Putaclic

(image : GreenMeansGo – Wikimedia Commons)

Le sujet de la voiture électrique est une garantie d’audience pour les médias et les réseaux sociaux. Seule condition : en dire du mal.

“Mentez, calomniez, il en restera toujours quelque chose”.

Cette citation d’origine obscure que l’on attribue tantôt à Francis Bacon, tantôt à Beaumarchais, et parfois même… au camarade Staline, pourrait pourtant avoir été inventée récemment par les armées – aux rangs de plus en plus clairsemés – des électro-sceptiques.

Parmi ces derniers, certains médias pourtant réputés sérieux ne sont pas en reste, comme nous avons eu l’occasion de le pointer il y a seulement quelques semaines. Mais cet été, nous avons eu droit à une sorte de feu d’artifice de mauvaise foi, qui, espérons-le, avait tout du bouquet final.

Il n’y a d’ailleurs pas que les particuliers anti-VE dont la voix a porté haut et fort ces dernières semaines. D’autres ont aussi fait les unes des médias digitaux et des réseaux sociaux – ou ont essayé de les faire – avec des sujets réputés vendeurs. Ou plus précisément, un sujet en particulier. Force est de reconnaître que chez les électro-sceptiques il y a quand même de sacrés champions quand il s’agit de manipuler l’opinion.

Malveillance, ignorance, maque d’expérience ? Retour sur un été qui se voulait meurtrier, mais dont les protagonistes ont souvent tiré à côté. Ou à blanc.

France Info met les doigts dans la prise… et se fait foudroyer

Pas la peine d’en rajouter des tonnes ni de tirer sur l’ambulance, la vénérable chaîne publique d’information continue le fait très bien elle-même. Le très agaçant et déjà fameux reportage du 22 juillet relatant un trajet de 450 kilomètres entre Paris et Pornic a fait les belles heures de tous ceux qui se délectent à passer le véhicule électrique au lance-flammes. Et a énervé tous les autres, dont nous faisons partie. Notamment à cause de cette affirmation d’un électromobiliste de passage sur une station de recharge, auquel le journaliste de France Info a tendu son micro sans réagir, prétendant qu’il lui a fallu 6 heures de recharge et 3 arrêts pour parcourir 600 kilomètres (!)

Rien n’est évidemment précisé, ni la marque ni le modèle de voiture, ni les conditions de roulage. Mais le mal est fait : pour celles et ceux qui ne connaissent pas très bien la question et ont une confiance naturelle dans les affirmations de France Info, l’électrique c’est l’enfer. Le reste de l’article est à l’avenant, même si la conclusion du journaliste est au final étonnamment plutôt favorable à la voiture électrique. Un point rassure cependant : parmi les très nombreuses réactions et commentaires qu’a suscité ce reportage, la grande majorité s’inscrit en faux et en conteste les affirmations, chiffres et preuves à l’appui. Concernant le prix, comme l’indique un internaute dans les commentaires, “Sur le coût de recharge, prendre une borne de recharge rapide à ce prix sans avoir la capacité de l’utiliser relève de la méconnaissance la plus complète.”

Il n’est évidemment pas question ici de dénigrer gratuitement un confrère. Seulement de pointer le fait que cette expérience a probablement été menée par un reporter qui ne connaissait pas très bien le sujet, ou au mieux, qui l’a exposé sans intention malveillante, mais à tout le moins de façon quelque peu maladroite.

Fremantle Highway, l’incendie qui enflamme la polémique

Un cargo transportant des voitures électriques et thermiques qui prend feu au large des côtes néerlandaises ? C’est la faute aux voitures électriques, bien évidemment, vous vous attendiez à quoi ? Et pourtant, comme l’explique notre collègue Valentin Cimino dans un article récent de debunk, la réalité est peut-être légèrement différente. En effet, si la cause de l’incendie du cargo Fremantle Highway au large des Pays-Bas n’a pas encore été officialisée, la piste des véhicules électriques commence à être écartée. Les médias néerlandais viennent de rapporter l’analyse des experts suite à de nouvelles inspections ayant eu lieu le 11 août 2023.

