AccueilArticlesStellantis : qui a « tué » Carlos Tavares ?

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Le dirigeant a quitté Stellantis plus d’un an avant son départ prévu.

« Seule la performance protège ». Cette unique phrase, répétée à l’envi par Carlos Tavares, peut résumer ses onze années à la tête de PSA puis de Stellantis. Mais aussi la soudaineté de son départ, jusqu’ici annoncé pour le début de l’année 2026.

Le communiqué publié par le géant automobile ce dimanche soir à l’heure du film énonce sans effusion : « le Conseil d’administration de la société, réuni ce jour sous la présidence de John Elkann, a accepté la démission de Carlos Tavares de CEO de Stellantis avec effet immédiat ». Dans le même document, l’un des administrateurs de Stellantis, Henri de Castries, évoque des désaccords entre le board et Carlos Tavares : « ces dernières semaines, des points de vue différents sont apparus, ce qui a amené le conseil d’administration et le CEO à la décision d’aujourd’hui ».

La Repubblica, quotidien italien propriété de John Elkaann, euphémisait ce lundi en évoquant un « divorce par consentement mutuel ». Certains voient dans ce départ une « éviction ». « Il (Tavares, ndlr.) a compris qu’il n’avait plus le pouvoir et il a claqué la porte » affirment anonymement d’autres.

Dans tous les cas, les derniers mois ont été riches en mauvaises nouvelles pour le géant automobile et ses 15 marques (Peugeot, Citroën, Opel, Fiat, Jeep…). Et ce vent mauvais a poussé au départ d’un des dirigeants les plus en vue du monde automobile.

Stellantis, c’est…

  • 189 milliards d’euros de chiffre d’affaires
  • 6,4 millions de voitures vendues
  • 271 000 employés
(chiffres 2023)

Trop de coupes ?

La stratégie menée par Carlos Tavares lors de ces années pourrait se résumer en un SMS : abaisser les coûts, accroître le panier moyen des clients. Ce Centralien, ex-numéro 2 de Carlos Ghosn chez Renault, était arrivé à la tête d’un groupe Peugeot-Citroën aux abois : 5 milliards d’euros de pertes en 2012, 2 milliards en 2013. Seules des injections de cash de l’État français et du partenaire chinois de l’époque, Dongfeng, permirent alors le sauvetage. Le nouveau patron engagea le groupe dans des coupes claires dans un plan baptisé « Back in the race ».

Ce volet répondait à un schéma déjà expérimenté chez Peugeot à l’époque du banquier Jacques Calvet, dans le sillage de la quasi-faillite du début des années 1980 : abaisser coûte que coûte les coûts.   

Et pour cela, tous les moyens ont été bons. Le nombre de salariés en France dévissa ainsi de 84 000 à 68 000 en trois ans, de 2014 à 2017. Il ordonna également de substantielles économies au service achat ou 150 millions d’euros de coupes au service recherche et développement alors mené par Gilles Le Borne (parti en 2020 chez Renault). D’ailleurs, les coups de pressions de ce manager « froid » ont produit quelques départs fracassants…

Et cela s’est aussi ressenti dans des relations difficiles avec le réseau. À long terme, cela a une incidence. Ainsi la dernière édition de la Cote d’amour des constructeurs – mesurant la satisfaction des concessionnaires et pro – Peugeot figure au 21ᵉ rang. Parmi les cinq derniers, on trouve quatre marques du groupe Stellantis (Jeep, Citroën, Alfa Romeo et DS). Beaucoup d’investisseurs ont pris des marques concurrentes dans leur panel, renforçant les adversaires…

La clientèle ?

Stellantis a connu ces derniers mois un gros problème. Celui des parts de marché. En septembre, le groupe conservait le deuxième rang sur le marché européen des voitures neuves… mais dévissait de 26 % par rapport à l’année précédente. Dans le même temps, Toyota progressait de 4 % et Volkswagen restait stable (+1 %).

Part de marché de Stellantis en Europe :

  • Septembre 2021 : 18,4 %
  • Septembre 2022 : 16,6 %
  • Septembre 2023 : 17,2 %
  • Septembre 2024 : 13,3 %

Ce plongeon peut être mis sur le compte d’une politique tarifaire très ambitieuse, second volet du SMS évoqué ci-dessus. En se basant sur des chiffres fournis par Jato Dynamics, Reuters a estimé à « presque 40 000 euros » le prix moyen des voitures vendues par Stellantis en Europe pendant ce mois de septembre, là où Renault plafonnait sous les 29 000 euros.

