Ford est le premier constructeur automobile à obtenir l’autorisation de faire circuler en conduite autonome son SUV électrique sportif sur certains axes autoroutiers de Grande-Bretagne. Nous avons pu tester la solution, retour sur nos impressions et explications.

Alors que la législation en France concernant les différentes étapes de la conduite semi-autonome et autonome semble au point mort, de l’autre côté de la Manche, ça bouge ! En effet, Ford a été autorisé à activer un mode de conduite autonome sur certaines autoroutes de Grande-Bretagne.

Nous avons été conviés par le constructeur pour tester cette technologie Ford BlueCruise que n’importe quel propriétaire de Mach-e peut d’ores et déjà activer à bord de son véhicule, moyennant un équipement technique spécifique et un abonnement. 

Voyons en quoi cette technologie Ford BlueCruise se distingue déjà de l’Autopilot chez Tesla,  ou encore de la techno Drive Pilot de Mercedes.

Un Mustang Mach-e de série tout juste “débridé” 

Commençons d’abord par préciser quelque peu la condition d’accès à la technologie BlueCruise. En effet, celle-ci est pour l’heure réservée aux propriétaires de Mustang Mach-e produits après novembre 2022. En cause, l’équipement qui doit intégrer une série de capteurs. Rien de bien particulier toutefois puisqu’on se parle ici de choses désormais classiques : 

  • La ceinture de capteurs à ultrason utilisés dans les manœuvres de parking ; 
  • Les capteurs à longue portée intégrés aux quatre coins du véhicule qui sont eux utilisés pour la détection de véhicule dans les angles morts
  • La caméra installée au sommet du pare-brise, chargée de lire les panneaux de signalisation de vitesse, ainsi que le marquage au sol.

En revanche, nous avons posé la question et les caméras intégrées dans le bas des rétroviseurs (offrant la vue aérienne à 360 degrés lors des manœuvres de parking) ne sont pas utilisées pour améliorer encore le centrage sur la voie ou détecter des obstacles. 

Il y a toutefois un dispositif à l’intérieur du véhicule et qui fait une grande différence, à savoir une caméra infrarouge visant la tête du conducteur. Elle est disponible depuis les premières versions de la version du Mustang Mach-e, mais elle n’avait jusqu’à présent aucune utilité. Désormais, c’est LA pièce maîtresse qui a permis à Ford d’obtenir l’agrément lui permettant de proposer sa technologie BlueCruise.

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Comme vous pouvez le voir donc, aucun capteur n’a été ajouté aux véhicules de série et c’est pourquoi les équipes de Ford travaillent d’ores et déjà à intégrer BlueCruise aux modèles de Mach-e produit avant 2022, sous réserve toutefois que ceux-ci soient équipés, au choix, du “Tech Pack” ou “Tech Pack Plus”. 

Quoi qu’il en soit, comme évoqué plus avant, pour en profiter, il faut souscrire à un abonnement. La bonne nouvelle c’est que Ford vous offre 90 jours d’essai lors de votre première inscription. La moins bonne nouvelle, c’est que l’abonnement est tout de même facturé £17,99 (21 € environ) par mois. Ce n’est donc pas donné, mais ce choix de facturation a au moins l’avantage d’être sans engagement et activable à souhait – pourquoi pas à l’occasion de départs en vacances.

Une conduite “autonome” de niveau 2+

Avant de passer à notre essai routier, apportons quelques précisions sur le niveau d’assistance de notre Mach-e. Rappelons que la SAE (Society of Automotive Engineers) International) catégorise les technologies d’assistance à la conduite selon six niveaux. De 0, exempte de toutes assistances, au niveau 5 définissant un véritable véhicule autonome, alias un taxi robot, sans pédale ni volant. 

Des paliers intermédiaires existent naturellement et chacun est cumulatif avec le précédent : 

  • Un niveau 2 qui permet d’ôter (temporairement) les mains du volant dit “hands off”. Un niveau qu’on retrouve aujourd’hui sur de nombreux véhicules, mais la législation impose de garder les mains sur le volant et c’est pourquoi un message d’alerte survient rapidement et toute utilisation abusive peut aller jusqu’à une coupure de l’assistance par exemple.
  • Un niveau 3 qui permet même de quitter la route des yeux dit “hands off / eyes off”. Ce dernier est le premier véritable niveau de la conduite robotisée.
  • Le niveau 4 permet de faire autre chose, autrement dit de ne plus porter attention sur la route. Celui-ci est appelé “hands off / eyes off / mind off”. Néanmoins, à tout moment une personne installée au poste de conduite doit pouvoir reprendre la main. 

