Recharge Porsche Taycan(photo : Eric Dupin)

Alors que les opérateurs de recharge semblent se mettre enfin en ordre de bataille pour développer leurs réseaux, quid de la recharge en ville ?

Vous avez probablement remarqué une caractéristique courante de l’imagerie « populaire » autour de la voiture électrique dans la communication des constructeurs : les images statiques (catalogue, site web) la représentent la plupart du temps dans le contexte d’une famille en maison individuelle, alors que les images dynamiques (vidéos, pubs TV…) la représentent en milieu urbain.

En gros, il faut donc comprendre que le possesseur de VE réside dans un joli pavillon d’architecture moderne lové au sein d’une banlieue chic et verdoyante, mais qu’il travaille et fait ses courses en ville.

Et bien sûr, grâce à la magie de la réclame, l’heureux individu ne connaît absolument pas les affres de la recharge en ville puisque son garage est équipé de la sacro-sainte wallbox permettant de faire le plein d’électricité de son carrosse pendant la nuit alors que toute la petite famille s’est donné rendez-vous au pays du marchand de sable.

Ne riez pas, c’est la même chose dans les forums utilisateurs, d’où il ressort que nombre d’entre eux semblent correspondre également à ce portrait, à en croire les réponses fréquemment lues ici ou là aux questions liées à la recharge : « Ben tu recharges la nuit chez toi, c’est pas un souci ».

Bref, on dirait que la voiture électrique est un truc de résident périurbain en maison individuelle ayant depuis longtemps déserté le centre-ville.

Dans la réalité, cela ne se passe pas exactement comme ça.

Car pour une bonne partie des personnes résidant en centre-ville, la recharge d’une voiture électrique reste un problème, voire une contrainte probablement dissuasive. Il y a d’une part les résidences avec parking, qui, malgré le droit à la prise, traînent des pieds pour installer des bornes de recharge, ou même seulement en autoriser l’installation en réunion de copropriété. Il y a les immeubles anciens qui ne possèdent tout simplement pas de parking, et il y a les parkings publics qui ne proposent pas de dispositifs de recharge, ou en nombre et de puissance insuffisants. Un exemple ? Quatre pauvres bornes 230V dans un parking de 464 places à Lyon, installées sur les places handicapés (oui oui) et désormais totalement prises d’assaut vu l’augmentation de la part des VE dans le parc automobile.

80 % de la population française réside en ville

C’est un peu gênant quand on sait que 50 millions de personnes – plus des trois quarts de la population française – habitent en ville, dont la moitié en habitat collectif, selon les données 2016 de l’Insee, alors que la recharge de véhicule électrique s’effectue à 90 % au domicile ou au travail. C’est ballot : seuls 7 % des Français vivant en copropriété disposent d’une borne de recharge dans leur parking.

Alors bien sûr il y a la crise du Covid, les confinements successifs et le « monde d’après » qui semblent plaider pour un exode massif vers des cieux plus cléments en périphérie ou à la campagne, donc en maison individuelle, mais on parle d’une tendance qui mettra certainement des années, voire des décennies à se concrétiser, si toutefois c’est le cas.

En attendant, il serait de bon ton que les opérateurs se mobilisent pour offrir des solutions de recharge en milieu urbain. Après tout, il y a bien des stations-service dans le cœur des villes, même elles sont aussi en voie de disparition.

Si l’on fait un état des lieux des possibilités de recharge en ville, bien sûr elles existent, mais elles restent éparses, et semblent surtout correspondre à un usage nomade. C’est le cas des recharges à destination (Tesla ou autres) dans certains hôtels de luxe, souvent réservées à la clientèle ou des chargeurs installés dans les parkings de centres commerciaux. Pour revenir sur Tesla (désolé), la marque américaine semble commencer à s’intéresser à la question, en déployant quelques Superchargeurs au cœur des villes, mais cela reste exceptionnel et ne concerne pour le moment que quelques grandes métropoles américaines comme New York, Boston, Chicago ou San Francisco.

Il y a donc également les parkings publics, mais l’offre est souvent insuffisante (pas assez de bornes) et sous-dimensionnée (pas assez de puissance, souvent du 230V).

Dans un autre registre, les bornes de recharge du réseau Autolib démantelé devraient être reprises par un opérateur pour être transformées en bornes publiques. Cela ne concerne malheureusement que Paris, alors que l’équivalent lyonnais Bluely semble bel et bien à l’abandon, sans projet équivalent.

Enfin, on peut encore citer le projet Stations-e, qui ambitionne de proposer des « stations-service » en se focalisant en priorité sur un réseau urbain, avec de nombreux services connexes.

Autant de solutions qui vont dans le bon sens, mais qui sont encore loin de répondre à la demande des résidents en centre-ville, qui aimeraient pouvoir charger facilement « chez eux » ou à proximité, pendant la nuit, et en toute sécurité pour eux et pour leur voiture. Encore une fois, la clé est certainement à trouver du côté du politique, qui s’est heureusement déjà emparé de la question pour proposer des mesures concrètes et volontaristes.

Mais cela ne suffit pas. La difficulté de recharger en ville est certainement un frein important à l’adoption de l’électrique. Un chantier à investir rapidement, sous peine de voir les parts de marché du VE plafonner rapidement, quand tous les résidents en maison individuelle qui envisagent de faire leur mue vers l’électrique seront équipés.

À moins que l’on ait décidé de bannir totalement la voiture de la cité, quel que soit son mode de propulsion. Dans ce cas, il vaut mieux le dire clairement et sans détour.

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