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Il apparaît plus complexe de décarboner la mobilité lourde que les fourgons et voitures particulières. C’est pourtant une nécessité en raison de l’empreinte carbone de l’activité fret. Equilibre des énergies a publié une étude sur la route électrique. Nous avons contacté l’un des deux auteurs, Servan Lacire.
Fondé il y a une dizaine d’années par l’ancien ministre de l’environnement Brice Lalonde, Equilibre des énergies (EdEn) est un groupe de réflexion qui réunit des entreprises des secteurs de la construction, de l’industrie, de l’énergie, des transports terrestres, maritimes et aériens, etc. Airbus, Safran, Volkswagen, EDF, Enedis, RTE, TotalEnergies, La Poste, Schneider Electric, Vinci comptent parmi ses membres.
Le think-tank a aussi noué plusieurs partenariats. Ainsi avec Carbone 4, l’Avere-France, la Plateforme automobile (PFA), le projet Energy Observer, et le magazine Valeurs Vertes, pour ne citer qu’eux.
En 2021, EdEn a publié un rapport avec des recommandations afin de développer la solution hydrogène pour décarboner le transport routier de marchandises. Constatant que cette voie peine à se dynamiser du fait d’un prix au kilo qui reste élevé en carburant H2 et de progrès encore à réaliser notamment concernant l’efficacité énergétique des systèmes, l’organisme s’intéresse désormais de près à la route électrique.
Endossant le rôle de conseiller technique auprès d’Equilibre des énergies, Servan Lacire est l’un des auteurs de l’étude de 66 pages sur le sujet publiée en décembre 2023.
À lire aussiVidéo – Pourquoi ce Tesla Semi en panne excite tant ce routier américain ?Décarboner le fret routier est une nécessité : « Il représente 28 % des émissions de CO2 des transports terrestres en France, avec des volumes qui continuent à augmenter. Les vingt-sept Etats membres et le parlement européen viennent tout juste de se mettre d’accord pour réduire les émissions des poids lourds neufs de 90 % pour 2040 ».
Pour les voitures particulières et les utilitaires légers, le virage vers l’électrique à batterie est déjà bien engagé : « Une voiture, on la prend le plus souvent pour se rendre sur son lieu de travail et quelques fois dans l’année pour partir en vacances. Concernant les poids lourds, l’usage est plus varié, plus dispersé. Il y a par exemple des camions pour des livraisons de proximité, des transports à longue distance, l’acheminement de charges extra lourdes, mais il y a aussi des bennes à ordures ménagères ».
L’hydrogène est une solution de décarbonation aussi envisagée par EdEn : « Il reste encore des questions techniques et financières à régler. Le TCO reste élevé. Que faire pour l’améliorer ? Le rendement est encore trop faible sur toute la chaîne. L’hydrogène ne se transporte pas facilement. Il faudrait créer des pipelines. Dans les camions, la pression est à 700 bars. Ce qui pose des problèmes de sécurité, par exemple pour passer dans les tunnels. A ce sujet, c’est chaque préfet qui décide. L’hydrogène décarboné est en outre très attendu ailleurs, par exemple pour la production d’acier ».
L’électrique à batterie pose également des problèmes pour une adoption dans les poids lourds : « On assiste à une montée en puissance de cette solution. Pour des autonomies comprises entre 750 et 1 000 km, il faut plusieurs tonnes de matériaux. Et combien de temps pour la recharge ? Trente minutes ? Une heure ? Il va y avoir un problème de foncier sur les aires des autoroutes pour construire les stations ».
L’exploitation de la biomasse sous la forme de bioGNV a bien sûr été considérée par EdEn, pour une relativement courte période de transition. Il y a aussi les biocarburants liquides : « Ces derniers ne seront pas disponibles pour tout le monde. Qui sera prioritaire les concernant ? Les routiers ? Pas sûr ! Le méthane pose des problèmes spécifiques de volume, pour la livraison, de limite en ressources, etc. La biomasse pourrait d’abord être nécessaire à l’aviation [NDLR : Pour les carburants de synthèse] ».