Sur chacun de ces niveaux s’appliquent ensuite une ou plusieurs couches permettant de définir les conditions routières telles que le type de routes, les conditions de circulation ou encore la responsabilité du conducteur, voire l’implication d’un téléopérateur. C’est en effet ce qu’on imaginait déjà en 2017 chez Nissan avec le concept SAM (pour Seamless Autonomous Mobility) qui s’associait à l’époque avec la NASA pour créer un lien à très faible latence entre un centre de contrôle et un véhicule autonome afin de porter secours à ce dernier dans le cadre d’une situation qu’il ne saurait géré. Un dispositif que nous avons vu à l’œuvre et c’était impressionnant de voir un véhicule piloter par un opérateur situé à des centaines de kilomètres de distance. 

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Bref, tout cela pour dire que si vous pensez l’Autopilot de Tesla très abouti, il existe des projets bien plus impressionnants encore chez les acteurs historiques et à n’en pas doute, c’est Ford qui marque ici l’histoire avec son Mach-e qui répond à un niveau 2+ . Oui, il s’agit bien d’un niveau intermédiaire défini par Ford et la SAE pour ce véhicule capable de gérer l’accélération, le freinage ainsi que la trajectoire, mais qu’il revient au conducteur de garder les yeux sur la route, car il reste responsable de ce qu’il se passe et il doit être en mesure de reprendre la main à tout moment.

Toutefois, contrairement à ce qui existe sur de nombreux véhicules, il n’est pas nécessaire de garder la main sur le volant pour ne pas se faire rappeler à l’ordre et cela change tout.

Au volant, l’expérience est très convaincante 

Pour tester sa technologie, nous avons pris place à bord de notre Mach-e au siège du constructeur, à Stratford, en périphérie de Londres. A partir de là, direction l’autoroute M11 pour rejoindre l’une des nombreuses “blue zones”. Ces zones bleues traduisent les portions d’autoroutes donc la lettre est d’ailleurs systématiquement le “M”, pour lesquelles le constructeur a obtenu l’approbation d’activer sa techno Blue Cruise.

En l’occurrence, les “blue zones” représentent 6 300 km de routes pré-cartographiées en Angleterre, Ecosse ou Pays de Galles. Installé à nos côtés sur le siège passager, l’expert de chez Ford nous précise qu’aucune surcouche cartographique n’a été appliquée aux cartes implémentées en série dans le Mach-e. Par le passé, certaines démos auxquelles nous avons assisté faisaient appellent à des cartographies enrichies et des capteurs GPS différentiels étaient intégrés dans les véhicules pour lui assurer une précision quasi millimétrique. Ici aussi la redondance des capteurs serait nécessaire, mais dans une moindre mesure par rapport à un véhicule autonome de niveau supérieur. On ne nous en dira pas plus, justifiant une nouvelle fois que le conducteur reste responsable de ce qu’il se passe. 

Une fois arrivé sur autoroute, il suffit d’activer les aides à la conduite par une simple pression sur le bouton du régulateur de vitesse adaptatif. Il n’est dès lors plus nécessaire d’accélérer ou de freiner. Notre véhicule scrute ensuite son environnement, analyse le marquage au sol et sitôt que les conditions sont viabilisées et que vous circulez sur l’une des “zones bleues”, un message “hands free” apparaît à l’écran. On peut alors ôter les mains du volant sans craindre qu’un message nous rappelle à l’ordre après une poignée de secondes. 

Et là, la magie opère. Ce système d’aide à la conduite de niveau 2, déjà pas si mal en série sur Mach-e, s’exprime désormais pleinement… et en toute légalité. La vitesse de consigne appliquée lors de l’activation de la délégation de conduite est tenue au kilomètre-heure près tant que les conditions de circulation le permettent. A noter que la vitesse maximale de l’utilisation de cette fonctionnalité est de 130 km/h.