Le navire se dirigeait de Bremerhaven, en Allemagne, à Singapour lorsqu’un incendie s’est déclaré à bord le 25 juillet 2023. Tragiquement, l’incident a entraîné un décès, et les survivants ont dû être secourus à l’aide d’hélicoptères et de canots de sauvetage. Initialement, des spéculations ont émergé de la part d’un employé de Shoei Kisen Kaisha, la société japonaise propriétaire, l’homme évoquant une possible implication d’un véhicule électrique dans le déclenchement du feu. Cependant, ces allégations étaient dépourvues de preuves tangibles.

À l’heure actuelle, le cargo est amarré à Eemshaven, aux Pays-Bas, et les premiers éléments commencent à émerger. Bien que la cause exacte de l’incendie reste à établir, l’hypothèse de la voiture électrique est désormais écartée. Une récente inspection du Fremantle Highway a révélé que les ponts inférieurs étaient largement intacts et que les conteneurs contenant les véhicules électriques étaient en bon état, ainsi que l’a souligné Peter Berdowski dans une déclaration relayée par le média australien The Driven.

En l’état actuel de l’enquête, il convient de rester prudent sur les causes de l’incendie, mais une chose est certaine, et il est crucial de le répéter autant de fois qu’il le faudra, les voitures électriques s’enflamment beaucoup moins que les thermiques. En revanche, et c’est probablement de là que vient la confusion, un incendie de batteries est beaucoup plus difficile – voire impossible – à circonscrire sans un équipement très spécifique.

Un propriétaire sur deux de voiture électrique vivrait l’enfer sur terre

Alors celle-là c’est un peu la blague de l’année. Mais c’est aussi du pain bénit pour tous les médias en manque d’infos sensationnelles pour remplir leurs pages dans la torpeur de l’été. Le titre est tout trouvé et vous assure un taux de clic intersidéral dans Google Actualités, jugez plutôt : “54 % des propriétaires de véhicules électriques regrettent leur choix”.

Un pourcentage très étonnant quand on connait les résultats d’autres précédentes études sur le sujet, qui affirment que près de 10 possesseurs de voiture électrique sur 10 sont parfaitement satisfaits de leur choix et que 99% d’entre eux ne reviendraient jamais au thermique. Et même si c’est un peu moins selon les sources, on est très loin des résultats du sondage YouGov qui a fait les unes début août.

L’étude en question a pourtant été commandée par une entreprise sérieuse, Monta, spécialisée dans les solutions de gestion de recharge pour voiture électrique, dont nous avions reçu le Country Manager France dans un épisode de notre podcast en Mars dernier. Pourquoi une telle entreprise se tirerait-elle une balle dans le pied de la sorte ? Il faut décrypter. Tout d’abord, le fameux sondage ne concerne que 618 personnes, et – comme souvent avec les sondages – la façon dont la question était posée conditionnait grandement les réponses : “Les récentes augmentations des coûts d’utilisation d’un VE/Hybride rechargeable vous ont-elles fait regretter l’achat/la location d’un VE/Hybride rechargeable ?” Le tout dans un contexte de défiance suite à l’augmentation de 10% du prix de l’électricité en France. De plus l’étude ne précise pas le pourcentage de propriétaires d’hybrides et d’électriques. Pour bien saisir le sens de cette étude il faut tenir compte de tout le contexte dans lequel évolue Monta, qui milite justement pour faire sauter les freins – notamment logistiques et tarifaires – à l’électrification. Si l’on prend le temps de lire entre les lignes, on comprend très vite que les réponses sont seulement représentatives de l’humeur générale à un moment donné, et qu’elles ne parlent absolument pas du produit lui-même (la voiture) mais uniquement du contexte économique dans lequel s’inscrit l’électromobilité. Malheureusement, comme souvent, la grande majorité du public ne retiendra que les titres. Et les 54%… Le mal est fait.

