Model 3 Tesla

Le succès massif de la Tesla Model 3 ne doit pas masquer une réalité pour certains rédhibitoire : en matière de qualité perçue, on est encore loin du compte.

« La Tesla Model 3 a été la voiture électrique la plus vendue en Europe en 2021. La Tesla Model 3 numéro 1 des ventes électriques en février 2022. Tesla boucle un trimestre record avec plus de 310 000 voitures livrées. Europe : carton plein pour Tesla en février… »

Ce ne sont que quelques titres récents d’Automobile Propre. Vous en voulez encore ?

Probablement pas. Car il ne vous aura pas échappé que les affaires ne marchent pas trop mal depuis quelque temps pour le constructeur californien, qui enquille record sur record dans le plus grand des calmes. Une réussite qui pourrait se confirmer et même s’amplifier avec l’arrivée de la Tesla Model Y, dont les chiffres de ventes pourraient même commencer à faire de l’ombre à ceux de la Model 3. Ce qui paraît somme toute assez logique, puisque c’est quasiment la même voiture, avec plus de place, un peu plus de confort (notamment pour y rentrer et en sortir en raison d’une garde au toit supérieure et d’une assise plus haute) et un hayon qui change clairement la donne en matière de chargement.

L’affaire est entendue, la Tesla Model 3 est une excellente auto électrique, peut-être la meilleure en termes d’efficience, de performances et de technologies embarquées, et la plupart de ceux qui y ont goûté affirment aujourd’hui qu’il leur paraîtrait difficile de passer à autre chose.

Oui mais… Si la berline compacte américaine a de sérieux atouts, il n’en demeure pas moins qu’elle pèche encore dans de nombreux domaines, et que ses points faibles la privent probablement d’un surplus de clientèle potentielle, clientèle pour laquelle certains défauts ou manques sont littéralement rédhibitoires. En fait, on reproche souvent aux autres marques – notamment les premiums allemands – de ne pas savoir faire de voitures électriques. L’inverse est peut-être vrai également : Tesla ne sait pas faire de premium. Et du coup, la question est peut-être plutôt de savoir qui rattrapera l’autre en premier.

La meilleure berline électrique, mais peut mieux faire

De quels points faibles parlons-nous ? Nous n’inventons rien, ils sont connus, reconnus et très largement documentés. D’une part, les finitions et la qualité perçue, d’autre part, l’absence obstinée et incompréhensible de certains équipements courants chez la concurrence, enfin, le design – ou plutôt l’absence de design.

Concernant la qualité des assemblages et des finitions, disons qu’elle est variable. Si elle était souvent très médiocre sur les premières générations de Model 3 livrées aux USA et au Canada en 2018, elle s’est déjà légèrement améliorée sur les versions arrivées en Europe début 2019, parmi lesquelles nombre d’unités ne souffrent pas de reproches particuliers. Selon les utilisateurs, les versions fabriquées en Chine constituant le gros du millésime dès 2021 ont franchi un sérieux cap, avec nombre d’améliorations dans les finitions, incluant notamment un double vitrage rendant la voiture plus silencieuse, car mieux insonorisée que les versions précédentes, réputées bruyantes à partir de 90 km/h. Il se dit que les prochains modèles issus de l’usine de Berlin pourraient être encore plus soignés, Deutsche Qualität oblige. On verra si c’est vraiment le cas dans de prochains tests.

Au sujet des équipements, même si les différentes mises à jour gratuites et poussées en WiFi permettent aux Tesla d’évoluer avec leur temps et de rester toujours au top de la technologie, il n’en demeure pas moins que certains manques commencent vraiment à se voir et à se faire sentir, d’autant que nous parlons d’équipements ou fonctionnalités disponibles chez la plupart des autres marques – électriques ou pas, d’ailleurs – à tel point qu’ils sont devenus banals.

Parmi ceux-ci on pense par exemple à l’absence de vue « oiseau » 360° lors des manœuvres de stationnement, à l’absence de vue perspective dans la navigation GPS, à l’absence d’une vue HUD en compensation de l’écran unique, sans parler de l’absence d’Apple CarPlay et Android Auto (même si on est d’accord pour dire que l’ensemble du système d’infodivertissement de la Model 3 remplace pratiquement l’essentiel des fonctionnalités de ces derniers). Dernier exemple, mais peut-être le plus agaçant, l’absence de contrôle séparé de la ventilation. Si cette séparation bizone existe bien pour le réglage de la température (chauffage-climatisation) elle est toujours aux abonnés absents concernant la ventilation, ce qui crée un inconfort devenant parfois insupportable entre conducteur et passager avant, et suppose d’invraisemblables circonvolutions pour tenter de compenser ce manque, comme orienter toutes les buses sur la même personne, ou vers le plafond, pour celui ou celle qui ne supporte plus de se prendre un flux d’air ininterrompu dans la figure. Il semblerait pourtant que l’activation d’une telle fonctionnalité pourrait se faire via une simple mise à jour logicielle puisque toutes les commandes de climatisation-chauffage sont gérées via l’informatique et l’écran tactile… À ce sujet, on évitera soigneusement le chapitre sur l’ergonomie parfois très limite en termes d’attention du conducteur, et donc de sécurité, de l’écran unique. Alors oui il y a les commandes vocales, et elles fonctionnent très bien, mais elles ne sont pas infaillibles et ne règlent pas tout, sans parler du fait que tout le monde n’a pas envie de parler à sa voiture, a fortiori avec des passagers à bord.

