Xiaomi SU7

Avec la Xiaomi SU7, la voiture électrique va-t-elle connaître son moment iPhone ?

Le monde des analystes du marché de la voiture électrique se divise en deux clans : ceux qui sont convaincus que la déferlante chinoise est imminente et va atomiser l’industrie automobile européenne, et ceux qui pensent que ces craintes sont largement exagérées et que la bulle de la voiture électrique de l’Empire du Milieu va rapidement faire pschit.

Comme souvent, la vérité se situera certainement entre les deux. Oui, les chinoises risquent de faire mal aux européennes, mais probablement pas dans les proportions redoutées. Car d’une part les marques européennes (et américaines) ont encore de précieux atouts dans leur manche, ne serait-ce que par leur ancienneté, leur savoir-faire et la puissance des enseignes, mais aussi parce que nombre de nouvelles marques chinoises mordent la poussière avant même que leur nom ait franchi un quelconque océan. Certes, elles sont nombreuses, ce qui est souvent synonyme de puissance, mais nombre d’entre elles restent fragiles et totalement inconnues en dehors de leur canton. Alors en Europe…

Des dizaines de marques chinoises surtout connues sur leur palier

Si l’on regarde les forces en présence, seule une poignée de constructeurs chinois semble s’en sortir à peu près sur les marchés extérieurs. On parle évidemment de BYD, probablement la plus solide à date, de MG, de Geely (qui est davantage un consortium qu’une véritable marque), de Xpeng et éventuellement de Nio, ces deux dernières se faisant encore très discrètes sur le Vieux Continent. Même Aiways, un pionnier qui semblait avoir fait son trou par ici, semble connaître quelques difficultés.

Alors certes, nous ne sommes qu’aux prémices d’un marché très concurrentiel, mais la vague tant redoutée n’est pas encore arrivée, et les experts du secteur sont un peu comme Brice de Nice sur les galets avec son surf sous le bras : à force de guetter l’horizon ils finissent par rouiller sur place.

Et puis, BADABOUM ! Comme souvent dans ce type de marché récent et fortement convoité, un challenger arrive un peu de nulle part et rebat les cartes, provoquant un petit séisme. Tesla ? Oui, à sa façon. Mais la marque a déjà 20 ans est n’est plus vraiment une nouvelle venue. Et puis, si la séduisante californienne a révolutionné et retourné à sa façon le marché de l’automobile au sens très large, elle ne bouscule plus grand chose désormais dans celui de l’électrique (en tout cas en attendant de nouveaux modèles).

Non, je veux parler d’une autre marque, qui jusqu’à présent s’est plutôt illustrée dans les produits d’électronique grand public et high-tech, comme les smartphones, les montres connectées, les aspirateurs-robots ou encore les trottinettes électriques. En fait toute une série d’engins du quotidien qui accompagnent, facilitent et agrémentent la vie des générations X à Z.

Cette marque, vous l’avez compris, c’est Xiaomi.

Le succès météorique de Xiaomi dans la tech reproductible dans la voiture électrique ?

Je ne sais pas si vous réalisez, mais l’histoire de Xiaomi est assez dingue. Pour vous la faire courte, on ne parle pas d’un grand groupe historique comme peuvent l’être certains consortiums asiatiques tels qu’on les connait comme Sony, Samsung ou LG, qui font désormais partie du paysage. On parle d’une marque créée non pas il y a un siècle ou même 50 ans, mais en… 2010. Et que le geek et dirigeant de médias Tech que j’étais à l’époque a littéralement vu naître sous ses yeux. Le chemin parcouru depuis ? Un seul exemple : Xiaomi, qui était à l’origine une agence de développement d’applications pour Android est devenu le deuxième constructeur mondial de smartphones dans le monde, derrière Samsung et devant Apple. En seulement 11 ans, puisque cette performance date de 2021.

Quel rapport avec Apple ? Pas grand chose, mais quelques signes qui indiquent que Xiaomi n’est pas tout à fait une entreprise chinoise comme les autres. D’abord dans sa façon d’aborder le marché, qui montre des similarités avec la firme de Cupertino. Plutôt que de chercher à inventer de nouveaux produits au destin hasardeux, le groupe chinois se concentre sur ce qui existe, opère une étude approfondie à 360 degrés, et sort sont propre produit avec la promesse de faire plus et mieux que l’existant, à des tarifs contenus, sans pour autant se situer sur l’entrée de gamme. Une stratégie qui a plutôt bien fonctionné jusqu’à présent, et pas seulement en Chine. Amusez-vous à regarder autour de vous : une grande partie des trottinettes électriques, des bracelets connectés ou des aspirateurs-robots que vous allez croiser sont signés Xiaomi.