Que reste-t-il ? « La route électrique, on en parle depuis longtemps déjà. Nous avions déjà regardé du côté de cette solution quand nous avions réalisé le rapport sur l’hydrogène pour les camions. Il existe trois technologies : par caténaires, rail ou induction. Elles ont toutes pour avantage de réduire les besoins en matériaux pour la batterie. On ne garderait qu’une autonomie de 200 à 250 km afin de sortir des autoroutes équipées pour la recharge en roulant ».
Pour Equilibre des énergies qui s’appuie sur l’état des développements et les expérimentations en cours, la route électrique constitue « une alternative crédible au 100 % batterie et à l’hydrogène ». Deux projets principaux coexistent concernant la solution par rail conductif au sol et patins sous les véhicules. « Avec Alstom, il y a deux rails, le deuxième pour le retour de l’électricité. ElonRoad alterne sur le même rail positif et négatif », différencie Servan Lacire.
Parmi les avantages de cette architecture, un transfert de puissance important, de l’ordre de 200 kW pour un véhicule qui avance à 80 km/h. Pour comparaison, « le besoin en puissance d’un 44 tonnes chargé et roulant à plat à 90 km/h est de 150 kW. Elle grimpe à 400 kW avec une côte à 5-6 % ».
Le conseiller technique chez EdEn met également en avant avec la solution rail « une compatibilité avec des véhicules légers, la possibilité d’une recharge statique et une pose relativement facile sur la chaussée ». Sur l’échelle TRL (Technology readiness level), le rail est au niveau 7. Ce qui correspond à des prototypes fonctionnant dans des environnements opérationnels.
Si les architectures par rail semblent prometteuses, il reste des points noirs à vérifier et/ou à gommer : « L’usage de la route électrique s’accompagnera d’une plus grande automatisation de la conduite. Pour recevoir depuis le rail leur électricité, les poids lourds vont suivre exactement la même trajectoire, d’où un risque d’orniérage. S’y ajoute le rail lui-même, rigide, et encadré des deux côtés d’une partie souple pour ElonRoad ».
Tout cela peux représenter un danger pour d’autres usagers : « En particulier pour les motards. Des essais sont donc en cours à ce sujet. Ils vont durer encore deux à trois ans. Il s’agit aussi de vérifier la tenue du système sous toutes les conditions climatiques, notamment avec de la neige et du sel. ElonRoad expérimente ainsi son système en Suède ».
Il reste encore la question de la réfection de la chaussée : « Sur une chaussée qui existe déjà, il suffira de creuser au centre d’une voie pour insérer le rail. Une réfection devrait intervenir tous les douze ans à quinze ans, avec une couche de roulement qui est complexe. Il faudra déposer tout le rail ».
Avec des démonstrateurs déjà opérationnels en Allemagne et aux Etats-Unis, la route électrique par caténaires est également créditée d’un niveau TRL 7. Elle est également capable de fournir une puissance importante : « Avec un train, le retour électrique s’effectue par les rails au sol. Ce qui ne sera pas le cas pour les camions, nécessitant une double caténaire et, sur le poids lourd, un double pantographe. Du fait de la hauteur de la structure, le système ne sera pas compatible avec les voitures particulières ».
L’architecture relativement simple étant déjà largement éprouvée par les transports ferroviaires, on pourrait imaginer en déduire la durabilité pour le routier. Ce qui n’est pas le cas : « Les trains ne se succèdent pas avec une fréquence aussi élevée que les camions. Sur certaines autoroutes, ils sont l’un derrière l’autre. Il y a 36 000 transporteurs en France, sans compter les camions venant de l’étranger. L’usure sera beaucoup plus rapide, avec des archers qui vont pousser à chaque passage sur les caténaires ».
Avec des risques d’arrachement : « Ainsi lors des dépassements. Les pantographes sur les camions ne seront pas toujours entretenus aussi bien que sur les trains des trois seules compagnies qui opèrent en France. Il faudra aussi prévoir des glissières de sécurité en béton pour empêcher que les camions percutent ou se couchent sur les poteaux des caténaires ».
À lire aussiWiTriCity va lancer le premier réseau de charge à induction au mondeUn peu moins mature que les deux autres technologies (TRL 6), l’induction bénéficie aujourd’hui de nombreuses recherches du fait de ses avantages parmi lesquels la parfaite invisibilité du système par les usagers des autoroutes équipées, la compatibilité avec les voitures, la possibilité de recharge en statique, etc.
