Voiture electrique & Malthus

Suite à la publication de l’article : « automobilistes, quelle indépendance énergétique souhaitez-vous en France pour demain » et à ses nombreuses réactions, qui parfois me semblent partir un peu dans tous les sens, il m’a semblé bon de faire un point de re-centrage. En effet, beaucoup de notions sont abordées et de mots sont « lâchés » dans les commentaires. Le débat est intéressant, quoi que parfois accaparé…

Et la voiture électrique dans tout cela ? Le rapport est évident si on se pose la question suivante : y a t-il trop d’habitants ou trop d’automobilistes ? La voiture électrique généralisée aux 60 millions de français, est-ce une avancée écologique ou une catastrophe écologique ? Et généralisée à 6 ou 7 milliards d’habitants sur terre ? Est-ce réaliste ?

Cette question rejoint une interrogation classique et morale : qu’est ce qui fait qu’une possession est juste ? Emmanuel Kant, dans Métaphysique des mœurs, y répond par la règle de l’universalisation : « Une possession est acceptable si elle est généralisable à tous ! »

Autrement dit, ma possession est juste si elle n’empêche pas la potentialité que l’autre l’ait aussi. Pour cela, il est nécessaire de réaliser et d’accepter les limites écologiques et matérielles du monde dans lequel on vit. Aujourd’hui, les modes de vie des pays du Nord ne sont pas généralisables au reste du monde. Kant dirait qu’ils ne sont pas moralement justes car tout le monde n’a pas la potentialité d’y accéder (rien qu’en ne considérant que les aspects impacts environnementaux).

D’ailleurs, c’est pour cette raison que les pays du Nord, dans leur stratégie de développement durable (voir Grenelle 1 et 2 pour la France), doivent réduire leurs émissions de GES, et les réduire d’autant plus que les pays émergents émettent de plus en plus, afin que ceux-ci (qui n’arrivent pas encore à répondre à leurs besoins de base) puissent le faire…

Après l’optimisme sans fin des Lumières, Malthus, pasteur et économiste, professeur à Cambridge, nous dit que l’augmentation de la population est beaucoup plus rapide que celle des ressources alimentaires, avec un risque d’impasse, de famine et de guerres. Même Robespierre souhaite faire passer la population française de l’époque de 25 millions à la moitié, voir beaucoup moins encore, en faisant le lien entre surpopulation et bas salaires. On est resté dans le malthusianisme à la française, jusqu’au babyboom.

Depuis 40 ans, tout a changé. Nous sommes passés d’une société de pénurie à la société de consommation que vous connaissez. La condition de beaucoup de gens s’est améliorée, puisque depuis 1950 le pourcentage de mal nourris est passé de 75% à 33%. La réduction des terres labourables a été compensée par l’industrialisation et la chimisation de l’agriculture…

Ce constat est simple et arithmétique. C’est juste du bon sens, ni plus ni moins. Derrière, c’est à nous, citoyens, sociétés, d’inventer de nouveaux modes de développements sans ignorer la situation du monde actuel. Cette situation est notre nouveau postulat, c’est une base qu’il me semble difficile de contester ou d’éluder. Et c’est bel et bien en tant que consommateur que nous disposons du plus fort bras de levier.

L’automobile propre doit s’insérer dans une remise en question globale de tout notre système de valeurs internes (en tant qu’individu), mais aussi l’organisation du commerce international et notre organisation sociétale. Sinon j’ai bien peur que, quelle que soit son énergie, l’automobile ne devienne jamais vraiment propre.

C’est encore plus difficile aujourd’hui d’être un consommateur responsable, car depuis quelques années, la dynamique de l’innovation a radicalement changée : c’est l’offre qui crée la demande. Il faudrait faire un check-up complet de tout ce dont nous avons vraiment besoin et vraiment envie, et se poser la question suivante : cela est-il souhaitable pour le monde, pour la collectivité, pour le bien commun, pour les générations futures et pour nos contemporains ? En se rappelant toujours que ma possession est juste si elle n’empêche pas la potentialité que l’autre l’ait aussi. Ma consommation d’énergie est juste si elle n’empêche pas la potentialité que l’autre puisse la consommer aussi, etc…

Alors oui, la voiture électrique et les « Malthusiens » font bon ménage, dans la mesure où le VE est une solutions pertinente en ville et dans un environnement périurbain. Mais la voiture électrique est une réponse partielle aux problématiques de mobilité et de société actuelles. Plus le mix énergétique sera divers et varié, moins la pression sur notre écosystème sera forte car étalée.

Le VE est-il une solution d’avenir s’il est généralisé aux 60 millions de français ou aux 7 milliards d’êtres humains ? Je crois que vous connaissez la réponse. Alors si on devait prioriser 10 réformes importantes dans notre vie de tous les jours pour consommer 10 fois moins d’énergie, quelles seraient-elles ? Même si on a des préférences pour telle ou telle solution et que certains rêvent d’aller sur la lune, l’émulation collective pourrait permettre, sur des sujets de fonds, de dégager de belles idées synergiques issues de nos réflexions. Il y a des projets de recherche à longs termes qui méritent d’être développés, mais il y a aussi des solutions pour aujourd’hui à imaginer…