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Six ans après son lancement, la marque du groupe Volkswagen parvient à gagner (pas mal) d’argent.
Luca de Meo tutoie facilement. Il énonce ses principes avec clarté dans plusieurs langues. Il croît aussi (énormément) aux forces du marketing. Ces constatations, nous les avions faites il y a près de dix ans, lorsque nous rencontrions pour la première fois l’homme d’affaires milanais.
Auteur du retour de la Fiat 500 quelques années plus tôt, il était alors à peine devenu le grand patron de Seat. Il faisait part de ses projets pour la marque espagnole à l’occasion d’une table ronde. Chemise blanche impeccable, pas de notes ou de powerpoint en guise de support. En toile de fond, les cheminées de l’usine d’assemblage de Martorell (Espagne).
Changement de logo, lancement de l’Ateca, offensive sur les SUV… Ces chantiers devaient remettre à flot la branche ibérique du tentaculaire groupe Volkswagen. Seat s’extirpait alors de huit exercices consécutifs dans le rouge et avait été mise sous surveillance accrue par le siège à Wolfsbourg.
Ce que nous n’avions pas vu ce jour-là, c’est que Luca de Meo était prêt à prendre une décision radicale. Le 31 janvier 2018, le dirigeant annonça le lancement de Cupra – jusqu’ici la branche sportive de Seat — comme marque automobile à part entière. Le projet fut piloté par l’un de ses hommes de confiance, Antonino Labate.
« Sur certains marchés, la marque Seat est rejetée par certaines personnes qui sont, disons, sensibles à leur image, expliquait Luca de Meo lors des premiers pas de son nouveau bébé à des confrères britanniques. On peut remédier à cela, mais cela demande du temps. Cupra repart à zéro avec quelque chose de complètement nouveau ».
Aujourd’hui, ce « quelque chose de nouveau » se déploie sans son créateur. Parti présider aux destinées de Renault pendant l’épidémie de Covid-19, de Meo a laissé les commandes de l’attelage Cupra/Seat à l’un de ses anciens lieutenants : Wayne Griffiths.
Mais on peut écrire que le pari engagé à l’époque est réussi. Dans l’océan de problèmes qui accable aujourd’hui le groupe Volkswagen, la marque espagnole fait désormais figure de petite île arborée.
Pour s’en convaincre, écoutons les résultats de l’attelage Seat/Cupra : « Le bénéfice d’exploitation a atteint 400 millions d’euros, soit une croissance de 10 % par rapport à l’année précédente et notre chiffre d’affaires s’établit à 7,8 milliards d’euros » au premier semestre 2024, se félicitait le big boss, Wayne Griffiths, lors de la présentation statique du Cupra Terramar, au début du mois de septembre.
Certes, le duo ne constitue « que » 5 % du chiffre d’affaires du groupe VW. Certes, Skoda présente des taux de marge supérieurs, de l’ordre de 9 à 10 %. Mais la renaissance du constructeur espagnol ne cesse d’étonner.
Pour mieux comprendre, revenons en arrière. Pendant les années 1990 ou 2000, Seat vendait beaucoup de voitures, mais n’arrivait pas à gagner suffisamment d’argent aux yeux de la direction allemande du groupe. Ibiza et León constituaient la grande majorité des volumes, laissant le reste de la gamme au second plan.
L’un des points forts de la marque catalane était aussi sa malédiction : Seat avait les acheteurs les plus jeunes du marché. Or, ces consommateurs ont souvent un pouvoir d’achat moins élevé que leurs aînés.
Ils étaient aussi volages : « Le problème de Seat, nous confia autrefois en aparté un responsable de la marque, c’est que c’est souvent la première voiture neuve achetée par un conducteur. Et après, une fois que la famille s’agrandit, ils partent chez Volkswagen ».
Par conséquent, Seat avait aussi bien du mal à vendre des voitures au-dessus de la compacte. L’échec de l’Exeo et l’essoufflement des monospaces Alhambra ou Altea en témoignait. Sorti en 2016, le Seat Ateca traita partiellement ce problème, offrant aux concessionnaires un premier SUV et un moyen de conserver leur clientèle un peu plus longtemps.
Bien qu’aujourd’hui en fin de carrière, ce dérivé du Volkswagen Tiguan frôla les 100 000 unités annuelles avant l’irruption de la Covid-19, faisant croître le panier moyen des consommateurs. L’Arona connût également un parcours respectable sur le segment inférieur, stratégique en Europe. Seat allait donc déjà mieux.
