Intérieur BMW i4

Pourquoi les constructeurs doivent reprendre les codes des thermiques pour imposer l’électrique.

Le marché de la voiture électrique est en pleine croissance. Et nous ne sommes probablement qu’au tout début d’un cycle qui va s’étendre et s’amplifier sur plusieurs décennies.

S’il séduit de plus en plus de monde, il n’en reste pas moins qu’une partie non négligeable des automobilistes semblent encore réfractaires à ce mode de propulsion. Il faut dire que les freins à l’adoption du 100% électrique sont encore nombreux, entre réseaux de recharge insuffisamment denses et fiables, autonomie des voitures toujours trop courte pour la plupart, et différence de prix d’achat par rapport à un équivalent thermique. D’aucuns mettent également en avant des raisons environnementales – non sans une certaine mauvaise foi – arguant du fait que les batteries sont une catastrophe écologique, de la production à la fin de vie.

Ça c’est pour les raisons “objectives”. Celles qui concernent un public pour qui la voiture n’est pas un objet de passion mais un simple moyen de déplacement individuel.

Il y a cependant une autre catégorie d’automobilistes, que l’on pourrait qualifier de “bagnolards” sans que cela soit aucunement péjoratif, pour qui la voiture électrique est une aberration en termes de caractère et de plaisir de conduire. Ce sont généralement des adeptes de la performance et de la puissance, mais pas que. On trouve aussi dans leurs rangs des fervents défenseurs d’un certain art de vivre automobile peuplé de belles carrosseries, de mécaniques rageuses (et sonores) et d’orfèvrerie en matière de design intérieur. Une population pour qui une voiture électrique, même la plus huppée, n’est qu’un “iPad sur roues”, ou mieux, un “aspirateur à bitume”. Ou un truc d’écolo (ce qui est faux, en fait).

En tant qu’individu, on peut évidemment se gausser de cette attitude, se draper dans sa vertu de puriste de l’électrique en prenant de haut cette catégorie d’automobilistes “du passé”. Quand on est un de ces nouveaux entrants sur le marché et que l’on fonctionne en mode start-up, il est également envisageable de tirer un trait sur le passé et de proposer des autos résolument innovantes, sans liens avec les caractéristiques qui ont façonné l’histoire de la voiture. Et d’attirer une nouvelle clientèle qui n’a que faire de la tradition.

Quand on est un constructeur historique, c’est une autre paire de manches. Car le mépris n’a jamais constitué un bon plan marketing. Et ignorer un pourcentage non négligeable de clientèle potentielle au motif que celle-ci n’a pas les codes et qu’elle est seulement résistante au changement pourrait bien faire perdre des parts de marché qui seraient ensuite très difficiles à reconquérir.

Alors, que faire pour inciter ce type d’automobiliste à passer à l’électrique ? Peut-être proposer des voitures qui ne soient pas trop “disruptives”, et qui perpétuent certains codes de l’automobile afin de rassurer cette clientèle en lui fournissant ce qu’elle attend d’une “vraie” voiture.

Quelques ingrédients du passé pour assurer le futur

Les critères sont relativement faciles à identifier. Il s’agit essentiellement de caractéristiques faisant appel aux sens, comme la sonorité de la mécanique, la ligne, le design intérieur, et notamment celui de la planche de bord et des places avant, et les qualités routières. La performance entre également en ligne de compte, mais on sait que sur ce chapitre, l’électrique surclasse la plupart du temps son équivalent thermique.

On sait que les constructeurs travaillent sur ces aspects, notamment les marques historiques, car ils savent que c’est à ce prix qu’ils garderont leurs clients, et qu’ils les conduiront sur le chemin de l’électrique. C’est ainsi que les premiums allemands travaillent avec les plus grands designers sonores pour doter leurs modèles d’une sonorité qui évoque à sa façon celle du thermique, en plus discret évidemment. Mais ils ne s’arrêtent pas là. S’ils ont intégré les canons de la modernité électrique dans le design intérieur de leurs modèles, tous privilégient cependant un certain classicisme dans la présentation générale. Ainsi une Porsche Taycan s’inspire du design intérieur des… premières 911, alors qu’une BMW i4 propose une planche de bord très proche de sa sœur thermique. On notera au passage qu’absolument aucun constructeur n’a repris l’idée de la planche de bord vide avec une seule tablette centrale de la Tesla Model 3. Une continuité nécessaire qui va même jusqu’à la dénomination des modèles. Ainsi, toujours chez Porsche, n’a-t-on pas hésité à baptiser deux versions du Taycan “Turbo” et “Turbo S”. Ce qui n’avait pas manqué de déclencher les moqueries de ceux qui ignoraient l’histoire de la marque et de sa stratégie de nommage, mais qui au bout du compte ne suscite plus aucun commentaire, démontrant que l’idée, certes audacieuse, n’était au final pas si saugrenue.

J’ai aussi été frappé de constater, en parcourant récemment les forums et les discussions des réseaux sociaux, que la Kia EV6 semblait remporter une majorité de suffrages, et plus particulièrement chez ceux qui n’ont pas encore franchi le pas, voire même qui sont relativement hostiles à la voiture électrique. Avec ce modèle, le constructeur coréen semble avoir réussi cette parfaite alchimie qui consiste à rendre une voiture électrique attirante, non pas parce qu’elle est électrique, mais parce que c’est une auto non clivante, et, quelque part, rassurante. Ce qui n’interdit pas un certain caractère.

La course à la modernité pour la modernité, sans réflexion de marché, est un piège dans lequel nombre de grandes marques – et pas seulement automobiles – sont souvent tombées, avec de cuisants échecs à la clé (Renault Avantime, Google Glass, TV 3D…). C’est probablement un très mauvais choix marketing que d’ignorer la part de sa clientèle qui la plus réfractaire au changement. Car elle l’est souvent pour des motifs assez irrationnels qu’il est assez aisé de déconstruire avec un peu de pédagogie. C’est a contrario une bonne option de prendre cette donnée en compte pour éduquer et inciter ses clients les plus difficiles à franchir le pas, car il y a des chances pour que ceux-ci comptent ensuite parmi les plus fidèles.