AccueilArticlesLe patron de Lormauto, spécialiste français du rétrofit, nous raconte sa chute précipitée

Le patron de Lormauto, spécialiste français du rétrofit, nous raconte sa chute précipitée

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Il y a quelques jours, Lormauto a annoncé mettre fin à ses activités. Cette société normande faisait pourtant partie des plus ambitieuses dans le domaine du rétrofit en France. Une chute précipitée par manque de financement. Pourtant, des fonds (2,5 millions d’euros) avaient bien été promis par Bpifrance, la Banque Publique d’Investissement créée en 2012. Mais, malgré des conditions remplies du côté de Lormauto, l’organisme a préféré se rétracter. Alors, que s’est-il vraiment passé ? Nous avons discuté avec Franck Lefèvre, co-fondateur de l’entreprise basée à Caen, pour y voir plus clair. Il revient sur cette aventure hors du commun, la désillusion avec Bpifrance, et nous dit clairement que son combat continue.

Le bon sens à l’état pur

Quand il co-fonde Lormauto en 2020 avec Sébastien Rolo, Franck Lefèvre est mû par une conviction simple : « il faut électrifier rapidement la mobilité, à moindre coût, sans aggraver notre empreinte écologique ». Le rétrofit, la conversion d’un véhicule thermique en électrique, vient à l’époque tout juste d’être autorisé en France. L’idée fait son chemin. Le choix se porte sur la Twingo, petite citadine emblématique des années 1990.

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« C’est une voiture fun, facile à démonter, peu coûteuse à l’achat comme à l’entretien », résume-t-il. Lormauto opte pour un modèle économique basé sur la location, pour garantir la durabilité des véhicules. Les deux camarades souhaitent prendre le contre-pied de la tendance à l’obsolescence programmée. « Là où l’industrie tend vers des véhicules irréparables, nous, on veut tout réparer, tout reconditionner ».

L’histoire s’accélère en 2021 avec la mise au point des prototypes : « premiers tours de roues, on tombe amoureux du véhicule et on décide de lancer l’aventure en grand ». Très vite, Lormauto investit dans de la R&D (recherche et développement) pour développer sa propre plateforme électrique. Une architecture qui lui permettra par la suite d’électrifier le Renault Kangoo « sans trop d’efforts », précise le serial-entrepreneur normand.

En 2022, succès de dingue au Mondial de Paris. Toute la presse parle de Lormauto. L’entreprise est présentée comme le grand espoir français du rétrofit. En 2023, l’équipe fait homologuer sa voiture. « On prépare tout pour pouvoir passer à une production à grande échelle ». L’année suivante, Lormauto met au point ses processus industriels. Fin 2024, la firme normande cherche des financements pour passer à l’étape d’après.

Une promesse de l’État qui part en fumée

Au début, « on constate une certaine frilosité de la part des investisseurs », se souvient Franck. Ils craignent un revirement politique. Lormauto décide donc de frapper à la porte de celui qui défend le verdissement des flottes et une stratégie de réindustrialisation : le ministère de l’Industrie de Marc Ferracci. L’entreprise obtient satisfaction et décroche une subvention dans le cadre du plan d’investissement France 2030.

Le ministère propose même de verser en avance une partie (50 %) de l’aide pour rassurer les investisseurs. Pour débloquer l’enveloppe dans sa totalité, l’État demande à Lormauto « une mobilisation de co-financements privés » d’une valeur de 2,5 millions d’euros. Une condition remplie par le spécialiste du rétrofit. Trois lettres d’intentions représentant la somme demandée ont ainsi été transmises au ministère de l’Industrie.

Le 30 avril 2025, le cabinet du ministre confirme par écrit que les conditions sont remplies et demande à Bpifrance, opérateur du programme, de procéder au versement. Mais le 2 mai, volte-face complète : Bpifrance refuse d’exécuter l’instruction ministérielle. « Tout avait été validé, les investisseurs étaient prêts, les engagements écrits. Bpi n’avait qu’à appuyer sur un bouton, mais au lieu de cela, ils ont changé de doctrine ».