Rien de surprenant que ce régulateur soit aussi efficace dans le maintien des distances de sécurité, mais on apprécie toujours autant, tout comme les freinages assez souples et des relances bien dosées.  En d’autres termes, nous assistons là à une conduite coulée sur une autoroute sur laquelle nous traversons aléatoirement des zones fluides, denses et même embouteillées. Chapeau ! A aucun moment nous ne nous sommes sentis inquiets à l’idée de lui laisser pleinement le contrôle, pas même lors d’un épisode de pluie ou les capteurs ont continué de faire leur office. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous avons même reçu à l’écran des alertes signalant que nous étions en approche d’une zone de travaux, mais la technologie ne s’est pas coupée immédiatement pour autant. Dans le cadre du test qui nous occupait ici et sur cette phase de découverte en situation nous avons toutefois été tenté de reprendre la main tout en ayant l’impression que la correction de trajectoire était toujours bien activée.

En tout cas, ce message en temps réel nous a permis de constater une certaine forme de maturité du service qui s’appuie par ailleurs sur des services d’information trafic connectés, indispensables eux aussi dans le déploiement des technologies de conduite autonome et semi-autonome. L’avenir sera sans doute aussi l’occasion pour Ford d’activer ses fonctionnalités de communication V2V (véhicule à véhicule) pour rendre encore plus efficaces et rassurantes ces phases de délégation de conduite.

S’il nous fallait partager quelques regrets, ce serait le fait de ne pas avoir pu éprouver la technologie sur une autoroute plus sinueuses. La portion de la M11 empruntée ici n’affichait pas un tracé particulièrement complexe, en tout cas pas selon nos impressions sur le moment.

Autre petit regret, en l’état actuel de la technologie, notre Mach-e ne pouvait pas changer de voie pour dépasser, se rabattre ou aborder une sortie comme une insertion sur lesdites autoroutes. De l’aveu même des équipes de Ford, il s’agit là de la prochaine étape de l’évolution de la techno et ils y travaillent. Toutefois le cadre légal de l’utilisation de BlueCruise devra le permettre pour l’implémenter ensuite dans les voitures.

Quoi qu’il en soit, pour nous qui avons déjà pu éprouver bon nombre de technologies de conduite autonome, dans les rues de Las Vegas derrière le volant de prototypes totalement autonomes développés par Valeo, Navia ou encore Nvidia, mais aussi sur circuit à bord d’une Audi RS7 lancée à près de 200 km/h ou encore dans des Volvo très impressionnantes aussi, sans oublier les Mercedes et, bien sûr, les Tesla lorsque l’Autopilot profitait d’une vaste latitude dans son comportement, l’expérience vécue à bord de ce Mach-e est particulièrement plaisante.

Pour l’essentiel de notre trajet de test, nous nous sommes très vite senti rassurés, sans doute aussi parce que, hormis quelques autos qui se sont intercalées un peu brusquement entre nous et le véhicule de devant, nous n’avons pas dû faire face à une situation de freinage d’urgence par exemple. Cependant, un épisode pluvieux s’est invité à la fête et même s’il nous faut avouer être resté vigilant sur le moment, tout s’est très bien passé. De toute façon, si notre Mustang avait eu des doutes sur sa visibilité, elle nous aurait aussitôt repassé la main. 

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Une caméra infrarouge qui évite les mauvais comportements

Comme nous le disions plus haut, la présence de la caméra infrarouge intégrée derrière le volant est l’un si ce n’est LE dispositif qui a permis à Ford d’obtenir son agrément. C’est lui qui s’assure que le conducteur installé derrière le volant garde les yeux rivés sur la route. Ce qui est amusant, c’est que d’une certaine manière, cette technologie BlueCruise en devient plus stricte encore que les aides à la technologie intégrées de base à la Mustang. En effet, avec ce capteur désormais actif, sitôt que vous détourner votre regard de la route d’à peine 10 secondes, un message d’alerte survient vous demandant de regarder la route. 

“Watch the road”, vous ordonne l’électronique par un message à l’écran. Nous n’avons pas essayé de pousser plus loin ces alertes survenues alors que nous tournions volontairement la tête vers le côté passager, que nous utilisions notre smartphone ou même que nous fermions les yeux derrière une paire de lunettes de vue solaire aux verres teintés.

