e-tron

Dans la course effrénée à l’électrification, certains constructeurs semblent avoir perdu le fil dans le nommage de leurs gammes et de leurs modèles. Un petit nettoyage ne ferait pas de mal.

Vous pensiez que les services marketing des grandes marques automobiles étaient des machines de guerre capables d’anticiper nos goûts avant même que nous les ayons nous-même identifiés ? Que les constructeurs dépensaient des sommes folles auprès d’agences spécialisées dans le naming pour trouver le meilleur nom à chacune de leurs gammes et chacun de leurs modèles, que celui-ci soit universel, facile à retenir, et sans signification ambiguë ou ridicule dans une langue donnée ?

C’est certainement vrai. Mais la déferlante de l’électrique est passée par là, et la déflagration a été telle que même les marques les plus huppées semblent avoir perdu leur latin dans cette espèce d’urgence à redéfinir leurs gammes et sortir de nouveaux modèles qui s’intercalent ou viennent compléter les thermiques. Une cohabitation pour quelques années encore qui ne facilite pas vraiment les choses du point de vue de la nomenclature, et qui doit provoquer quelques migraines du côté des bureaux et des services marketing. Du coup, comme une famille devenue d’un coup trop nombreuse et qui serait issue de plusieurs mariages, il devient difficile d’y retrouver les siens, jusqu’à parfois confondre les prénoms.

Les constructeurs semblent d’ailleurs prendre conscience du bazar ambiant, et les annonces se succèdent, indiquant qu’un peu de rangement et d’organisation vont être entrepris. En attendant, voici l’état des lieux. Vérifiez quand même à tout hasard s’il vous reste quelques Dafalgan.

Audi va continuer à commettre des impairs

Commençons par la marque d’Ingolstadt, qui semble avoir un peu de mal avec ses gammes. On passera sur la bonne vanne autour de l’appellation e-tron qui traine depuis une dizaine d’années et qui commence à sentir un peu le réchauffé. Cela étant, on continue à s’interroger sur la genèse de cette dénomination, en se demandant si le service ou le prestataire de nommage chargé de cette gamme avait vraiment vérifié sa signification dans toutes les langues, et plus particulièrement dans celle de Molière.

Ensuite, le nommage des gammes actuelles d’Audi est devenu illisible, entre les chiffres par modèle comme 35 TFSI ou 40 TDI qui évoquent une cylindrée alors que pas du tout. A côté de cela vous avez donc les électriques e-tron. Mais cela ne suffit pas, car cela serait trop simple. Voici donc les e-tron GT et RS GT, puis la e-tron Q4 et e-tron Q4 Sportback. Soit. Mais c’est encore trop simple, donc hop voici la e-tron… tout court. Ah mais non, on me dit dans l’oreillette que la e-tron tout court devient la e-tron Q8. Mais alors la Q8 thermique disparait, n’est-ce pas ? Raté, elle est toujours au catalogue. Et la e-tron tout court ? Pareil, toujours au catalogue. Débrouillez-vous avec ça, vous avez retrouvé vos Dafalgan ?

Bon, du coup, le constructeur, conscient du binz ambiant, a enfin décidé de mettre un peu d’ordre dans sa prestigieuse lignée. Dans les années à venir, la gamme Audi va fondamentalement évoluer avec le déploiement de l’offre électrique en parallèle des modèles thermiques. Pour les distinguer plus facilement, toutes les Audi électriques porteront des chiffres pairs. Concrètement, à l’avenir, Audi ne souhaite pas avoir sous la même appellation un modèle thermique et un autre électrique. Le choix a donc été fait d’attribuer les chiffres pairs aux électriques et les impairs aux thermiques et toute cohabitation ne sera que transitoire. Ainsi, la remplaçante thermique de l’A6 adoptera le nom d’A7, laissant la place à l’A6 eTron. Idem pour la remplaçante de l’A4 qui deviendra A5, mais accompagnée d’une A4 eTron. Du côté des SUV, Q4 et Q8 seront complétés dans quelques mois par le Q6 eTron. Pas sûr qu’on y gagne en visibilité, mais c’est peut-être une question de temps et d’adaptation. En attendant, reprenez donc un ou deux Dafalgan.

BMW met les points (et des chiffres) sur les i

Chez BMW on n’est pas vraiment mieux loti. L’élargissement des gammes, d’abord en hybride, puis vers l’électrique, a causé une sorte de tsunami des appellations dans lequel même une chatte ne retrouverait pas ses petits. Entre les e, les i, les iX, les M, les xDrive, les 3, les 5 et les 7, c’est véritablement devenu très compliqué d’y comprendre quelque chose. La marque Bavaroise a donc également décidé de réagir en tentant de simplifier sa nomenclature. Les électriques deviendront pour leur part i118, i430, i450, i550, i760 ou pour les SUV iX130, iX230, iX450 ou iX760. Exit les mentions sDrive ou eDrive, mais l’appellation xDrive restera présente en suffixe pour les modèles 4 roues motrices : i530 xDrive, iX130 xDrive.