Ce qui pourrait être une bonne nouvelle cache en fait une angoisse : cette hausse du panier moyen détourne des consommateurs estimant avoir souffert de l’inflation et prudents sur les perspectives face à l’électrification.

On touche là aux limites de la politique de valeur prônée par Carlos Tavares depuis son arrivée à la tête de Peugeot au début de l’année 2014. Elle lui avait valu jusqu’ici les louanges quasiment unanimes de la presse économique et les lauriers de « sauveur » de Peugeot.

Le destin de deux modèles illustre le problème. Quelques mois après sa sortie, le récent Peugeot 3008 s’est écoulé à 20 000 exemplaires en France avec un prix d’entrée de plus de 38 000 euros. La génération précédente — immense succès et moins chère — avait engrangé le double d’immatriculations six mois après son lancement.

Les stocks se sont accumulés ces derniers mois, en Europe comme aux États-Unis.

Donald Trump ?

La tignasse blonde du nouveau président américain a-t-elle balayé Carlos Tavares ? Lors d’une visite dans l’État clé du Michigan, Donald Trump avait réagi sur une éventuelle délocalisation de la production de la marque RAM vers le Mexique.

« Dites à Stellantis que s’ils envisagent de déménager, nous leur appliquerons des droits de douane de 100 % sur chaque voiture… et ils ne bougeront pas », avait déclaré le candidat républicain le 1ᵉʳ novembre dernier.

Chris Feuell, le patron de Chrysler et RAM a eu beau expliquer que la production mexicaine de pickups devait s’additionner à celle Sterling Heights, dans la banlieue de Détroit, l’argument à fait mouche.

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D’autant que Stellantis connaît aussi de graves difficultés sur ce marché, avec des ventes en recul, des stocks pleins et des négociations toujours aussi difficiles avec les syndicats. Carlos Tavares avait même interrompu ses vacances cet été pour se rendre à Détroit.

Shawn Fain, le directeur du syndicat United Auto Workers (UAW) a salué le départ du manager portugais : « un pas important dans la bonne direction pour une entreprise qui a été mal dirigée et une main-d’œuvre maltraitée ». Le départ de Carlos Tavares pourrait souligner la volonté du bord de Stellantis de repartir sur de nouvelles bases…

L’Italie ?

Là non plus, ils ne sont pas très nombreux à pleurer le départ du patron de Stellantis. « J’ai parlé avec John Elkaann qui m’a communiqué la démission de l’ex-administrateur délégué », a confirmé la présidente du Conseil, Giorgia Meloni sur le plateau de l’émission Quarta Repubblica.

Adversaire affiché de Carlos Tavares, son ministre du made in Italy, Alfredo Urso espère l’ouverture d’une « nouvelle phase » dans les relations entre le gouvernement et Stellantis et le retour à 1 million de voitures produites dans la Botte.

Les arrêts de travail dans l’usine de Mirafiori, les déboires commerciaux de Maserati ou la mise au frigo du projet d’usine de batteries de Termoli suscitent aujourd’hui bien des rancœurs. « Il s’est trompé sur tout, avec arrogance et a généré un désastre », résumait ce lundi le leader centriste Carlo Calenda, évoquant les cinq années du mariage entre Fiat-Chrysler et PSA.

La détestation envers le CEO traversait l’arc politique, comme l’a montrée la récente et mouvementée audition de Carlos Tavares au Parlement italien. L’homme d’affaires avait répondu aux accusations souvent agressives et parfois imprécises de ses interlocuteurs de la majorité comme de l’opposition dans son style habituel, maniant des chiffres et brandissant un tableur Excel.

Il invitait par ailleurs ses interlocuteurs à lire son plan Dare Forword 2030, « disponible en ligne » (effectivement, NDLR), afin de mieux comprendre la stratégie du groupe. Un ton professoral qui déplaît forcément dans un pays où l’on regrette la dilution des intérêts du Turin et de Fiat dans l’immense groupe Stellantis.

L’émission satirique Un giorno da pecora, diffusée par RAI Radio 1, a traduit l’état d’esprit médiatique en chanson ce mardi après-midi :

À Carlos Tavares, ils donnent 100 millions Après sa démission Ste-ste-stellantis, Ste-ste-stellantis (…) Les ventes s’écoulent, ainsi que les immatriculations Ste-ste-stellantis, Ste-ste-stellantis La seule chose en croissance, c’est le chômage technique Ste-ste-stellantis, Ste-ste-stellantis (…)

Rappelons tout de même ici que le groupe Fiat-Chrysler (FCA) était bien mal embarqué au moment de son rapprochement avec PSA. Après une longue période de sous-investissement sous l’ère Sergio Marchionne, le groupe n’était, par exemple, pas en mesure de respecter les normes d’émissions européennes, créant même un pool avec Tesla pour éviter les amendes de Bruxelles.