Sans risque d’orniérage, la réfection n’interviendrait qu’au bout d’une trentaine d’années : « L’induction repose sur des bobines disposées de façon espacée et implantées plus profondément que la bande de roulement. Refaire cette dernière n’imposerait pas forcément de changer les bobines. Si l’une grille ici ou là, ce n’est pas grave, grâce aux autres qui seraient toujours actives ».
Il reste cependant encore pas mal de choses à vérifier et/ou à améliorer : « Actuellement, la puissance transmise est trop faible. Le flux ne devra se créer que lors du passage des véhicules, afin d’éliminer tout danger pour les personnes qui traverseraient la chaussée ou les motards qui chuteraient. Comment les bobines vont-elles chauffer avec un trafic plus ou moins important ? Est-ce que cet échauffement risque de fissurer la bande de roulement ? Cette technologie est en outre gourmande en cuivre ».
Contrairement à l’électrique à batterie qui pouvait se développer sans trop d’infrastructures de recharge à l’extérieur, la recharge en roulant nécessite d’équiper dès le départ lourdement l’autoroute : « Il faudrait un minimum de 50 %. ». Ce qui nécessite des investissements importants, avec un coût moyen estimé à 25 % d’une autoroute neuve. Plus précisément, EdEn chiffre le Capex à 1,050, 1,025 et 0,700 million d’euros du kilomètre respectivement pour les solutions par induction, caténaires et rail.
En s’appuyant sur le trafic des autoroutes A7 et A9, l’organisme a cherché à évaluer la tarification que devraient appliquer les gestionnaires d’autoroute, en comprenant le coût de l’infrastructure, la fourniture d’électricité et leur marge. Le prix au kilomètre parcouru serait de 0,48 euro pour l’induction, 0,41 euro avec les caténaires et 0,35 euro concernant le rail. A noter que sur d’autres autoroutes, ces chiffres seraient différents, en fonction de la fréquentation des tronçons.
En raisonnant en termes de TCO, et de façon comparative, les chiffres s’inscrivent dans le même ordre de grandeur que l’hydrogène (0,793 euro par kilomètre parcouru selon les projections à 2030) et l’électrique à batterie (0,783 euro/km). Soit 0,78 euro/km pour l’induction et 0,71 euro avec les caténaires. Le rail se distingue comme le moins coûteux pour les transporteurs avec 0,64 euro/km.
« Les poids lourds circulant principalement le jour, la part pour la fourniture d’électricité s’effectue à taux plein, alors qu’une recharge peut être réalisée de nuit pour l’électrique à batterie, et même l’hydrogène », souligne Servan Lacire.
EdEn n’envisage pas un déploiement opérationnel avant 2031 : « Ce qui reste cohérent par rapport aux exigences de 2040. On arrivera alors en second niveau après une vague de déploiement de l’électrique à batterie. La route électrique concerne plutôt le transport à longue distance, pas le régional ».
Avant d’en arriver là, des défis sont encore à relever, et des choix à effectuer : « Certaines zones sont compliquées à équiper. Ainsi les tunnels, ponts, et même en rase campagne du fait de l’éloignement du réseau RTE. Faudrait-il développer la route électrique sur toutes les autoroutes ? Et les voies express ? Un système de péréquation devrait alors être mis en place pour la facturation. Concernant cette dernière, il faut un dialogue entre le camion et les infrastructures pour calculer le montant à payer ».
Respecter les délais qui doivent tenir compte des tests encore à effectuer impose « de ne pas retarder les différents textes et de stimuler la Commission européenne ». Des choix doivent être effectués. Une autoroute peut être doublement équipée, par exemple avec les solutions caténaires et induction : « Il ne faudrait toutefois pas multiplier les technologies. Des projets sont portés par des startups, ce qui n’est pas une bonne situation pour une généralisation à l’échelle de l’Europe ».
Automobile Propre et moi-même remercions beaucoup Servan Lacire pour sa disponibilité et le temps pris à nous présenter les enjeux de la route électrique. Un grand merci également à Isabelle Laville, chargée des relations avec les médias (Agence Replique), pour avoir organisé à notre demande le présent entretien.
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