Xiaomi SU7

La menace de la déferlante des voitures électriques chinoises semble avoir un peu de mal à se concrétiser.

“L’industrie automobile européenne est morte, vous allez voir quand les voitures électriques chinoises vont déferler en masse à des prix imbattables”. Nous avons tous lu et entendu ce genre de prédiction funeste au cours des derniers mois. Il est vrai que la propension, voire l’obsession, des marques européennes à conserver leurs marges en proposant presque exclusivement des modèles premium – dont une part écrasante de SUV -, donc chers, laisse un boulevard au low cost. Et quand on dit low cost, on pense souvent Chine et consorts.

Sauf que le fameux tsunami se fait toujours attendre. Nous n’irons pas jusqu’à dire qu’il a fait pschit, et il ne faut jamais injurier l’avenir, mais pour le moment on ne voit pas grand chose poindre à l’horizon, du moins en France.

Car à part MG, déjà solidement implanté, où sont les tant redoutées marques chinoises de voitures électriques ? Nulle part.

La menace du low cost surestimée ?

Et surtout, quand on arrive enfin à en trouver trace, on semble très loin de la fameuse menace low cost, puisque, pour le moment en tout cas, les marques chinoises attaquent le marché européen non pas par l’entrée de gamme, mais par les segments intermédiaires, voire premium. Il suffit de jeter un œil sur les modèles proposés par celles qui ont déjà (vaguement) un pied sur le vieux continent pour constater que la stratégie est assez éloignée de celle que l’on leur attribue généralement. En réalité, si l’on se fie aux catalogues présentés par les constructeurs de voitures électriques chinoises, c’est plutôt le festival des berlines à la Tesla et des SUV luxueux à plus de 50 000 euros que des tueuses de Zoé à moins de 15 000 euros.

De fait, la stratégie des marques chinoises semble plutôt être de chercher à s’aligner sur le segment moyen/haut de gamme qui prévaut pour le moment en Europe, en proposant des voitures dont les tarifs se situent aux alentours des 45 000 euros. Pas vraiment des voitures du peuple, donc. Si MG Motor fait figure d’exception avec une MG4 très convenablement dotée pour moins de 23 000 euros pendant quelques semaines, même son SUV Marvel Air s’affiche à 37 490 euros pour l’entrée de gamme, moyennant un rabais exceptionnel de 7 000 euros seulement sur les modèles en stock et pour une période limitée jusqu’au 31 janvier 2024. Ce qui place l’engin à un tarif équivalent à celui d’une Tesla Model Y, proposant des prestations en tous points supérieures, sans parler de l’autonomie et de la vitesse de charge.

Quelques autres exemples ? La BYD Seal, de 46 990 à 49 990 euros, la BYD Tang à 70 800 euros, sans parler de la BYD Han, qui s’affiche de 71 160 à 74 400 euros. Du côté de Nio, les tarifs ne sont même pas encore diffusés, alors que chez Xpeng, on attend toujours la P7, déjà commercialisée depuis deux ans en Norvège et aux Pays-Bas aux alentours de 50 000 euros. Quant à Aiways, l’une des rares marques chinoises à afficher ses prix sur un site internet en français, sa berline U6 commence à 46 990 euros, tout cela pour une autonomie WLTP riquiqui de 405 petits kilomètres et une capacité de recharge “rapide” de 90 kW…

Quant aux marques européennes reprises par des groupes chinois, on est là aussi plutôt dans le haut de gamme, avec l’exemple de Geely, propriétaire de Polestar, et qui s’est aussi emparé de Volvo et Lotus.

En réalité, pendant que nous continuons à nous focaliser sur l’idée que l’industrie chinoise ne sait que copier et fabriquer des produits bon marché à la qualité et à la fiabilité discutables, les constructeurs de voitures électriques chinois progressent là où on ne les attend pas, avec des produits originaux, de qualité, armés d’un design qui n’a rien à envier aux productions occidentales.

Pourquoi cette stratégie ?