De même, la quasi-totalité des plateformes FCA utilisées sur notre continent a été abandonnée (la Fiat 500, l’Alfa Romeo Tonale ou le duo Stelvio/Giulia faisant exception) au profit des structures multi-énergies de PSA. On reconnaît sans peine les traits d’une Peugeot 208 dans une Lancia Ypsilon…

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Mais le premier actionnaire de Stellantis demeure Exor, la holding de la famille Elkaann-Agnelli. La lignée fondatrice de Fiat détient 15 % du groupe contre 7,5 % à la famille Peugeot ou 6,5 % à la banque publique d’investissement tricolore Bpi France.

La surprise de dimanche soir indique peut-être une mise au point de Turin en direction de Paris. Mais les parlementaires italiens sont tenaces. Le Parti Démocrate (centre-gauche) comme Fratelli d’Italia (ext. Droite) pressent désormais le président John Elkaann de s’expliquer devant eux sur le futur de l’industrie transalpine. Cette fois, Carlos Tavares ne fera pas tampon.

La voiture électrique ?

Autrefois adversaire de l’interdiction de la vente des véhicules thermiques neuves en 2035, Carlos Tavares militait récemment en faveur du maintien de cet objectif. Mais ces derniers mois, il a beaucoup insisté sur les coûts induits par la bascule vers la voiture électrique.

« Il ne reste qu’un problème à résoudre. Ce n’est pas celui de la technologie ou de l’efficience, mais celui du prix », expliquait-il en octobre face aux députés italiens. Le CEO de Stellantis estimait d’ailleurs à 40 % les coûts supplémentaires liés à la fabrication d’un VE.

Quelques jours plus tard, lors du Mondial de l’automobile, il enjoignait encore les pouvoirs publics à absorber la différence via la poursuite des aides. Or, après l’Allemagne, la France va réduire son bonus dans un tableau politique compliqué. Une défaite en tant que lobbyiste…

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Et puisque l’on évoque les groupes de pression, Tavares s’isolait des autres patrons de l’Association européenne des constructeurs automobiles (ACEA). Menés par Luca de Meo (Renault), ils ont réclamé un moratoire sur les amendes européennes prévues pour 2025 pour les groupes dépassant leurs objectifs d’émissions de CO2. Carlos Tavares n’avait pas demandé de ristourne, assurant que Stellantis éviterait les contredanses… Mais il a fait cavalier seul.

Stellantis n’est pas non plus en avance en matière de véhicule 100 % électrique. Sa part de marché n’était que de 12,5 % sur ce type de véhicules en Europe au mois d’octobre. Une part donc inférieure à celle sur l’ensemble des immatriculations.

Et sur les six premiers mois de l’année, seuls deux modèles du groupe figuraient dans le top 20 des ventes de VE sur le continent.

Meilleures ventes de VE en Europe (premier semestre) :

1 – Tesla Model Y (102 730)

2 – Tesla Model 3 (60 403)

3 – Volvo EX-30 (39 652)

4 – Audi Q4 e-tron (35 863)

5 – MG 4 (32 645)

12 – Peugeot e-208 (24 260)

19 – Fiat 500e (18 577)

La Chine ?

Carlos Tavares a souvent évoqué un marché automobile mondial « darwinien ». À terme, seuls quelques groupes d’ampleur globale seront en mesure de survivre.

À ce titre, il a réussi. Le « petit » PSA, en absorbant Opel (2017) puis en se mariant avec Fiat-Chrysler (2019-2021), a atteint une taille critique permettant de réduire les coûts en partageant les plateformes à plus grande échelle et de devenir too big to fail.

Ces derniers mois, le dirigeant a beaucoup glosé sur le défi posé par l’arrivée massive de véhicules chinois en Europe. Relativisons les effets directs. Aujourd’hui, la part de marché des véhicules de marques chinoises sur notre continent plafonne à 3 %.

Cette concurrence est quasi nulle aux États-Unis en raison de droits de douane exorbitants. Si Stellantis a perdu des parts de marché en Europe ou aux États-Unis ces dernières années, c’est en grande partie au profit de Toyota, Kia ou Hyundai plutôt que de BYD…

La République populaire a d’ailleurs toujours été un os dans les plans de PSA puis de Stellantis. Autrefois numéro 2 sur le marché le plus dynamique du monde, PSA avait perdu le fil bien avant l’arrivée de Carlos Tavares. Mais ses tentatives de reconquête, notamment via DS et son « chic à la française » ne furent pas couronnés de succès.

