station recharge

Les investissements massifs dans les entreprises spécialisées dans les réseaux de stations de recharge se multiplient. Le  point sur les dernières levées de fonds.

La recharge de voitures électriques est une affaire d’industriels “historiques” mais aussi de start-up qui se sont emparées de ce marché prometteur pour y injecter de l’agilité et de l’innovation. Et accessoirement y trouver fortune. Car c’est aussi une histoire de gros sous. Et qui dit gros sous dit investissements conséquents et retours sur investissements dans un temps relativement long.

D’où la nécessité, quand on est une jeune pousse et que l’on ne s’appelle pas Total ou Engie, d’aller chercher des financements pour assurer une croissance rapide, en attendant une probable rentabilité, qui pourrait ne pas arriver avant plusieurs années (cinq ans ? Plus ?).

C’est la démarche qu’ont adopté nombre de jeunes entreprises françaises nées avec l’émergence de l’électromobilité et le développement exponentiel des ventes de voitures électriques et hybrides rechargeables. Ce qui a contribué à déclencher et alimenter une dynamique dans laquelle des investisseurs n’hésitent pas à miser des sommes conséquentes sur une équipe et un projet, comme dans les meilleures années des start-up de l’internet, de la tech et du numérique.

A la différence près que dans l’écosystème de la recharge électrique, les investissements lourds se justifient par des besoins quantifiables et concrets en foncier et en infrastructures de recharge fiables et accessibles. D’autre part, ces entreprises doivent innover en permanence pour proposer des services de mobilité électrique toujours plus performants et attractifs pour les utilisateurs. La différence se situe alors sur les besoins en ingénierie, sur la capacité à trouver du foncier bien situé et à nouer des partenariats, et bien sûr sur la capacité à financer tous ces actifs coûteux. Avec en contrepartie l’avantage de devenir propriétaire de « surfaces commerciales » garantissant à terme des revenus récurrents en provenance d’une clientèle captive et abonnée, et rassurant justement les investisseurs, qui mettent parfois un petit billet pour la valeur du foncier autant que pour celle de la start-up.

Parmi les investisseurs de ces levées de fonds, on retrouve des acteurs majeurs de l’industrie de l’énergie et des transports, tels que Total, E.ON, Volkswagen, Daimler, BMW et Engie, ainsi que des fonds d’investissement spécialisés tels que Yara Growth Ventures, Korelya Capital et ETF Partners. Ces investisseurs sont attirés par le potentiel de croissance de ces entreprises, ainsi que par la transition vers des modes de transport plus durables et respectueux de l’environnement.

C’est ainsi que ces dernières années, et plus encore post-Covid, des sommes toujours plus importantes ont été levées par diverses entreprises du secteur de la recharge. Toutes n’ont pour autant pas levé des centaines de millions, mais chacune à sa façon, selon ses besoins et son réseau d’investisseur, participe à développer et consolider un secteur qui fait sa place dans l’économie nationale et européenne.

C’est l’occasion de faire un point annuel sur les dernières levées de fonds, et sur les cumuls des plus anciennes, car souvent une même entreprise réalise plusieurs tours de tables successifs étalés sur plusieurs années.

Ionity toujours sur la première marche du podium

Même si on ne peut pas réellement considérer Ionity comme une start-up du fait de sa structure capitalistique de départ, le consortium d’origine allemande reste encore (mais pour combien de temps ?) le champion toutes catégories des levées de fonds, avec un apport cumulé en capitaux extérieurs de près de 700 millions d’euros. Bien que fondé à l’initiative d’un consortium composé de marques automobiles allemandes, américaines et coréennes telles que BMW, Ford, Hyundai-Kia, Daimler, Volkswagen, Audi et Porsche, il est intéressanr de noter que l’investissement le plus significatif est venu de BlackRock, l’un des plus grands fonds d’investissement et de gestion d’actifs au monde, qui a contribué à hauteur de 500 millions d’euros.  La dernière levée de Ionity date cependant de fin 2021, mais le réseau semble faire bon usage de cet apport en argent frais quand on regarde le rythme auquel s’ouvrent les nouvelles stations en France et en Europe.

Bump, un démarrage à 180 millions

Bump est un peu le petit nouveau, ou le challenger de l’écosystème. Mais un challenger aux dents longues et avec une vision claire. Ce qui lui a valu de trouver les arguments pour convaincre les investisseurs de risquer par moins de 180 millions d’euros dans l’aventure. Plutôt que de viser une implantation visant le grand public avec des bornes haut-débit sur le réseau routier, La jeune start-up fondée en 2021 se focalise sur une offre dédiée aux entreprises et professionnels, en finançant l’installation des bornes et en se rémunérant à l’usage. Une approche différente qui lui vaut la confiance de son investisseur DIF Capital Partners.

