Après des années noires, la marque du groupe Stellantis connaît un beau succès avec la 500 électrique. Embellie passagère ou début d’un renouveau ?

Vingt ans de cauchemar avant de retrouver la lumière ? Pour la marque italienne Fiat, les décennies 2000 et 2010 furent celle d’un long déclin commercial et d’un sous-investissement massif. La preuve ? En vingt ans, la marque a vu sa part de marché en Europe divisée par deux.

Mais depuis quelques mois, les choses semblent s’améliorer pour le constructeur turinois. En guise de printemps, on note le beau succès de la 500 électrique, qui fut à plusieurs reprises ces derniers mois numéro 1 des immatriculations chez les VE en France et en Allemagne.

Le deuxième étage de la fusée fut la présentation de l’ambitieuse 600, début juillet, au siège historique du Lingotto. Ce lancement – qui interviendra en fin d’année – réintroduit la marque sur le segment B en misant sur un véhicule à mi-chemin entre la citadine et le SUV. Le look néo-rétro et le tarif contenu devraient faire mouche.

Un mariage qui change tout

Pourtant, les éléments paraissaient ligués contre la firme italienne. Flashback. À la fin des années 2000, le patron du constructeur, Sergio Marchionne et son directeur marketing Luca de Meo venaient de remporter leur pari : relancer avec succès la Fiat 500. Présentation chic, prix élevés… La recette était gagnante.

Mais le patron ne croyait pas à la capacité de Fiat de générer des marges dans l’univers très concurrentiel de la petite voiture, phénomène 500 mis à part. Le patron coupa tout simplement les vivres. La Punto ne fut jamais remplacée. Un projet de 600 fut avorté au stade des études.

Les fonds économisés grâce à l’absence de plan produit furent redirigés vers la prise de contrôle de Chrysler ou la relance d’Alfa Romeo. Pour assurer la survie de la marque Fiat sans dépenser, la direction se montra créative. Exemples ? Le roadster 124 fut une Mazda MX-5 rebadgée made in Japan ou encore la Tipo, vendue en Europe, mais destinée aux marchés émergents.

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De même, pour éponger le déficit technologique et éviter les pénalités CO2 de l’Union européenne – les Fiat commercialisées sur le continent dépassaient les 95g/km de moyenne au kilomètre — Fiat-Chrysler avait établi un pool avec Tesla. Le cash reçu en échange a permis à la marque d’Elon Musk d’éponger une partie des pertes liées à la mise en production de la Model 3.

La prise de contrôle de Chrysler – éternel homme malade de l’industrie automobile américaine – servit à mettre la main sur sa pépite : Jeep. Et par là même de rendre le groupe plus séduisant dans le cadre d’un mariage avec un autre géant de l’industrie automobile. La mort brutale de Sergio Marchionne à l’été 2018 survint avant qu’un accord ne soit signé. Mais il eut tout de même le temps de lancer un projet 500 stratégique… et de mettre suffisamment d’argent sur la table pour en faire une bonne voiture électrique.

Si Renault fut un temps pressenti, c’est finalement avec PSA que l’union fut scellée juste avant l’irruption de la pandémie de Covid-19. Voilà qui a permis à Fiat de bénéficier de la banque d’organes maison pour aller au-delà de la 500.

Ainsi voit-on la 600e bénéficier dès son lancement fin 2023 de la batterie et du moteur électrique qui seront bientôt installés dans le Peugeot e-2008. Mais certaines faiblesses demeurent dans l’édifice turinois.

Un paradoxe italien

Électrifier les modèles « mythiques » de la marque ne sera pas suffisant. Car en Italie, le VE ne décolle toujours pas. En 2022, la part des électriques dans les ventes de voitures neuves atteignait péniblement les 3,8 %, contre près de 15 % en France. Et si la Fiat 500 était quatrième au classement général des immatriculations en mai, seul un cinquième des exemplaires vendus étaient de la nouvelle génération, exclusivement proposée avec machine synchrone.

Deux motifs expliquent ce désintérêt. D’abord, une question de pouvoir d’achat. L’électricité est structurellement coûteuse pour les consommateurs. Le pays a notamment renoncé à l’énergie nucléaire dans un référendum tenu en novembre 1987 (80 % de oui à l’abrogation), devenant très dépendant au gaz. Le « pic » des prix de l’énergie de l’hiver dernier a été largement plus brutal pour le portefeuille des ménages à Rome ou à Milan qu’à Paris ou Marseille, repoussant également les intentions d’achat automobiles.