Enfin, côté design, le sujet est aussi subjectif que clivant, mais disons que si une Model 3 Performance avec toutes les options et la bonne couleur avec la bonne lumière peut réellement avoir de la gueule, il n’en va pas de même pour toutes les configurations (ces caches de roues aéro…), ce qui peut aussi rebuter certains acheteurs potentiels pour qui la ligne et l’aspect « luxe » comptent un peu quand il s’agit de mettre entre 50 000 et 70 000 euros dans une auto.

La clientèle premium ne veut pas d’une auto « bas de gamme »

Une fois ces constats posés, que devrait faire Tesla ? Loin de nous l’idée de mieux savoir que les premiers concernés comment piloter le destin (et les ventes) de celle qui est déjà devenue une icône de l’électromobilité. Disons seulement – et très humblement – que notre point de vue sur la question se fait à l’aune de notre expérience tirée des nombreux essais que nous réalisons au volant de la concurrence, et de notre propre utilisation et connaissance de la Model 3.

Si la majorité des ventes de la Model 3 se fait massivement sur la version entrée de gamme, et génère donc des marges réduites pour le constructeur, le marché est peut-être désormais mûr pour une Model 3 « Premium » (appelez-la comme vous voulez) reprenant les codes des véhicules statutaires que recherchent ceux qui aiment à la fois la technologie et la performance, mais qui ne sont plus contre l’idée de rouler électrique. Et cela permettrait au constructeur d’augmenter ses profits.

Bref, si Tesla veut capter une autre clientèle, il va falloir séduire cette part encore hésitante, qui provient peut-être de chez Audi et BMW, qui serait tentée par une Model 3, mais qui ne franchira jamais le pas en l’état actuel, car le fossé est trop grand en termes de qualité perçue, et de « statut ». Une tranche de clientèle qui ne franchira jamais le pas aussi parce que la Model 3 est désormais perçue – souvent à tort – comme la « petite Tesla pas chère », et que quand on met près de 70 k€ dans une Performance full specs, on n’a pas trop envie que son voisin pense qu’on roule dans une auto subventionnée à 30 k€. Et oui, en matière d’automobile aussi le regard des autres compte. On peut trouver cela stupide ou futile ou dépassé, mais cela reste une réalité.

Pour cela, il faut une version haut de gamme qui se distingue réellement des autres, de la même manière qu’une Audi RS se distingue d’une Audi 2L diesel. Cela passe par des finitions meilleures, un look extérieur réellement distinctif, des chromes (oui DES CHROMES !), des équipements pléthoriques et exclusifs, et une ambiance intérieure digne des meilleurs premiums teutons, à base de matériaux plus nobles et d’assemblages absolument irréprochables.

Après avoir enfin conquis un marché de masse, ce qui était le plan avec la Model 3, cette extension vers le vrai haut de gamme permettrait à Tesla de séduire – et probablement de fidéliser – des clients plus fortunés qui lorgnent du côté de l’électrique sans franchir le pas, car l’offre se résume actuellement à des voitures bien conçues et bien finies, mais trop justes en performances et en autonomie, et des Tesla hyper efficientes, mais trop pauvres en matière de finitions et de qualité perçue. Sans parler de tous ceux qui sont absolument allergiques à l’unique écran central, qui agit comme un repoussoir.

On nous rétorquera que la Model S remplit cette fonction. Certes, mais nonobstant ses indéniables qualités, c’est une auto vieillissante dont les ventes deviennent marginales, peut-être d’ailleurs aussi pour une question de rapport qualité-prix puisque la version de base est quand même à près de 100 000 euros, alors qu’une Model 3 Premium adresserait un segment de marché situé entre 60 000 et 80 000 euros.

En proposant une Model 3 Premium, Tesla résoudrait la quadrature du cercle, et ferait une fois de plus très mal à la concurrence, en investissant le secteur haut de gamme de la propulsion électrique. Reste à savoir si le luxe – et toutes ses implications commerciales et culturelles – est dans l’ADN des geeks de la Silicon Valley. Au risque de se faire déposséder de ce segment de marché par des concurrentes plus huppées, qui de leur côté sont en train de combler leur retard technologique…