A gauche, Patrice Merhand, président de EcoGreen Energy

A gauche, Patrice Merhand, président de EcoGreen Energy

La Poste, Transdev, Keolis, Système U, Jacky Perrenot continuent à explorer les solutions immédiatement disponibles pour réduire l’impact carbone du transport des personnes ou du fret. Le bioGNV apparaît comme le grand gagnant.

L’électrique oui, mais pas seulement

Pour sa troisième édition, le forum Ecogreen Energy avait choisi le thème « Décarboner le transport lourd ? Et maintenant que fait-on ? » pour réunir une vingtaine d’intervenants. Ils avaient en point commun d’être clairement contre la marche forcée vers l’électrique pour les camions, autobus et autocars.

En phase avec la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) qui vient de sortir un livre blanc sur le sujet, ils estiment pour la plupart qu’il existe plusieurs solutions pour faire oublier le gazole : l’électrique à batterie, le GNV/bioGNV (Gaz naturel véhicule et son dérivé par méthanisation), les carburants liquides bas-carbone comme le HVO (Huile végétale hydrotraitée) et le B100 (Biodiesel produit avec du colza en France), et l’hydrogène.

Persuadées que la Commission européenne devra un jour revoir sa position ou que la France aura à s’affranchir quelque peu de ses directives au sujet des émissions des poids lourds, certaines grandes entreprises continuent à tester et suivre l’une ou plusieurs de ces pistes.

Président de l’association organisatrice, Patrice Merhand a vu son habituel souhait exaucé : « pas de langue de bois » dans son forum qui réunit chaque année des professionnels très impliqués dans la décarbonation de la mobilité. Ce temps de conférences et tables rondes s’adosse à un challenge de sobriété énergétique dont le déroulement a, plus encore qu’en 2023, été bousculé par une météo capricieuse.

L’image écornée de l’électrique pour le transport lourd

À l’origine de la contestation qui vire à la fronde, le calcul des émissions de CO2 par l’Europe à l’échappement plutôt que de tenir compte de l’analyse du cycle de vie. À ce jeu, forcément, l’électrique et l’hydrogène ressortent gagnants. Sauf que les territoires, les transporteurs, les donneurs d’ordres et les constructeurs savent aussi calculer et ont pris les devants il y a déjà quelques années en s’engageant dans des voies efficaces de leur point de vue et financièrement soutenables.

« Depuis quelques mois, l’électrique voit son image écornée par les loueurs et les transporteurs », a mis en avant Selma Treboul, directrice des affaires publiques pour l’association France Mobilité Biogaz. Vice-Président du conseil régional des Pays de la Loire, Philippe Henry est lassé par « la politique des petits pas de l’Europe » et milite pour que les Etats dispose d’une latitude suffisante afin de prendre les choix qui s’imposent en fonction des richesses des territoires : « Nous voulons une autonomie énergétique. L’avantage est au bioGNV produit localement dont on connaît les coûts de production ».

Théo Farge et Selma Treboul

Théo Farge, responsable technique, sécurité et environnement à la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) a son idée concernant le blocage mono énergie de la grande institution : « L’accent a été mis sur la production massive d’énergies renouvelables avec le solaire et l’éolien. Du coup, c’est plus facile ensuite pour l’Europe de vendre la mobilité électrique que celle qui s’appuie sur la biomasse ».

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La Poste

On ne peut reprocher à la Poste de ne pas avoir très activement contribué au développement des véhicules électriques en France. « Nous allons continuer à le faire pour la distribution des lettres et colis », a indiqué Gwen Marchand, adjointe à la directrice pour la coordination de la transition écologique.

Et pour les grandes distances ? « Pour nous, 5 000 poids lourds tournent tous les jours, dont 10 % sont à nous. Les autres sont à nos 500 transporteurs partenaires. Quand on peut faire en électrique, on le fait. C’est le cas pour des liaisons relativement courtes, comme en Ile-de-France ».

Ailleurs, le coût de la recharge apparaît dissuasif : « Le kilowattheure nous coûte 20 centimes dans les dépôts, mais 70 centimes à l’extérieur. Ce qui est un frein. En 2021, nous avons mené une réflexion pour ne pas nous retrouver au pied du mur. On ne s’interdit rien et l’on étudie tout. Selon les lignes, les camions roulent avec du HVO ou du bioGNC ».

Camion La Poste GNV

Toutefois, ce dernier est désormais privilégié pour cet usage : « C’est pour nous la meilleure solution, car c’est une énergie française, bas-carbone, avec moins de nuisances sonores et un choix de constructeurs sur le marché ». L’électrique pour les poids lourds n’est pas pour autant enterré à la Poste concernant les longues distances : « Nous suivons le projet d’autoroutes électriques avec Vinci sur les A10 et A11. En Allemagne aussi, avec une transmission électrique par caténaires ».

Système U

Il faut également pas mal de camions pour livrer les supermarchés, hypermarchés et autres magasins de l’enseigne U. « Sans compter les 500 camions qui viennent en amont tous les jours dans nos centres logistiques, notre propre flotte de distribution compte 450 véhicules. Fin 2022, nous avions déjà 140 camions au GNV, dont la moitié au GNC [NDLR : Gaz naturel comprimé] et l’autre au GNL [NDLR : Gaz naturel qui doit être cryogénisé pour être liquide] », chiffre Laurent Gastinaud, directeur du transport national chez U Logistique.