Probablement en premier lieu pour s’assurer de confortables marges, partant du principe que si les clients européens peuvent s’offrir des Audi ou des Tesla à plus de 50 000 euros, ils pourront être tentés par des BYD ou des Nio proposant les mêmes prestations pour juste un peu moins cher. C’est d’ailleurs l’angle d’attaque de nombreux constructeurs, dont Tesla, qui consiste à lancer en premier lieu des versions haut de gamme pour gagner de l’argent, puis de descendre en gamme afin de faire du volume.

Il y a peut-être une autre raison, un peu moins rationnelle, celle ce que j’appellerai “l’obsession Tesla”, qui consiste pour la plupart des marques chinoises connues par ici (et même les moins connues, pas encore présentes en Europe) à reproduire quasiment trait pour trait leur version de la Model 3 et de la Model S. Avec en prime une finition supérieure et une ambiance intérieure qui se rapprochent davantage du cocon premium à la teutonne. C’est le cas notamment des BYD Seal et Han, ou encore des Nio ET5 et ET7, mais on pourrait citer de nombreux autres exemples. La future berline SU7 de Xiaomi – dont on ne connait pas encore le prix – ne nous contredira pas non plus sur ce point, avec son look entre la Porsche Taycan et la Tesla Model S.

Une “obsession Tesla” qui rappelle un peu celle de la division téléphonie mobile d’une certaine marque coréenne pour l’iPhone d’Apple, celle de copier en essayant de faire mieux, sans jamais vraiment y parvenir.

Le paradoxe chinois

C’est tout le paradoxe chinois. D’une part proposer des voitures à des tarifs relativement élevés, mais qui se situent cependant juste en-dessous de ceux pratiqués par les marques européennes, avec des prestations de confort, de design et de technologies embarquées juste un cran au-dessus. Mais avec une avance technologique en trompe-l’œil. Tous ceux qui ont eu l’occasion d’essayer par exemple une BYD Seal sont généralement séduits par le look, les performances et le confort de cette auto, mais très déçus par son efficience, son autonomie et sa vitesse, ou plutôt sa lenteur de recharge. Et ne parlons pas des aides à la conduite tellement omniprésentes qu’elles en deviennent insupportables, ou encore des menus des systèmes d’infodivertissement peu ou mal traduits, quand ils ne sont pas remplis de bugs…

Ajoutez à cela des promesses qui tardent à se concrétiser, comme celle de l’arrivée de la Xpeng P7 que l’on attend depuis 3 ans et qui n’est toujours pas disponible en France, et des sites internet “globaux” (comprendre : en anglais seulement et non localisés), remplis de blabla conceptuel sur le “futur de la mobilité”, mais sans aucun prix ni délai de disponibilité indiqués, et des réseaux de vente encore très clairsemés, voire inexistants, et vous vous dites que pour le moment, la menace de l’Empire du Milieu ressemble plutôt à un épisode de la 7ème compagnie.

Cela étant, nous ne sommes pas dupes, et loin de nous l’idée de sous-estimer la puissance de feu des constructeurs chinois. La déferlante annoncée, même si elle tarde un peu à se concrétiser, pourrait bien arriver un jour. On sait par exemple qu’un BYD, non content de talonner Tesla et même d’être passé devant aux cours du dernier trimestre 2023, est devenu le premier constructeur mondial de voitures électriques, et qu’il se met en ordre de bataille pour conquérir très vite le Vieux Continent, et si possible de façon à éviter les pénalités de protectionnisme. D’ailleurs, selon les chiffres publiés par l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), BYD a vendu 110 000 voitures 100% électriques en Europe en 2023, soit une augmentation de 240% par rapport à 2022, pour une part de marché de 7,33% du total des ventes. De son côté, Nio prépare aussi son entrée, en misant entre autres sur trois modèles très séduisants – dont la superbe NT5 Tourer au look très… européen – et son fameux dispositif de battery swapping. Reste à savoir si ces constructeurs, qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg, seront suivis par des dizaines d’autres, déjà largement diffusés en Chine, et dont nous n’avons jamais entendu parler par ici.

En attendant, les constructeurs européens préparent la riposte et affutent leur stratégie produit et prix afin de contrer l’offensive avec une offre qui devrait à terme davantage correspondre à un marché de masse, celle des citadines à moins de 25 000 euros avec 300 kilomètres d’autonomie.

Deux salles, deux ambiances, en fait. De quoi se rassurer un peu ?