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Est-il vrai que nombre de constructeurs européens renoncent à développer leurs modèles électriques ? Décryptage d’une affirmation trompeuse qui a pourtant la vie dure.
Si vous fréquentez les réseaux sociaux, ou si l’inévitable discussion s’enclenche autour du poulet du dimanche, vous avez forcément été confrontés à cette affirmation qui tombe comme une sentence définitive : « De toute façon, ils abandonnent tous l’électrique parce que ça ne se vend pas ».
Sans nier les difficultés que rencontrent les constructeurs automobiles dans cette longue et délicate phase d’adaptation à une nouvelle norme, il semble toutefois erroné, voire abusif, de parler d’abandon, voire de reculade face à l’électrification. Car la vérité est ailleurs, et, tout au plus, peut-on admettre que certaines marques ralentissent un peu la conversion de leurs gammes au tout électrique. Mais aucune n’y renonce, ni ne lui « tourne le dos ». Et même si certains n’y vont pas de gaité de cœur, il y a une raison toute simple pour laquelle personne ne reculera, et cette raison est simplement réglementaire : la vente de véhicules thermiques neufs sera interdite à partir de 2035. C’est pourtant assez simple à comprendre, et ceux qui pensent encore que les constructeurs abandonnent leur processus d’électrification sont probablement dans une sorte de déni, alimenté il est vrai par certains leaders d’opinion. Mais aussi par une sorte de croyance qui consiste à se persuader que la Commission Européenne va faire marche arrière et repousser la date butoir, ou assouplir, voire abroger cette loi.
Sans prétendre lire l’avenir, et en étant conscient que les voltefaces politiques sont toujours possibles, notamment sous la pression de certains lobbies, il parait assez improbable que cela se produise. Alors certes, il n’y a pas que l’Europe, et nombre de régions du monde sont encore loin d’avoir tiré un trait sur le thermique. Des régions pour lesquelles les constructeurs vont donc devoir continuer à produire des motorisations à essence, à commencer par le plus gros marché, celui des États-Unis, où hormis la Californie, aucun état n’a encore prévu de bannir les moteurs à combustion, a fortiori sous l’ère Trump. D’autre part, même s’il semblerait que, pour le moment, l’UE reste inflexible sur l’échéance de 2035, certains restent persuadés que la règle va changer. Par exemple en s’ouvrant aux motorisations hybrides ou EREV, voire même aux bio-carburants et à l’hydrogène, dans un souci de préservation de l’industrie automobile européenne. Un secteur il est vrai fort mis à mal avec les coups de boutoir de la Chine et du protectionnisme américain.
Cela étant, pourquoi cette croyance et ce malentendu ? Parce que, notamment, certains constructeurs font parfois des annonces qui relèvent simplement de la prudence, mais qui sont souvent relayées et amplifiées de façon tonitruante par des activistes qui n’en demandent pas plus pour servir leur agenda légèrement catastrophiste.
Dernier exemple en date, qui pourrait servir de cas d’école de tout ce qu’une annonce peut réunir de biais d’interprétation et de falsification, celui de Porsche. Que dit-elle, précisément ? Si on va la chercher à sa source, elle dit en substance que le constructeur de Stuttgart ajuste sa feuille de route produits pour les prochaines années, en prolongeant spécifiquement la vie de ses modèles thermiques et hybrides rechargeables, tout en reportant une partie de ses projets électriques. Le futur grand SUV au-dessus du Cayenne, initialement prévu en 100 % électrique, arrivera d’abord en version thermique et hybride. Les modèles thermiques existants auront droit à de nouvelles générations. En parallèle, la mise au point de la prochaine plateforme dédiée aux électriques est repoussée à la décennie 2030, tandis que la gamme actuelle d’électriques continuera d’évoluer, et de se compléter avec le Cayenne électrique et les Boxster et Cayman électriques, prévus pour 2026. Si cette inflexion met en lumière la volonté de Porsche de rester flexible entre thermique, hybride et électrique, en fonction de la demande réelle du marché, elle ne signifie nulle part que Porsche « tourne le dos à l’électrique », comme on peut le lire très souvent ces derniers jours, ou que « Porsche abandonne le développement de l’électrique pour revenir au thermique », comme je l’ai encore lu en écrivant cet article. Rien n’est aussi binaire dans la complexité du fonctionnement d’un grand groupe industriel.