Un nouveau choix vient d’être fait : « Nous allons privilégier le bioGNC. Nous attendons 40 nouveaux camions fonctionnant avec cette énergie. D’ici à 4 ans, cette flotte devrait s’élever à 200 poids lourds. En outre, les transporteurs en contrat avec nous nous interrogent quand ils doivent de leur côté commander de nouveaux véhicules ».

Cette redirection est un choix réfléchi : « Le bioGNC est produit dans les territoires par des agriculteurs méthaniseurs. Hors nos clients sont des gens qui habitent ces territoires et, parmi nos fournisseurs, nous comptons nombre d’agriculteurs ».

Camion Système U GNV

Engagée dans la démarche Fret 21, la grande enseigne utilise d’autres solutions : « Concernant les camions frigorifiques, après une expérience non concluante avec de l’azote pour faire fonctionner nos groupes qui produisent du froid, nous avons tranché pour un système autonome avec batterie et génératrice qui nous permet de nous passer du gazole non routier. Pour les longues distances, nous utilisons des cellules qui voyagent par le ferroviaire ».

Jacky Perrenod

Le transporteur Jacky Perrenod a connu ces dernières années une croissance très rapide. « Nous exploitons 6 000 véhicules en France, depuis des utilitaires légers jusqu’aux convois exceptionnels. Nous devons notre agrandissement à notre accompagnement de la grande distribution pour décarboner le fret », explique Corentin Vidalie, chef de projets opérations.

La recherche de solutions alternatives ne date pas d’hier dans l’entreprise : « Elle a commencé en 2010. C’est pourquoi nous avons aujourd’hui dans notre flotte des véhicules qui fonctionnent avec du gazole, du HVO, du B100, du GNL, du GNC, de l’électricité et de l’hydrogène. Aujourd’hui, 20 % de notre flotte roule avec des énergies alternatives. Sur tout son trajet, nous pouvons transporter une même marchandise avec des véhicules alimentés avec des énergies différentes ».

Camion électrique Renault Trucks E-Tech D Wide pour Jacky Perrenot

C’est aussi l’usage qui met en avant une solution plutôt qu’une autre : « Pour l’extra-régional, nous privilégions aujourd’hui le B100 et le GNC. Nous avions beaucoup de camions GNL, mais grâce aux progrès réalisés sur l’autonomie, on va repartir sur du GNC biosourcé. Ce dernier est aussi très adapté pour l’intra-régional, mais pas l’électrique que nous employons pour les zones urbaines. Nous avons 30 porteurs 16, 19 et 26 tonnes à batterie et allons bientôt rentrer aussi des tracteurs routiers électriques ».

Jacky Perrenod jongle avec les énergies : « Pour nous, le biodiesel, c’était bien à court terme, en transition, pour commencer la décarbonation. Mais pas avec du soja brésilien : nous étions vigilants sur la provenance. Maintenant que les prix sont redevenus raisonnables pour le gaz, le GNC est à nouveau idéal pour nos longues distances. L’électrique pour cela, on a beau essayer dans tous les sens, on n’arrive pas à le faire rentrer dans un TCO acceptable ».

Keolis Rennes

Représentant Keolis Bretagne, Alexis Jauffret explique comment son entreprise adapte ses flottes à la demande des autorités organisatrices des transports en commun : « Rennes Métropole a imposé le GNV. À charge pour notre entreprise de réaliser les investissements nécessaires. Le parc compte aujourd’hui 40 unités, sur les 140 qui doivent être déployés en 3 ans ».

La question de l’approvisionnement doit également être étudiée : « Nous pouvions installer une station en propre, comme nous l’avons fait dans un dépôt au sud de Rennes. Ou développer une station mixte, ce qui a été notre choix pour celle au nord de la métropole ».

Autobus GNV à Rennes

Et l’électrique ? « Pour le centre-ville de Rennes, nous avons des autobus à batterie. Nous testons aussi actuellement un autocar rétrofité à l’électrique sur une ligne jusqu’au Mont-Saint-Michel. Là, nous jouons avec la limite d’autonomie, car elle est de 180 km, pour un aller-retour de 142 km. Nous voulions montrer que l’électrique peut être viable pour les autocars, notamment avec le scolaire ».

Utiliser le gaz comme l’électricité a permis d’effectuer quelques comparaisons, notamment au niveau du coût d’entretien des véhicules : « Il est relativement faible pour l’électrique. On a en revanche un surcoût de 30 % par rapport au diesel concernant le GNC. Il faut en outre compter l’investissement pour adapter les ateliers et prévoir une enveloppe pour la formation des techniciens ».

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Transdev

Directeur régional de Transdev pour les Pays de la Loire, Jean-Louis Lehuger présente une solution différente de rétrofit : « Nous voulions expérimenter le rétrofit GNV sur un autocar Euro 6 d’un modèle fréquent dans les Pays de la Loire ». Ce choix est important pour deux raisons. Tout d’abord pour amortir le coût de développement par le CRMT du kit de transformation et de son homologation.

Ensuite parce que ce sont des autocars encore relativement récents : « La durée de vie de ces véhicules est de 15 ans. Un modèle Euro 6, ça vaut la peine de le rétrofiter pour lui permettre de rouler encore au moins cinq ans de plus. L’opération doit être simple et économique. Il ne sera pas possible de remplacer tous les autocars des Pays de la Loire par des neufs ».

Transdev compte aussi bien des modèles électriques que des GNV pour répondre aux cahiers des charges des collectivités : « Le GNV permet de conserver deux avantages des autocars diesel. Il s’agit de l’autonomie pour les longues distances et de la capacité de transporter une soixantaine de personnes, car les réservoirs de gaz sont en soute ».