Route Sussex UK

L’autoroute n’est pas la meilleure amie de la voiture électrique. L’occasion de (re)découvrir nationales et départementales ?

À l’heure de l’inflation, de l’envolée du prix des carburants et du dérèglement climatique, l’idée même de « roadtrip » n’est peut-être plus vraiment d’actualité, a fortiori si l’on entend dans ce terme « brûler du carburant pour le plaisir de rouler ».

Sauf si l’on roule en électrique, bien sûr (je sais, c’est aussi une consommation d’énergie, mais sans émissions polluantes, bref vous m’avez compris quoi).

Or s’il est deux univers qui semblent incompatibles, ce sont bien ceux de périple routier de découverte (la meilleure traduction que j’aie pu trouver pour roadtrip) et d’autoroute. En fait, tout les oppose. La plupart du temps, l’autoroute est ennuyeuse, à de rares exceptions près construite à travers des paysages sans intérêt, et les pauses-café-pipi sont tout sauf une partie de plaisir, qui plus est en période de grandes migrations estivales. Sauf évidemment si l’on adore faire 20 minutes de queue devant la machine à café ou des toilettes à l’hygiène douteuse dans une aire de service prise d’assaut par une population égale à la moitié de celle de la Suisse.

À côté de cela, et même pas très loin du tout, il y a le charme discret et parfois quelque peu suranné des chemins de traverse de l’homme moderne, j’ai nommé les nationales et départementales. Pas besoin de parcourir des milliers de kilomètres pour retrouver le plaisir de musarder aux vitesses légales et de (re)découvrir des paysages parfois inattendus, en France, en Europe, ou dans n’importe quelle contrée ayant un réseau routier à peu près praticable.

Sortir de l’autoroute, une contrainte devenue un choix

Nous l’avons déjà vu, la voiture électrique induit une nouvelle approche du voyage, plus apaisée et plus contemplative. Les mauvaises langues diront qu’il ne s’agit pas d’un choix, mais d’une contrainte imposée par l’anxiété de l’autonomie qui commande que l’on roule lentement entre deux recharges, et donc que l’on évite l’autoroute. Peut-être. Toujours est-il que ce qui était à l’origine une contrainte est pour beaucoup d’électromobilistes devenu un choix, et que cette nécessité d’économiser la batterie leur a fait découvrir une autre façon de voyager. En fait, ils n’empruntent plus l’autoroute qu’en cas de nécessité absolue. C’est d’ailleurs d’autant plus un choix que nombre de voitures électriques permettent de parcourir facilement 300 à 350 kilomètres à 130 km/h et que rares sont désormais les tronçons autoroutiers de plus de 250 kilomètres sans stations de recharge à haut débit.

Le voyage en voiture électrique devrait être considéré d’une manière différente. Les autonomies plus courtes et les temps de recharge plus longs qu’un plein d’essence devraient être une excuse pour s’arrêter et visiter, plutôt qu’un obstacle à votre arrivée à destination. L’occasion de remettre au goût du jour cette vieille maxime : « Dans le voyage, ce qui compte, ce n’est pas la destination, c’est le voyage ».

Une tendance qui pourrait s’amplifier avec les menaces que font planer certains élus et militants écologistes sur les limitations de vitesse sur autoroute, puisque certains appellent de leurs vœux un passage à 120 km/h, voire 110 pour les plus radicaux. À ce prix, l’intérêt de devoir se séparer d’un rein à chaque déplacement autoroutier deviendrait très discutable en regard du temps gagné, sans compter évidemment le surplus de consommation, qu’il s’agisse de carburant fossile ou d’électricité.

La voiture électrique pour revitaliser les réseaux secondaires

Autant de raisons qui plaident pour une revitalisation du réseau secondaire. Un vœu pieux ? Peut-être. Mais on pourrait aussi imaginer des politiques publiques (et privées) qui favorisent le développement d’infrastructures incitatives favorisant l’électromobilité sur les nationales et départementales. Comment ? Vous me voyez venir : en déployant des réseaux de recharge sur les réseaux secondaires en plus (ou à la place) de ceux qui commencent à peupler les autoroutes. Et puis aussi en incitant les hôteliers, restaurateurs et lieux de passage (supermarchés) à installer des bornes de recharge à destination.

Alors certes, les collectivités locales et territoriales ont déjà franchi le pas et fait des efforts dans ce sens en installant les fameuses bornes devenues aussi incontournables que la boulangerie ou la mairie sur la place du village (et au vu de mes dernières expériences ça fonctionne et c’est rarement saturé). D’autre part, à quelques exceptions près, l’immense majorité des Superchargeurs Tesla sont implantés en dehors des autoroutes, mais tout cela est encore insuffisant.

Imaginons qu’il y ait autant de stations de recharge électrique sur la Nationale 7 qu’il y avait de stations essence dans les années 70, et cette belle endormie reprendrait certainement des couleurs, avec les conséquences vertueuses qui en découlent en termes de dynamisme économique des régions. D’ailleurs, si l’on regarde ailleurs, on voit par exemple que dès 2014, certains états américains traversés par la mythique Route 66 (un peu l’équivalent en désuétude de la N7 ici) ont activé une politique de déploiement de stations de recharge, ayant bien compris que l’electric way of life était parfaitement compatible avec l’esprit de flânerie qui règne sur ce parcours historique entre Chicago et Santa Monica. Un effort modeste, certes, mais un réseau qui n’a fait que se densifier depuis, attirant dans sa suite nombre d’opérateurs privés.

Bon d’accord, tout cela est très romantique, mais concrètement il reste deux obstacles.

D’une part, comme indiqué précédemment, l’essentiel de l’effort de déploiement des électro-stations se fait actuellement sur les grands axes autoroutiers. Ainsi, les Ionity, Fastned et autres TotalEnergies multiplient les ouvertures sur les autoroutes. Cependant, d’autres acteurs comme Electra ou Power Dot privilégient d’autres emplacements le long des routes. Idem pour Allego, notamment suite à son accord avec des géants de la grande distribution comme Carrefour.

D’autre part, hormis la promesse de temps gagné, un autre argument de poids plaide en faveur de l’autoroute, celui de la sécurité. En France, les autoroutes ne comptent que pour « seulement » 8,4 % de la mortalité routière, le reste de ce bilan toujours trop macabre se partageant entre réseau secondaire et agglomération.

Cela étant, l’amélioration des infrastructures et une conduite apaisée ont déjà convaincu de nombreux électromobilistes de quitter les autoroutes. Une tendance qui ne fera que s’amplifier avec le développement de l’électrique (12 % des immatriculations de voitures neuves en France en mai dernier, et surtout une progression de 30 % par rapport à la même période de 2021).

De quoi faire renaître les réseaux secondaires et tout un écosystème de commerces, lieux à visiter, lieux d’hébergement et de restauration.

Si la voiture électrique permet l’opportunité de voir se développer quelques alternatives locales, autrement dit le petit resto de bord de départementale plutôt que le McDo du prochain rond-point, ça sera toujours cela de gagné, non ?