D’autre part, il faut resituer Porsche dans ce contexte. Premièrement, il est effectivement reconnu que la clientèle du luxe sportif n’est pas encore vraiment portée sur l’électrique, et qu’elle trouvera certainement tous les moyens possibles pour rouler en thermique le plus longtemps possible. Ensuite, Porsche et d’autres constructeurs situés sur le même créneau représentent une part infime du marché automobile. Si en 2035, la grande majorité des automobilistes seront devenus comme prévu des électromobilistes, le climat ne tiendra probablement pas rigueur à quelques passionnés de sortir leur 911 le week-end pour parcourir en moyenne moins de 5000 kilomètres par an.
Il parait donc assez peu approprié d’ériger un Porsche ou un Bentley en symboles de l’échec électrique quand on voit la réalité de leurs parts de marché respectives, qui ne sont pas représentatives des aspirations ni des moyens du grand public.
Alors certes, d’autres groupes et constructeurs ont aussi annoncé vouloir mettre la pédale douce sur l’électrique, et parmi eux des noms beaucoup plus représentatifs de l’industrie, comme Stellantis, Ford, Volkswagen, ou même BMW ou Audi. Mais encore une fois, il ne s’agit pas de renoncements, tout au plus d’ajustements en vue d’une adaptation à la réalité du marché. Avec des lectures et des approches différentes. Prenons l’exemple de BMW, une marque qui connait un fort succès dans l’électrique, et qui reste fermement engagée dans cette transition, tout en conservant une approche « technologiquement ouverte » qui inclut les hybrides rechargeables, et même l’hydrogène pour la future X5. Cette stratégie permet à BMW de s’adapter aux variations régionales et aux incertitudes réglementaires, comme la révision souhaitée de l’interdiction des moteurs thermiques en 2035. Même si Oliver Zipse, PDG de BMW, a critiqué cette interdiction, estimant qu’elle pourrait entraîner une « réduction massive » de l’industrie automobile européenne, notamment face à la concurrence chinoise, BMW est loin de « renoncer » au 100% électrique, qui représente au dernier recensement plus de 25% de ses ventes. Le lancement officiel ces derniers jours de la nouvelle iX3 électrique, premier fleuron d’une gamme « Neue Klasse » électrique, est plutôt un signal fort en ce sens.
Puisque nous parlons de la réalité du marché, quelle est-elle ? C’est compliqué, comme on dirait chez Facebook. Car il y a deux niveaux de lecture. La première, optimiste, consiste à se réjouir du fait que les ventes d’électriques progressent partout, et de façon assez forte, puisqu’au premier semestre 2025, elles font un +25% en Europe et +30% dans le monde. Si la hausse est déjà importante en Allemagne, avec 35% de croissance, les chiffres les plus spectaculaires concernent l’Espagne avec +84%, et plus généralement les pays d’Europe de l’Est comme la République tchèque ou la Pologne, qui enregistrent des croissances supérieures à 60%. Pour être complet, il faut aussi préciser que les ventes de VE en France au premier semestre ont baissé de 6,7%, mais qu’elles ont repris très fortement depuis août, en attente de la relance du leasing social le 30 septembre. Enfin, pour en finir avec les chiffres, sachez que la part des ventes de VE en Europe est de 17,5%, ce qui signifie que presque une voiture neuve sur cinq est électrique.
La deuxième lecture consiste à affirmer que cette croissance n’est pas assez rapide, et, qu’à ce rythme, nous n’atteindrons pas l’objectif (ou la projection, différente selon les sources) de 100% de ventes de VE neufs à partir de 2035. Ajoutées aux problématiques d’investissements et de rentabilité, ce sont ces considérations qui incitent les constructeurs à lever le pied sur l’électrique pour encore soigner leur clientèle thermique pour quelques années. C’est juste un pas de côté temporaire, en aucun cas un abandon, puisque de toute façon ils n’ont pas le choix.
Mais attention, cette attitude pragmatique et prudente de « bonne gestion » risque cependant de les enfermer dans une sorte de statu quo pouvant leur coûter cher dans dix ans, alors que la concurrence chinoise se fait de plus en plus présente, et pressante. Il est également à noter que des marques comme Kia ou Polestar annoncent clairement leur volonté de ne pas renoncer à leur objectif et à leur agenda qui consiste à tout miser sur l’électrique dans les prochaines années. Chez Mercedes, malgré des annonces assez contradictoires de la direction, on prépare pas moins de 16 modèles électriques dans les deux ans qui viennent.
Quoi qu’il en soit, il est faux de prétendre que les constructeurs renoncent à l’électrique. Ceux qui le font jouent avec le feu, et avec leur crédibilité.
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