À quelques semaines à peine du lancement du SUV Ocean, nous avons interviewé Henrik Fisker quant à l’avenir de sa marque. Les projets sont nombreux et l’entrepreneur envisage de lancer des modèles au tarif abordable.

La renaissance de Fisker est en route avec son SUV Ocean. Long de 4,77 m, ce SUV avance un gabarit similaire à celui d’un Tesla Model Y, mais un tarif d’entrée de gamme inférieur, à partir de 41 900 €. À ce prix, on dispose d’une autonomie de 430 km selon le cycle WLTP. Les tarifs iront jusqu’à 89 999 € pour l’édition de lancement One tout équipée, disposant de la plus grosse batterie autorisant une autonomie normalisée de 630 km. La production, assurée en Autriche par Magna, devrait débuter en novembre 2022, avec des premières livraisons en France prévues pour avril 2023. Lors de son passage à Paris, nous avons rencontré Henrik Fisker pour qu’il nous évoque l’avenir de cette nouvelle marque.

Que s’est-il passé entre la fin de Fisker Automotive et le début de Fisker Inc. ?

Nous étions précurseurs avec la Karma, qui a été lancée un an avant la Tesla Model S. À l’époque, personne à part nous ne parlait de matériaux durables et d’intérieur végan. Puis, nous avons été entraînés par la faillite de notre fournisseur de batterie. J’ai ensuite eu différents projets de modèles propres, écologiques. J’ai voulu me concentrer sur une voiture abordable, qui en offre pour son argent. Pour cela, il fallait repenser le développement, la production, le mode de distribution… Avec ces idées, nous avons été capables de développer un modèle en deux ans et demi, alors que la norme dans l’industrie automobile est de quatre ans. On se rapproche de temps de développement de l’industrie du smartphone. C’est un avantage pour la réactivité : les technologies qui seront dans notre modèle commercialisé à l’automne ont été choisies l’an dernier. Puis, nous avons choisi notre partenaire industriel, Magna, qui détient 6 % de notre capital. Enfin, la troisième étape a été de lancer le système de ventes en ligne.

L’actualité de Fisker tourne aujourd’hui autour de l’Ocean. Pourquoi avoir choisi d’arriver sur le marché avec un SUV de taille moyenne, qui est un des segments où il y a le plus de concurrence ?

Le segment qui est saturé, c’est celui des voitures électriques super cool à plus de 100 000 €. Des voitures électriques super cool à 40 000 €, ce qui est le cas de la version la plus abordable de notre Ocean, il n’y en a pas. Il semblerait que nous ayons trouvé la bonne formule, puisque nous avons déjà 43 000 réservations en ligne, et parmi les clients, 70 % n’ont jamais eu de voiture électrique avant.

Quelles sont selon vous les spécificités qui font sortir l’Ocean du lot ?

La première, c’est son design. Cela reste un des principaux critères d’achat d’une voiture. Ensuite, son respect de l’environnement. Nous avons voulu créer la voiture la plus durable du marché, pour contribuer à un monde plus propre. C’est pour cela que nous avons un intérieur végan, par exemple. Et cela ne s’arrête pas là : l’autonomie est la meilleure dans cette catégorie de prix, un toit doté de panneaux solaires, le « California mode » qui permet de baisser toutes les vitres en même temps, un écran central rotatif qui peut être placé en mode portrait ou paysage, une répartition de couple variable entre l’essieu avant et arrière sophistiquée…

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Quelle plateforme avez-vous décidé d’utiliser ?

Il y a eu des discussions avec le Groupe Volkswagen pour utiliser leur plateforme MEB, mais nous avons finalement décidé de développer la nôtre, avec Magna. Celle-ci porte le nom FM29, elle fait appel à l’aluminium pour limiter le poids. Par contre, la carrosserie est en acier pour assurer des coûts de réparation raisonnables. La batterie est incluse dans un skateboard spécifiquement étudié pour maximiser le volume dédié aux cellules dans un espace donné, et donc augmenter la capacité.

Vous présentez l’Ocean comme un SUV de luxe, mais son tarif de base est inférieur au Skoda Enyaq, qui est un des modèles les moins chers de sa catégorie. Comment parvenez-vous à de tels prix, alors que vous n’êtes pas propriétaires de l’usine ?