À lire aussiCupra nous décrit à quoi ressemble sa « voiture électrique de rêve »Mais c’est aujourd’hui Cupra qui tire le tandem, grâce à un décollage express. La marque a multiplié par dix ses livraisons en quatre ans. Et sur les huit premiers mois de cette année, Cupra a immatriculé 120 000 voitures soit largement plus que Jeep, Mini, MG, Mazda ou Honda. Ou quatre fois les volumes d’une autre néo-marque lancée quelques années plus tôt nommée DS. La griffe de Martorell est rentable depuis 2022.
Design anguleux, peintures mates, inserts cuivre et effets lumineux. Cupra ne fait pas dans le discret, selon les directives définies par les designers Alejandro Mesonero Romanos – depuis parti chez Alfa Romeo – puis Jorge Díez, un ancien de chez Audi.
Il suffit de se promener au volant d’un des modèles de la marque pour voir les têtes se tourner. De quoi faire connaître une griffe et un logo triangulaire encore en déficit de notoriété auprès du grand public. De quoi aussi séduire un public toujours jeune – autour de 47 ans en moyenne – mais plus fortuné. Les progrès du leasing et le décollage de Tesla diminuent également les peurs des consommateurs au moment de découvrir une nouvelle enseigne. La moitié des clients de Cupra viennent de l’extérieur du groupe VW.
Mais le succès de Cupra est avant tout celui du Formentor. Le crossover compact séduit beaucoup de rétifs au SUV « camionnette ». Ce design acéré et une qualité perçue en progrès permettent de facturer davantage. Cupra navigue aujourd’hui dans les mêmes eaux que Peugeot, c’est-à-dire dans la zone tarifaire entre généralistes et premiums. Aujourd’hui proposé à un prix plancher de 42 675 euros en entrée de gamme, ce modèle génère bien évidemment plus de marge qu’une brave Ibiza vendue moitié prix. Le rapport serait de 1 à 3, voire 3 et demi, selon des sources bien informées.
Le tout avec des coûts de développement bien assurément limités. Membre de la famille Volkswagen, Cupra utilise comme Seat les mêmes plateformes et chaînes de puissance que les marques sœurs, restreignant également les coûts de développement. En témoigne l’adoption récente par le Formentor et la Leon du nouveau système hybride PHEV déjà étrenné par les Passat, Golf et Tiguan.
Autre facteur de réussite, un marché déjà quadrillé. « Notre plus grand avantage compétitif était notre réseau déjà établi », philosophait Wayne Griffiths lors de la présentation du Tavascan.
Pendant que d’autres nouveaux entrants constituaient leurs réseaux ou cherchaient à vendre directement en ligne (spoiler : souvent sans succès), la marque espagnole a pu bénéficier de l’acquis Seat. En France, les 133 points de vente ont déjà entamé leur mue, mettant désormais à égalité les deux enseignes. Le mouvement devrait arriver à son terme en fin d’année.
D’autres chiffres sont éclairants. Au premier semestre, le premier marché de Cupra était l’Allemagne, avec un tiers des volumes, loin devant le Royaume-Uni et l’Espagne. Suivent l’Italie et la France. Cupra n’est donc moins dépendante des soubresauts du marché ibérique et s’écoule dans des pays où le portefeuille des habitants est mieux garni.
Dans le même temps, les livraisons de Seat stagnent sans s’écrouler, reculant de 399 000 véhicules en 2020 à 288 400 l’an dernier. Les Arona et Ibiza connaîtront bientôt un second restylage, leur permettant de poursuivre leur carrière à peu de frais, notamment sur les marchés d’Europe du Sud. Une zone qui risque toutefois d’être très attirée dans les prochaines années par les voitures chinoises.
À long terme, l’avenir de la marque historique demeure nébuleux : « Seat est là pour rester », nous explique un porte-parole de la marque, balayant les précédentes déclarations sur une mise au rebut de la griffe à l’horizon 2030. Il y a quelques mois, la rumeur faisait état d’un futur modèle sur la base de la Volkswagen ID.1.
Mais le modèle Cupra demeure fragile. La moitié des véhicules immatriculés l’an dernier par la griffe furent des Formentor. La mise à jour du crossover (dont vous pourrez très bientôt lire l’essai sur Automobile Propre) devrait lui permettre de poursuivre sa carrière sans trop de casse à court terme.