Comme vous le constatez, c’est tout de suite beaucoup plus clair. Reprenez donc… non, rien.

Mercedes, une histoire d’EQ

Mercedes est l’une des marques, voire si cela n’a pas changé ces dernières années, la marque automobile ayant la plus large gamme de modèles au monde. Inutile de dire que le nommage doit donner à ses responsables un aperçu de l’enfer sur Terre. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, les électriques se sont invitées dans la famille recomposée, ajoutant une branche turbulente à la dynastie. D’autant que Mercedes a pris la question à bras le corps et propose déjà une large gamme de voitures 100% électriques. Jusqu’à présent, cette gamme était caractérisée par la dénomination EQ suivie d’une troisième lettre indiquant le modèle. Ce qui donne donc une gamme électrique déjà composée de EQA, EQB, EQE, EQS, EQT et EQV. Mais là aussi il pourrait y avoir rapidement du changement ! Selon le média allemand Handelsblatt, le patron de Mercedes souhaite faire du ménage dans les appellations. Son intention serait notamment de supprimer la sous-marque Mercedes-EQ. Celle-ci ne devient en effet guère utile dans la mesure où Mercedes va devenir à la fin de la décennie un constructeur uniquement électrique. Et de la même manière, on imagine que les noms en EQ pourraient vite s’effacer pour laisser la place aux noms classiques, chaque modèle allant devenir électrique.

C’est un peu plus clair que chez Audi et BM, mais il se pourrait qu’on voit encore un peu flou pendant quelques années en poussant les portes d’une concession Benz (et pas binz).

Volkswagen se fait des ID

Chez Volkswagen, les choses semblent un peu plus claires. Dès le départ, le constructeur allemand a attribué une appellation générique à sa gamme 100% électrique, le désormais fameux ID, suivi d’un point et d’un numéro. On a donc l’ID.3, l’ID.4 et l’ID.5, avec une logique de gamme respectée et lisible. Une facilité qui provient aussi du choix pour le moment limité à trois modèles, qui sera complété dès 2025 par une ID.2. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes de la Deutsche Qualität. Sauf que… D’une part il va falloir régler la question de la e-up, vilain petit canard de la gamme, qui selon toute logique devrait être renommée en ID.1. Mais surtout, VW porte un long et lourd héritage avec des modèles mythiques comme la Golf, et dans une moindre mesure la Polo. Or, pour Thomas Schäfer, le patron de VW, il serait fou d’abandonner une appellation aussi célèbre, emblématique et reconnue que Golf. On peut alors se demander si la gamme ID n’est pas déjà en sursis, et que la prochaine itération de l’ID.3 ne deviendrait tout simplement pas… la Golf. Quant à l’ID.Buzz, joli nom, mais qui ne respecte pas la nomenclature, ce qui finalement colle assez bien avec sons statut à part.

Ford, le soft power électrique

Chez Ford, l’approche est un peu différente. Le constructeur américain a démarré discrètement son incursion dans le tout électrique avec la Mustang Mach-E, non sans un certain succès critique et commercial. Cette approche pragmatique à petits pas s’amplifie avec l’arrivée du F150 Lightning, dont les commandes dépassent tous les pronostics. Ford ne s’est pas trop posé de questions en nommant ces modèles avec leur nom d’origine, affublé d’une extension évoquant à la fois l’électricité et une certaine modernité. Mais les choses pourraient là aussi évoluer puisque l’américain ne cache pas ses ambitions dans le tout électrique en créant une division dédiée “Model e”, ce qui pourrait laisser penser que la prochaine gamme pourrait adopter une convention de nommage adaptée.

Concernant les autres constructeurs, un effort de clarification semble en bonne voie également, mais il reste toujours quelques exceptions. Chez Renault par exemple, l’appellation E-Tech semble de prime abord être dédiée à la courte gamme électrique. Que nenni, elle couvre également les hybrides. Du côté des coréens, Hyundai semble bien parti avec sa gamme électrique sous la marque Ioniq, avec le 5 et le 6, sauf que le Kona garde son propre badge, alors qu’il aurait pu être rebaptisé selon toute logique Ioniq 4. Idem chez Kia avec d’un côté l’EV6 et de l’autre la Niro EV.

Il y a certainement d’autres exemples de marques qui sont quelque peu empêtrées dans la nomenclature de leurs gammes, preuve du casse-tête que cette dernière représente à l’heure de la grande transition vers l’électrique.

Vivement 2035, qu’on y voie plus clair sans avoir à ouvrir le placard à pharmacie.