Ici, nous avons fermé les yeux et on peut apercevoir l’alerte “watch the road” sur l’instrumentation

Pour ce dernier cas de figure, il semblerait qu’il existe une limite au fonctionnement de la caméra infrarouge et des verres trop sombres pourraient empêcher à la caméra de s’assurer que vos yeux sont ouverts et portés sur la route.  

Ci-dessus, les messages d’alertes qui surviennent rapidement sitôt qu’on détourne le regard ou qu’on place un smartphone (ou un autre objet, cela à fonctionné aussi avec notre caméra) devant les yeux.

Ford BlueCruise : le bilan de notre expérience

De retour à notre point de parking, il nous faut bien reconnaître que l’expérience s’est avérée concluante. Intéressante et très efficace même dans les situations rencontrées. A défaut de vous permettre de vous reposer un peu lors d’un long trajet, elle vous permettra de relâcher (sans doute) la pression et plus important encore, vous évitera des montées de stress lorsqu’il faudra traverser des embouteillages. Test à l’appui, la techno s’est montrée suffisamment performante pour entretenir une discussion en anglais avec notre expert de chez Ford sans aucune inquiétude si ce n’est une petite appréhension de ne pas faire d’impair en conduite manuelle pour nos premiers kilomètres parcourus de l’autre côté de la route… et de la voiture.

Très curieux et plutôt passionnés par les projets liés à la conduite autonome, nous aurions aimé rencontrer plus de situations compliquées pour en savoir plus sur les limites de BlueCruise. En l’état, même si nous avons eu de la pluie, nous n’avons pas pu apprécier le comportement de Mach-e lors d’un trajet autoroutier de nuit, par exemple. Pas plus que sur une route avec un marquage au sol dégradé. Ford nous indiquait que la voiture sait appréhender ces situations dans une certaine limite, mais justement, ces limites, lesquelles sont-elles ?

Quoi qu’il en soit, avec cette nouvelle démonstration, le constructeur américain nous prouve une nouvelle fois son expertise sur le sujet de la voiture autonome. Des projets que nous suivons – et que nous testons aussi parfois – depuis plus de 10 ans chez Ford avec des choses allant du stationnement automatique à la conduite 100% autonome avec des véhicules capables de communiquer avec l’infrastructure ou les autres véhicules sur la route en passant par l’évitement automatique d’obstacles. Autant de choses que la marque teste un peu partout sur les routes, comme sur son complexe M-City, une sorte de ville recréée pour développer ses technologies de conduite robotisée en partenariat avec l’université du Michigan.

Quoi qu’il en soit, si cette technologie est active, testée et disponible depuis le mois d’avril 2023 en Grande-Bretagne sur près de 6 300 km d’autoroutes, BlueCruise est massivement testée en Amérique du Nord. Le constructeur indique que ce sont plus de 200 000 véhicules Ford et Lincoln qui utilisent cette technologie et qui, en date du mois de mai 2023, auraient déjà parcouru plus de 100 millions de kilomètres avec zéro accident à déplorer.

Mais que fait la France ? Pour conclure avec une projection plus proche de notre situation, si la législation ne permet donc toujours pas d’envisager de type de délégation de conduite sur nos routes, les équipes de Ford nous ont indiqué que si une loi était mise en place, nos “blue zones”, c’est à dire où nous pourrions activer la technologie “BlueCruise”, représenteraient environ 22 000 km sur le réseau autoroutier français. Pas mal, non ? D’aucuns diraient qu’il serait temps que les constructeurs français se mettent à la page pour que les pouvoirs publics traitent réellement ce sujet qui, par ailleurs, permettrait sans doute de faire baisser le nombre d’accidents sur nos routes. Et ne vous y trompez pas, nos constructeurs justement ont eux aussi accès à des technologies de pointe et très qualitatives créées par l’équipementier français Valeo. Nous avons aussi eu l’occasion de rouler pendant des kilomètres sur la A13 à bord de prototype Renault capables de communiquer avec les barrières de péage… mais tout cela n’est resté qu’à l’état de prototype. Dommage, non ?