Tesla mentirait sur l’autonomie réelle de ses voitures

L’affaire a fait grand bruit également au début de l’été. Selon un informateur lié à Tesla, le constructeur américain manipulerait l’affichage de l’autonomie de ses voitures, et aurait mis en place une stratégie de découragement et d’évitement des clients qui se plaignent d’une autonomie inférieure à celle annoncée. Selon les informations, la marque américaine aurait intentionnellement induit en erreur en ce qui concerne l’autonomie de ses véhicules électriques. Les faits remonteraient à une décennie environ, et une source proche de l’entreprise a confié à Reuters que le logiciel responsable de l’évaluation de l’autonomie aurait été truqué. En pratique, l’algorithme exagérait l’autonomie disponible jusqu’à ce que la batterie atteigne environ la moitié de sa capacité. À partir de ce point, les estimations devenaient plus réalistes, s’alignant progressivement avec la réalité.

Si c’est vrai, c’est effectivement pour le moins préoccupant. Bien sûr, une fois de plus, les médias et les anti-VE se sont rapidement rués sur cette révélation idéale pour faire du clic sur les réseaux sociaux et vilipender la voiture électrique. Sauf que cela ressemble plutôt à un non-événement. En effet, comme l’explique notre collègue Soufyane dans cet article très détaillé, l’indication de l’autonomie des voitures électriques est un art délicat fondé sur des données très fluctuantes, et probablement l’une des sciences les plus approximatives de la technologie moderne. Bien sûr, le fait que cela tombe sur Tesla est toujours plus vendeur en termes de bad buzz que s’il s’agissait de Dacia ou d’une obscure marque chinoise, mais c’est paradoxalement Tesla qui fournit le plus de données sur l’état de la batterie et l’autonomie restante. Car, en plus de l’affichage permanent – selon la norme américaine EPA – en kilomètres restant ou en pourcentage de batterie (au choix, on peut basculer entre les deux d’un tap sur l’écran), Tesla affiche un ensemble de graphes et de données qui s’actualisent en temps réel en fonction d’une multitude de paramètres. Au final, il n’y a pas un indicateur d’autonomie dans les Tesla, mais… 7. Au conducteur ensuite de faire marcher son cerveau pour prendre en considération celui qui correspond le mieux à son usage et sa conduite du moment. C’est à ma connaissance la seule marque qui propose des données de consommation et d’autonomie aussi complètes et précises.

Ce qui ne la dédouane des accusations d’une éventuelle tricherie. Mais alors il faudra également étudier en détail les pratiques des autres constructeurs. Avec à la clé peut-être aussi quelques surprises…

D’autres sujets liés à la voiture électrique ont fait les gorges chaudes d’internet au cours des dernières semaines, comme par exemple les spéculations autour de la future Tesla Model 3, auxquelles Automobile Propre a aussi apporté sa contribution, mais de façon factuelle, contrairement à certains articles totalement surréalistes sur cette actualité en cours.

Alors, pourquoi tant de défiance vis-à-vis de l’électrique ?

Probablement en raison d’un mélange de sentiments, qui vont de la résistance au changement à une réaction d’opposition à la future obligation d’acheter électrique à partir de 2035. Tant que la voiture électrique restait un sympathique truc de geek légèrement farfelu qui n’embêtait personne et surtout qui n’était pas imposé à moyen terme, cela ne posait pas de problème. Mais avec la montée en puissance du secteur depuis deux ans, et, il faut bien le dire, la communication très agressive de tous les constructeurs sur l’électrification, le sujet s’est politisé, et comme souvent en politique, les positions se radicalisent. A tel point que l’on en arrive à trouver de plus en plus fréquemment sur Twitter – et même sur LinkedIn, pourtant réputé plus sérieux – des affirmations considérant désormais la voiture électrique comme l’une des pièces d’un grand complot mondial (lequel, on ne sait pas, par contre). J’ai récemment lu l’explication d’un sociologue affirmant qu’il s’agissait là d’un comportement humain courant : moins les opposants à une tendance sont nombreux, plus forte est leur opposition. Et donc, plus bruyante. Et du coup on pense qu’ils sont plus nombreux.

C’est humain. Rappelons-nous que certains affirmaient à la fin des années 90 qu’internet ne marcherait jamais. Ni les téléphones portables.