Mais Martorell doit vite trouver des alternatives pour ne pas sombrer dans la dépendance à cet unique modèle. Il est aujourd’hui rejoint par un Terramar un poil plus long et un chouïa plus « tradi » dans sa présentation, sans doute chargé d’aller chasser un public plus âgé.
À lire aussiCupra : comment la Formule E devient un laboratoire pour la routeSa réussite est d’autant plus cruciale que la géopolitique s’en mêle. Le lancement du crossover électrique Tavascan est pénalisé par le conflit douanier entre l’Union européenne et la Chine. Produit à Anhui, en République Populaire, pour réduire les coûts de fabrication, il pourrait être frappé par une taxe de 21,3 % à son arrivée sur nos côtes, dévorant la marge espérée par Wayne Griffiths et ses équipes.
Il faudra aussi surveiller le développement de la marque à l’international. Le Mexique fait office de laboratoire en vue d’une expansion en Amérique du Nord.
Quelles sont les prochaines étapes ? « Amener l’état d’esprit Cupra plus haut dans le marché, à de nouveaux consommateurs et des segments en croissance », expliquait Wayne Griffiths.
Le prochain jalon sera électrique, sur un segment dont on ignore encore la profondeur. Après la Born, la jeune marque révèlera fin 2025 une citadine d’environ 4 mètres nommée Raval. Voulue sportive, elle tentera d’attirer l’attention des amateurs de Mini Cooper SE ou d’Alpine A290.
Ce qui boucle la boucle. La cousine sportive de la R5 est, en effet, une commande d’un certain Luca de Meo, soucieux de générer de la marge au sein du groupe Renault. Et c’est Antonino Labate, qui sera chargé de son lancement commercial. S’ils ont quitté Cupra, ces deux hommes croient décidément beaucoup aux forces du marketing.
Fondée en 1950, la Sociedad Española de Automóviles de Turismo (SEAT) état une initiative de l’Etat franquiste réalisé avec l’assistance de banques privées. Dans un pays presque dépourvu d’industrie nationale et de potentiels sous-traitants, le jeune constructeur pût compter sur l’aide de Fiat. À l’image des coentreprises en Chine d’aujourd’hui, la firme italienne gagnait un accès à un marché prometteur en échange de plans et de machines.
La première voiture à sortir de l’usine de Zona Franca, dans les faubourgs de Barcelone, fut la Seat 1400, étroitement dérivée de la Fiat du même nom. L’entreprise participa à motoriser une Espagne en plein décollage économique, avec 6,5 % de croissance moyenne annuelle de 1960 à 1973, sur fond d’explosion du tourisme de masse. Le symbole de cette époque fut la petite Seat 600, produite à près d’un million d’exemplaires. La marque occupa jusqu’à 70 % de parts de marché à l’intérieur de ses frontières au début des seventies.
Le retour de la démocratie, les crises pétrolières et la concurrence accrue tendirent les relations entre les investisseurs, le gouvernement de Madrid et Fiat. Jusqu’à la rupture. La Seat Ronda (1982) fut la première voiture réalisée sans aide directe de Turin, bientôt rejointe par l’Ibiza (1984). Si Toyota ou Nissan se montrèrent intéressés, ce fut Volkswagen, alors mené par l’intrépide Carl Hahn, qui entra progressivement dans le capital de Seat.
L’idée était d’obtenir des coûts inférieurs – la main d’œuvre espagnole était moins chère qu’en Allemagne et bien formée – à l’heure de l’entrée du pays dans la Communauté économique européenne (1986). VW prit le contrôle de Seat à 100 % lorsque l’Etat revendit ses dernières parts en 1990. Grâce à la logique de plateformes partagées, Seat concurrença bientôt des généralistes plus anciens, partout sur le continent.
Cupra (contraction de « cup » et « racing ») fut pendant longtemps la branche sportive de la marque catalane. Au milieu des années 1990, elle créa notamment l’Ibiza kit-car à partir de l’Ibiza Cupra GTI 16v de route. Cette traction remporta à trois reprises la Coupe du monde des rallyes, sorte de Ligue 2 du WRC, alors réservée aux 2-litres « atmo ». L’histoire se poursuivit avec la création d’une León Cupra de série, reprenant le fameux VR6 de la Golf. Le label fut officiellement détaché de Seat en 2018.
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