Le récent accord avec Leapmotor tentait de prendre à rebours ces échecs. Moyennant 1,5 milliard d’euros, Stellantis a acquis l’an dernier 21 % de la jeune pousse, des connaissances en matière de cell to chassis et un réseau en Chine. À cela s’ajoutait la possibilité de commercialiser des voitures à tarif plus contenu en Europe…

Cet étonnant attelage sera-t-il le bon ? Le successeur de Carlos Tavares sera déjà depuis longtemps aux commandes lorsque l’on aura la réponse.

Carlos Tavares ?

En 2019, Les Echos interrogeaient Carlos Tavares sur ses techniques de gestion. On peut retenir bonnes formules :

« On parle aussi souvent entre nous du concept de « l’extra-mile ». Chacun doit dépasser à la fin de l’année les objectifs fixés par le directeur financier. Un être humain, à commencer par moi, peut échouer, mais les « extra-miles » des autres compensent. C’est pour ça que nos résultats sont toujours meilleurs qu’anticipé ».

« Il m’arrive deux ou trois fois dans l’année de dire à mon équipe « je suis en profond désaccord avec vous, mais on va faire ce que vous me proposez ». Après, cela crée une sacrée responsabilité… parce qu’il vaut mieux que ça marche, sinon je le leur rappellerai ».

« En cas de grande difficulté dans l’atteinte du bon niveau de performance, vous avez d’abord la responsabilité éthique vis-à-vis de tous les autres de remplacer la personne défaillante »

Ce type de management ne convient pas à tout le monde. « Le conseil d’administration a entendu les messages remontés de l’interne et a fait son travail », estime un administrateur cité par Le Monde.

Autre trait personnel. Dans un portrait de 2013 – daté donc de son époque Renault – Challenges décrivait le « syndrome de la pastèque » qui faisait sortir Carlos Tavares de ses gonds : « Explication : vus de l’extérieur, tous les voyants sont au vert sur un projet, car personne n’a voulu tirer la sonnette d’alarme. Mais, en y regardant de plus près, rien n’est prêt et tout est rouge, comme l’intérieur de la pastèque »

Dans ce cas, comment comprendre certaines des crises qui ont traversé PSA puis Stellantis sous le commandement de Carlos Tavares ?

Les soucis de conception du moteur PureTech ne lui sont pas imputables. Ce 3-cylindres à la courroie fragile trempant dans son bain d’huile a été lancé sur le marché en 2012, c’est-à-dire avant son arrivée chez Peugeot. Mais la gestion erratique de ce dossier – tout comme celui des airbags Takata – figurent à son débit. De nombreux automobilistes se souviendront de ces pastèques qui ont échappé à la vigilance du grand patron.

À cela s’ajoutent un mode de communication abrasif. Au printemps dernier, Carlos Tavares assumait sa rémunération de 23 millions d’euros au titre de ses résultats 2023 lors d’une visite d’usine à Trémery (Moselle). « Si vous estimez que ce n’est pas acceptable, faites une loi et modifiez la loi et je la respecterai », déclarait-il au micro de France Bleu Lorraine Nord, suscitant l’ire des syndicats et d’une partie de la classe politique. Une partie des actionnaires s’était opposée…

Les actionnaires ?

Tavares s’est lui-même comme un « psychopathe de la performance ». S’il en obtient de moins bonnes, cela pose vite un souci.

La marge opérationnelle de Stellantis s’est établie à 13,4 % en 2022 et 12,8 % l’an dernier, habituant le marché à des valeurs à deux chiffres. Cette année, le groupe devrait atterrir entre 5,5 et 7,0 % de rentabilité.

« Stellantis confirme ses objectifs présentés à la communauté financière le 31 octobre 2024 au titre de ses résultats annuels 2024 », précise d’ailleurs le communiqué publié dimanche soir, évitant soigneusement une alerte sur les profits afin de ne pas inquiéter les investisseurs.

Cours de l’action Stellantis :

  • 26 mai 2023 : 14,77 €
  • 1ᵉʳ décembre 2023 : 20,11 €
  • 22 mars 2024 : 26,94 € (record)
  • 29 novembre 2024 : 12,54 €

L’action Stellantis a donc perdu la moitié de sa valeur en huit mois, revenant plus ou moins à celle de son introduction en bourse il y a trois ans. À partir de ce moment, Carlos Tavares n’était plus protégé.

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