C’est justement par ce que je ne suis pas propriétaire de l’usine, que je parviens à ce tarif ! Lorsqu’on a sa propre usine, il faut la faire tourner 24 h/24 pour que ce soit rentable. Notre contrat auprès de Magna est bien plus économique ! Nous n’avons pas non plus de concessionnaires : nous allons, en France, nous contenter d’un showroom à Paris et de grands centres de livraison et d’essai en dehors des villes. Lors des entretiens, les voitures seront récupérées chez le client, à qui on fournira un bon Uber. Tout cela nous permet d’économiser environ 10 000 € par voiture.

Pourquoi avoir choisi CATL pour la fourniture de la batterie ? Est-ce que vous comptez vous rapprocher d’autres fournisseurs pour réduire les risques sur la chaîne d’approvisionnement ?

Nous avons deux technologies de cellules : LFP pour le modèle d’entrée de gamme et NMC pour la version Grande Autonomie. Notre accord de fourniture porte sur douze mois, et nous regardons évidemment à tout moment s’il n’est pas plus pertinent de changer de technologie ou de fournisseur.

Est-ce que vous envisagez de bâtir une usine Fisker à l’avenir ?

Il ne faut jamais dire jamais, mais nous sommes encore en phase de démarrage. Et les difficultés de Tesla prouvent que cela n’a pas forcément de sens de partir de zéro pour construire une usine. Voilà pourquoi nous avons noué un accord avec Foxconn pour la production de notre deuxième modèle, qui sera lancé en 2025 et demandera des capacités de production plus importantes. Ici aussi, nous investirons dans la recherche et le développement, et non dans la production.

Qu’est-ce qui différenciera votre deuxième modèle, la Pear, de l’Ocean ?

Ce sera une voiture plus petite, et moins chère. Aux environs de 30 000 €. Elle sera moins luxueuse que l’Ocean, ce sera véritablement un modèle conçu pour les mégalopoles, qui s’adresse à une clientèle plus jeune. Le design sera vraiment différent de ce qu’on connaît. Ce sera un véritable vaisseau spatial sur roues, tout le monde n’aimera pas. Mais son style sera iconique. L’intérieur sera également unique, avec un pare-brise enveloppant comme celui d’un avion de chasse. Ce sera notre vision de la mobilité personnelle du futur.

Cela rappelle un peu le discours de BMW pour annoncer l’i3

Elle ne sera pas aussi petite que l’i3, ce sera plutôt un crossover. Et ce qui est important, c’est que ce sera un modèle abordable. Sans doute avec une autonomie plus faible que l’Ocean. Quand la Pear sortira, la mentalité autour des voitures électriques aura certainement évolué, les gens seront familiers avec les autonomies et les capacités de batterie. Et sa batterie LFP pourra être chargée en 15 minutes. Pour une seconde voiture, il sera donc possible de réduire leur taille, ce qui limitera l’impact environnemental à la fabrication. Mais, évidemment, nous proposerons de plus un modèle à grande autonomie.

Où en sont les autres projets que vous avez présentés ? L’Emotion, l’Orbit et l’Alaska ?

L’Orbit, c’était avant tout un concept car de navette autonome, qui était dans l’air du temps lorsque tout le monde imaginait que la voiture autonome, ce serait pour demain. Ce n’est plus le cas. L’Emotion, c’était l’annonce d’un autre futur modèle, la Ronin, que nous concevons avec le bureau d’études britannique Magic Works. Ce sera une supercar, cabriolet à quatre portes, avec une autonomie de 1 000 km. Quant au pick-up Alaska… Si nous faisons un pick-up un jour, il sera relativement petit. Le marché des pick-up électriques est saturé.

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Comment voyez-vous l’avenir de la technologie des batteries ? Pensez-vous que cela passera par les batteries solides sur lesquelles vous avez un temps travaillé ?

Nous avons complètement abandonné les batteries solides, et je ne vois rien venir de concret avant 2030… Le véritable problème est de produire des millions de cellules chaque jour, à un prix abordable. Combien d’entreprises ont inventé de nouveaux carburants ? Or les batteries sont à rapprocher du carburant. Elles doivent être produites en masse et à bas coûts. À l’heure actuelle, les constructeurs ne sont pas encore parvenus à s’entendre sur la taille des batteries, ou au moins pour standardiser les modules. Ce n’est qu’à cette condition qu’on pourra avoir une production de masse. Comment est-il possible de baisser les prix si plusieurs technologies cohabitent ? La standardisation est une chose, l’intégration en est une autre. Aujourd’hui, les batteries sont intégrées dans les voitures comme elles l’étaient dans un téléphone Nokia, dans un tiroir. Il faut pousser l’intégration plus loin, directement dans le châssis pour maximiser la capacité.