« Le rétrofit n’a aucun avenir industriel »

Pour comprendre ce qu’il s’est passé, il faut remonter à une date bien précise : le 19 février 2025. À l’époque, l’équipe de Lormauto avait rencontré Nicolas Ceria, responsable du FAA (Fonds Avenir Automobile), un fonds géré par Bpifrance dont l’objectif est « d’accélérer la croissance et la capacité d’innovation des sous-traitants automobiles français pour faire émerger des entreprises plus solides et plus rentables ».

À l’occasion de ces échanges (plutôt tendus), les équipes du FAA font comprendre très clairement à Lormauto que « le rétrofit n’a aucun intérêt industriel » et « qu’il serait plus judicieux d’importer des voitures étrangères pas chères ». Un changement brutal de cap vécu comme une trahison. « Le rôle de Bpifrance n’est pas de décider de la stratégie industrielle de l’État. L’organisme est censé l’exécuter », estime Sébastien Rolo.

Il dénonce également un possible conflit d’intérêts : Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, est aussi administrateur chez Stellantis. Un mélange des genres qui interroge. Comment une institution publique peut-elle à la fois être opérateur de subventions, investisseur et gestionnaire de fonds alimentés par des concurrents industriels ? La société normande pose la question, sans animosité, mais avec détermination.

Liquidation brutale d’un pionnier français

Le 19 mai 2025, faute de financement, Lormauto dépose le bilan. Le 21, l’entreprise est liquidée. Les salariés perdent leur emploi et l’usine pensée pour être répliquée sur plusieurs territoires (en plus de la Normandie, le Grand Est, l’Île-de-France et l’Occitanie avaient montré un intérêt) est fermée. Une claque à laquelle la firme caennaise ne s’attendait absolument pas. Surtout en ayant l’aval d’un cabinet ministériel.

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Le patron ne cache pas sa frustration : « c’est un coup d’arrêt pour l’ensemble de la filière du rétrofit en France. Les autres acteurs, même les plus en avance, n’ont pas les épaules financières pour survivre à un tel choc. Si même Lormauto, avec une techno prête, une équipe de haut vol et une reconnaissance publique, se fait couper les ailes, qui pourra encore y croire ? » Pour autant, Franck Lefèvre ne jette pas l’éponge.

La technologie est là. L’équipe aussi, ou presque. « On rêverait de repartir avec les mêmes. Tous avaient fait un boulot formidable ». Mais, pour relancer la machine, il faudra plus qu’une bonne volonté, il faut « un signal fort du gouvernement. Une position claire sur le rétrofit. Notre conviction est que le développement du rétrofit est inéluctable et que nous y arriverons. Nous ou d’autres. On prend cette étape comme un électrochoc ».

« Je suis convaincu que nous pouvons remonter Lormauto en trois mois », nous dit Franck. D’ici là, les anciens dirigeants comptent bien continuer à porter leur combat sur la place publique. « Nous allons faire de la politique, dans le bon sens du terme. Défendre une vision de l’industrie compatible avec les enjeux environnementaux et sociaux ».

Une affaire emblématique d’un malaise plus large

Au-delà du cas Lormauto et du marché du rétrofit, cette affaire soulève des questions fondamentales sur la gouvernance industrielle en France et sur le cap fixé par le gouvernement. Une aide publique peut-elle être bloquée par un « simple opérateur », au détriment d’une instruction ministérielle ? L’État peut-il piloter une stratégie de réindustrialisation s’il n’est pas capable de faire appliquer ses propres décisions ?

La liquidation de Lormauto n’est donc pas seulement un échec entrepreneurial. C’est, pour ses fondateurs, « le symptôme d’un système à réformer d’urgence ». Car, dans un pays qui veut verdir son parc automobile et relocaliser sa production, sacrifier les acteurs du rétrofit revient à aller à contre-courant de ses propres objectifs.

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