Et aujourd’hui, le gouvernement de coalition de Georgia Meloni (Fratelli d’Italia, extr. droite) se montre hostile à la voiture électrique. Le ministre des Infrastructures, Matteo Salvini (Lega, extr. droite), résumait en mars dernier sa position dans une matinale radio très écoutée : « Aujourd’hui, l’électrique coûte plus cher sur son cycle de vie et pollue parfois aussi davantage (…) Il y a d’autres solutions comme les carburants synthétiques ou les biocarburants qui polluent peu et qui demandent à être étudiés attentivement ».

Dans le même temps, le gouvernement a tout tenté pour contrer l’interdiction européenne de vente des véhicules thermiques après 2035. Le niveau des infrastructures liées à la voiture électrique de l’autre côté des Alpes s’en ressent. Pour une population proche de celle de l’Hexagone, l’Italie compte aujourd’hui 40 000 points de recharge contre 100 000 dans notre pays. On installe aujourd’hui des bornes 22 kW sur des aires d’autoroute.

Or, Fiat est rudoyé sur son marché national. Avec 93 000 immatriculations au cours du premier semestre 2023, la marque ne possédait plus que 11,1 % de part de marché. Volkswagen, Toyota ou Dacia ne cessent de se rapprocher de la marque numéro 1 dans un mouvement de très longue durée. En 1983, Fiat trustait 47 % du gâteau transalpin et un seul modèle (la Uno) constituait à lui seul une immatriculation sur cinq ! Pour maintenir la part de marché, sa présence, son réseau et donc ses marges, l’abandon du thermique est inenvisageable à court terme.

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Logiquement, Fiat doit composer entre le maintien de ses positions historiques et la conquête sur d’autres marchés. « Nous savons que la 600e ne figurera pas dans les premières places des ventes en Italie, expliquait Olivier François, le patron français de la marque, lors de la révélation du modèle à Turin (Italie). Le succès de la 500e est bon pour l’industrie italienne et bon pour l’environnement. Nous attendons que nos partenaires publics nous aident à avancer ». Le message à destination de l’exécutif de Rome est clair…

Mais il est un ailleurs encore plus crucial. L’autre marché clé de Fiat est le Brésil avec 651 000 immatriculations sur les 1,17 million de voitures vendues dans le monde, soit plus de la moitié de ses ventes. Dans cette zone où l’agro-carburant est roi, l’heure est aussi à la prudence sur l’électrique. Fiat compte poursuivre encore un bon moment la commercialisation des Argo, Pulse ou Chronos locales avec leurs 3 et 4-cylindres thermiques. À l’électrique, les marchés les plus avancés d’Europe, au moteur à combustion, les bastions majeurs. Sans le mariage avec PSA et la naissance du groupe Stellantis, les chances de s’offrir une telle amplitude de produits étaient faibles.

Un plan produit en deux volets

Ceci explique pourquoi l’avenir de la marque ne passe pas que par les citadines électriques à la silhouette nostalgique. D’abord parce que les 500 et 600 poursuivront leur route en thermique. Pour la plus petite, la vente de la génération sortie en 2007 se poursuit, avec succès. C’est d’autant plus pratique sur ce segment A à faible marge que sa fabrication rentabilisée depuis des lustres. La Seicento sera pour sa part déclinée en version micro-hybride 48 volts en 2024, à partir de la nouvelle chaîne de traction annoncée sur la Peugeot 208.

Fiat entend encore profiter de la banque d’organes Stellantis pour élargir à nouveau sa gamme, y compris en Europe. « Il y a deux identités dans la marque Fiat », expliquait Olivier François lors de la présentation de la 600e. Turin espère également faire fructifier sa tradition de véhicules accessibles et logeables, rappelant les Panda, Punto ou Tipo des années 1980 et 1990. Evidemment, les marges devront être intéressantes pour recevoir le feu vert de Carlos Tavares, directeur général de Stellantis.

Le marché italien attend par exemple avec impatience le remplacement de la Panda : la génération actuelle a été lancée au printemps 2012 et conserve la tête des immatriculations, loin devant la Dacia Sandero. Sa remplaçante – qui sera dévoilée à l’été prochain – devrait reprendre la ligne du concept car Centoventi, présenté au salon de Genève 2019. Il s’agira très probablement d’un hommage cubique à la Panda originale, dessinée à la fin des seventies par Giorgetto Giugiaro.

Surélevée et simple de conception, elle pourrait jouer sur le même terrain que la future Renault 4. Mais contrairement à la Française qui jouera à fond la carte du VE, elle devrait être disponible à la fois en thermique et en électrique.

Une stratégie autorisée se basant sur la plateforme CMP existante des Peugeot 2008, Jeep Avenger et… Fiat 600. La philosophie « multi-énergie » de Carlos Tavares sied visiblement parfaitement à la fabbrica.