et aluminium les sélecteurs de marche ? Même s’ils sont vendus à un tarif moins élevé que la concurrence européenne, on ne peut qu’imaginer le risque d’une fracture sociale majeure à l’heure où le climat se dérègle.

En Europe, ce n’est pas forcément mieux, avec par exemple Skoda qui ne veut plus produire la citadine électrique Citigo parce que ça ne cadrerait pas avec son image « Premium ». Où va-t-on ? Au moins, Volkswagen propose l’excellente e-Up ! et Renault sa Twingo ainsi que la Dacia Spring plus proches des besoins réels. Dommage, cette dernière nous vient de Chine.

Il est vrai que la voiture électrique n’est pas un élixir miracle, comme le dit si bien Riss dans son édito. Elle aurait été parmi les bonnes solutions pour une mobilité plus vertueuse dans un scénario de remplacement du parc automobile effectué plus sereinement, de façon plus étalée dans le temps, en commençant il y a 25 ou 30 ans. Au pied du mur, c’est plus incertain et délicat. Et surtout, il ne faut pas faire pire que mieux.

L’empreinte carbone

Bouée de sauvetage d’EDF, la voiture électrique, comme on peut le lire dans le hors-série ? Ensemble, les voitures électriques à l’arrêt peuvent constituer des centrales de nature à sécuriser le réseau national, soutenir le développement des énergies renouvelables, et modérer les besoins en nouvelles tranches nucléaires. C’est ce que l’on appelle les architectures V2G ou V2X, et c’est loin d’être de la blague.

Ce faisant, l’empreinte carbone des VE, plombée par la fabrication de la batterie, se réduit déjà. Elle descend encore sous diverses autres influences.

Ainsi avec la seconde vie des batteries comme unité de stockage stationnaire de l’énergie, le développement de réparateurs spécialisés comme les E-Garages Revolte qui ambitionnent de faire durer au maximum ces véhicules, les nouvelles chimies de batterie exploitant les électrolytes solides, la diversification des architectures avec les piles hydrogène, la relocalisation en Europe de la fabrication des véhicules et des cellules lithium-ion, l’usage des énergies vertes dans la production, etc.

Sur la question de l’empreinte carbone, Charlie Hebdo s’arrête, comme beaucoup, par méconnaissance, sur une photo instantanée, alors que les progrès réalisés autour des véhicules électriques connaissent un rythme très soutenu.

Des prix qui vont chuter sur le marché de l’occasion ?

Parmi les témoins cités à charge par Charlie Hebdo, il y a Nicolas Meunier qui assure : « Acheter une voiture électrique aujourd’hui, c’est comme acheter un magnétoscope juste avant l’arrivée des DVD. Leur valeur va chuter plus vite, car le progrès technique est plus rapide que pour les véhicules à essence ». C’est tout le contraire ! Aujourd’hui, des Citroën C-Zero de 2012 vont jusqu’à se vendre en occasion au prix du neuf bradé de l’époque.

Au-delà de cette situation anecdotique, il faut bien comprendre les besoins. Les nouvelles voitures électriques sont de plus en plus chères à l’achat. Ce qui les rend difficilement accessibles à bien des foyers, même avec les aides. C’est pourquoi elles sont attendues sur le marché de l’occasion où elles peuvent se vendre rapidement lorsqu’elles ont plus de 5 ans.

Les prix ne chutent pas, car même avec des modèles neufs de plus en plus aboutis, les occasions sont parfaitement exploitables au quotidien. Cette situation va durer au-delà de l’interdiction des ventes des voitures essence et diesel neuves. C’est-à-dire pendant une vingtaine d’années au moins, sauf accident de parcours.

Autres témoins peu convaincants

Charlie Hebdo cite également Carlos Tavares pour ses mises en garde contre un éventuel Electricgate. Sur ce sujet, nous prendrions au contraire nos distances avec l’ancien collaborateur de Carlos Ghosn, pour plusieurs raisons. Déjà parce que son discours de prudence concernant les véhicules électriques semble essentiellement guidé par deux raisons. Décrocher des aides, pour les batteries par exemple et la relocalisation, mais aussi se démarquer de Renault.

N’oublions pas que c’est ce même Carlos Tavares qui défendait le VE en commission des affaires économiques le 11 janvier 2012. C’est aussi lui qui a remis les clés de sa Renault Zoé à la fin de la même année à Arnaud Montebourg alors ministre du Redressement productif.

L’actuel patron de Stellantis a toutes les raisons de vouloir se démarquer du Losange d’où il a été évincé après ses propos sans doute imprudents de fin août 2013. Autre témoin peu convaincant sur lequel s’appuie le canard : Guillaume Pitron. Celui-là même que les journalistes suisses Marc Muller et Jonas Schneiter descendent dans leur film documentaire A Contresens, notamment pour ses propos erronés concernant les terres rares.

Et rapidement…

En France, 19 000 euros d’aides possibles de l’État et des collectivités pour acheter une Tesla ?

Essayez donc pour voir ! Et pourquoi pas moduler les aides en fonction du lieu de fabrication du véhicule électrique ? J’aurais bien aimé lire des trucs constructifs comme ça dans le numéro spécial de Charlie Hebdo.

Les aides aux constructeurs pour fabriquer des voitures électriques n’aident pas l’emploi en France, car les usines de Renault, Peugeot et Citroën ne se situent plus principalement dans notre pays ?

Les Renault Zoé, Kangoo et Mégane électriques sont produites en France. Là aussi, les aides doivent être conditionnées au lieu de fabrication du véhicule électrique.

Plus simples à fabriquer que les thermiques, les voitures électriques ne seront jamais un gisement d’emploi ?

Si, et les constructeurs qui ont anticipé le mouvement ne s’en plaignent pas, au contraire. Il faut également compter la fabrication des bornes individuelles de recharge, les prestataires pour les installer, une nouvelle filière pour le rétrofit et la réparation, le recyclage et la seconde vie des batteries, le déploiement des architectures V2G, etc.

Les batteries sont toutes importées ?

À la suite de l’Airbus des batteries, des usines vont produire de plus en plus de cellules en France et ailleurs en Europe. Même le fabricant chinois CATL va ouvrir en Hongrie une unité pour approvisionner en particulier Mercedes-Benz et d’autres constructeurs.

La Chine nous tient par les coucougnettes ?

Oui, à force d’acheter un peu tout et n’importe quoi depuis les années 1980 au prétexte que c’est moins cher. Et maintenant, il va être difficile d’empêcher le déferlement des VE produits en Chine, d’autant plus que les constructeurs européens, dont Stellantis, ont ouvert la porte pour vendre aux Chinois leurs productions. Le retour de bâton arrive.

Les voitures électriques dépendent des terres rares (chinoises ou pas) ?

Moins que les voitures thermiques qui en ont besoin pour les systèmes de dépollution (ce qui peut évoluer d’ailleurs aussi). En tout cas, Renault répond à cette question dans une vidéo publiée il y a quelques semaines, en présentant sa solution de moteur à rotor bobiné plus efficient où le cuivre a rendu inutiles les terres rares.

Une voiture électrique solaire qui pourrait faire friteuse ?

Ah oui c’est possible !