ZePlug prend 240 millions pour aller là où les autres ne vont pas

Autre acteur d’importance, ZePlug a un peu surpris tout le secteur en annonçant aussi en septembre 2022 une levée record de 240 millions d’euros. Un montant d’autant plus surprenant – et méritoire – que ZePlug ne se positionne pas sur le marché des stations de recharge haut débit du secteur routier mais sur l’installation de bornes dans les copropriétés. Un marché certes en tension et en demande, mais qui reste cependant un peu en-dessous des radars de l’actualité de la recharge, alors qu’il y a tant à faire, avec 7 millions de places de parking à équiper en copropriété. Bon, n’oublions pas quand même que ZePlug a été fondé en 2014 (la préhistoire dans ce secteur) et qu’elle est l’une des start-up françaises pionnières dans la recharge électrique.

Driveco dans le club des 250 millions

Dernière grosse levée de fonds en date, annoncée fin avril 2023, celle de Driveco, un acteur pionnier dans la recharge de véhicules électriques en France qui vient d’obtenir 250 millions d’euros auprès d’APG, un des principaux investisseurs institutionnels mondiaux. Driveco compte exploiter plus de 60 000 points de recharge en Europe d’ici 2030, dans le cadre des objectifs de l’Union européenne « Fit for 55 ». Cette levée de fonds est également soutenue par ses actionnaires historiques, notamment Mirova Eurofideme 4 et Corsica Sole. Le grand public connait peut-être un peu moins Driveco que des Ionity ou Fastned, et pourtant l’entreprise a déjà déployé plus de 8 000 points de recharge électrique sur l’ensemble du territoire français. Son activité a d’ailleurs évolué, puisqu’elle est passé de la construction et l’exploitation de stations de recharge pour le compte de tiers à la gestion en tant qu’opérateur de stations propriétaires.

D’autres levées de fonds à surveiller

Autre levée de fonds récente, mais moins massive, celle de Electric 55 Charging, qui vient de recevoir 10 millions d’euros pour accélérer son développement tout en lançant une nouvelle filiale. Electric 55 Charging est spécialisée dans les solutions de recharge en collaboration avec les collectivités, et propose une offre clé en main qui facilite le déploiement de solutions de charge dans des lieux privés ouverts au public tels que des centres commerciaux, des hôtels, des supermarchés, des campings ou des copropriétés.

Enfin, une levée de fond un peu plus atypique, et dont le montant n’a pas été dévoilé, concerne une start-up britannique, Switch EV, une jeune pousse basée à Londres spécialisée dans le développement de solutions logicielles. Ce qui est intéressant dans cet investissement réside dans le fait qu’il ne s’agit pas cette fois d’un réseau de stations de recharge mais d’ingénierie logicielle mise à disposition des opérateurs pour favoriser le déploiement de solutions de recharge intelligentes telles que le Plug & Charge ou encore le V2L. C’est le gént ABB via sa filiale ABB E-mobility qui a investi dans Switch EV.

Outre ces dernières levées, rappelons que suite à différents tours de table ayant permis de réunir des sommes rondelettes, ceux qui étaient encore des challengers il y a un ou deux ans sont déjà devenus des valeurs sûres avec des déploiements tous azimuts, déjà de nombreuses stations ouvertes et opérationnelles, et une solide roadmap. C’est le cas notamment d’Electra (175 millions levés en deux tours au cours des 24 derniers mois), Power Dot (150 millions il y a pile un an), Allego (145 millions aussi en 2022), Fastned (225 millions en 2022 pour un total de 310 millions en une dizaine de tours de table sur 10 ans). Rappelons aussi qu’outre-Atlantique le marché s’active aussi, puisque Electrify America avait obtenu 450 millions de dollars (433 M€) en juin dernier auprès de Siemens.

L’ensemble de ces levées de fonds “pionnières” resteront certainement comme la première étape marquante dans l’accompagnement de la transition énergétique automobile en France et ailleurs. D’autres viendront sûrement, de la part de nouveaux acteurs, pendant que les premiers entrants commenceront à récolter les fruits de leurs lourds investissements. Il faut cependant rappeler que – hormis ZePlug – nous parlons ici d’un marché qui ne représente que 10% des recharges de véhicules électriques, celles que l’on effectue en route lors de déplacements longs. Les 90% restants se faisant à la maison et en entreprise. Ce dernier marché est plus difficile à appréhender pour de grands groupes car très morcelé et essentiellement adressé par des PME locales. Mais, à l’instar de ZePlug, il faut certainement s’attendre à ce que de nouveaux acteurs émergent et attirent les investisseurs sur ce segment qui ne manque pas de susciter des convoitises.

D’autre part, contrairement à ce que certains pensent peut-être un peu par réflexe pavlovien quand on parle de levées de fonds, il ne s’agit très certainement pas d’une bulle. Et si toutefois c’était le cas, il y a peu de chances que celle-ci éclate un jour, puisque cette croissance est essentiellement générée et entretenue par un objectif et une réglementation européenne qui vise à remplacer intégralement les voitures thermiques par des électriques. Certains objecteront qu’une croissance forcée par une réglementation n’est pas une vraie croissance. Dans ce cas, l’histoire de l’économie est certainement remplie de fausses croissances qui ont créée de vraies richesses.