Autre similitude avec Apple, les fameuses keynotes (conférence de lancement de produits) animées par le boss de la marque, Lei Jun, qui adopte un peu les mêmes codes gestuels et vestimentaires popularisés pour l’éternité des geeks par Steve Jobs, y compris le “One more thing” final. Il se dit même que dans son mimétisme, Xiaomi aurait copié certains designs de la marque à la pomme. Seule note dissonante, le recrutement en 2013 d’Hugo Barra, en provenance non pas d’Apple mais de l’ennemi juré, Google, et plus précisément de sa division Android.

Quel rapport avec notre sujet ? J’y viens. Après avoir mené un teasing assez habile depuis une paire d’années, Xiaomi a enfin dévoilé officiellement sa première voiture électrique. Autrement dit, le chinois est allé au bout de son projet, contrairement à Apple, qui a finalement renoncé.

La Xiaomi SU7 est donc une berline qui semble née des amours cachées entre une Porsche Taycan et une Tesla Model 3, tant sur le plan design que du point de vue des performances. Il y a pire comme ascendance. Et le buzz qui tourne sur les réseaux sociaux depuis ce lancement il y a quelques jours est juste phénoménal. On reconnait les signaux qui annoncent qu’un truc important est en train de se passer quand on ne peut pas ouvrir X ou YouTube (ou même LinkedIn, réputé pourtant à l’épreuve des modes éphémères) sans tomber sur un post ou une vidéo parlant de cette SU7. Mais le truc qui ne trompe pas, c’est quand le buzz – auquel nous participons à notre modeste échelle – dépasse largement les cercles des médias, des analystes et des passionnés d’automobile pour toucher le grand public. Exactement comme quand Apple a lancé l’iPhone en janvier 2007, et que la déflagration a littéralement fait sortir le smartphone du milieu des nerds et des passionnés de gadgets tech pour toucher de plein fouet le grand public, avec les conséquences que l’on mesure encore 17 ans plus tard sur le fonctionnement de la société.

Quand on achète Xiaomi, on n’achète pas un produit chinois, mais un produit tendance

Clairement, Xiaomi a tapé fort et semble pour le moment avoir réussi son coup. Avec un important avantage concurrentiel reposant sur le fait que c’est déjà une marque connue, populaire et éprouvée, ce qui lui confère un indice de confiance auquel aucune autre marque chinoise de voitures électriques ne peut prétendre, pas même BYD. Bien sûr, le tarif invraisemblable – en tout cas pour le lancement sur le marché chinois – de cette très alléchante SU7 y est pour beaucoup puisque l’on parle de moins de l’équivalent de 30 000 euros pour la version d’entrée de gamme. Des tarifs dont on sait qu’ils sont tirés au maximum au détriment des marges pour prendre rapidement une grosse part de marché. Mais il n’y a pas que cela. La hype autour de cette marque a toujours été importante et favorable, même quand elle lançait une nouvelle trottinette ou une nouvelle tablette. Les éditeurs de médias tech peuvent en témoigner, puisque Xiaomi figure parmi les marques qui comptent quand on parle de chiffre d’affaire généré par l’affiliation dans leur section e-shop.

De la sorte, Xiaomi pourrait même avec cette SU7 attirer une partie des électromobilistes qui étaient encore réticents à passer du côté obscur de la force en achetant chinois. Car quand on achète Xiaomi, on n’achète pas vraiment un produit chinois, mais un produit tendance. C’est peut-être la seule enseigne chinoise à avoir réussi cette prouesse, avec DJI pour les drones. Pour les locaux, la question est entendue puisque le carnet de commandes est déjà bouclé pour 2024, mais il se pourrait que si la bête débarque en Europe un jour, le phénomène se répète, comme il s’était répété quand l’iPhone est arrivé en Europe en décembre 2007 après son lancement aux US en juin de la même année.

Il reste maintenant à connaître les retours des premiers acheteurs et les premiers vrais essais de la presse auto qui ne tarderont pas à affluer sur YouTube et consorts dans les prochaines semaines pour évaluer objectivement le potentiel de l’engin, en termes de qualité, de performances, d’autonomie et d’efficience, et confirmer ou pas si le marché de la voiture électrique va enfin connaître son moment iPhone. Il reste aussi la question du réseau de distribution, encore inexistant par ici. Mais rappelons qu’Apple n’avait non plus aucun Apple Store en Europe au moment du lancement de l’iPhone, même si bien sûr les deux marchés en sont pas intégralement comparables puisqu’Apple s’appuyait sur les opérateurs téléphoniques et internet pour diffuser son produit.

Mais certains signaux ne trompent pas, et pourraient indiquer que nous sommes à l’aube d’une nouvelle donne dans le secteur.