Avec son toit solaire, ses éoliennes et sa silhouette sportive, l’Energy Observer ne passe pas inaperçu. Ce catamaran futuriste entièrement propulsé aux énergies renouvelables est un véritable concentré de technologies. Lancé dans un tour du monde de six ans, le navire a jeté l’ancre à Marseille pour une escale de dix jours. Nous l’avons visité.

Qui n’a pas rêvé d’une croisière à bord d’un yacht ultramoderne, filant sur l’eau dans un silence presque total ? Assis sur la proue, les jambes en porte-à-faux au-dessus des mers et océans fendus pas un vaisseau zéro émissions ? Ce rêve, l’équipage de l’Energy Observer le vit déjà depuis presque six mois. Parti de Paris l’été dernier, ce catamaran entièrement recyclé s’est lancé dans un tour du monde de six ans pour porter un noble message à l’humanité. Un prototype en constante évolution pour montrer au monde que l’on peut tourner la page du pétrole et ouvrir celle des énergies renouvelables.

Un stockage d’énergie hybride batteries – hydrogène

Ces énergies propres, l’Energy Observer les connaît presque toutes : le navire embarque un électrolyseur capable d’extraire l’hydrogène de l’eau des étendues sur lesquelles il se déplace. Cet électrolyseur, relié à une pile à combustible, est alimenté par un toit photovoltaïque de 130m² et deux éoliennes, dont une expérimentale à axe vertical.

Lorsque ces deux équipements ont terminé de charger la batterie lithium-ion de 106 kWh embarquée, ils propulsent les moteurs électriques de 41 kW chacun et alimentent le compresseur qui remplit des bonbonnes d’hydrogène à 350 bars capables de stocker 2 mWh d’énergie. A bord, le moindre électron généré est utilisé ou emmagasiné.

Si l’utilisation de l’hydrogène est controversée à bord de véhicules individuels, elle prend tout son sens sur l’Energy Observer. En effet, le navire utilise une énergie propre et excédentaire pour le fabriquer à partir d’eau de mer préalablement désalinisée. Ici, pas de reformage du méthane émetteur de Co2 ou d’électrolyse issue d’une électricité carbonée habituellement utilisé par l’industrie pour générer la molécule tant convoitée.

La partie hydrogène du navire est placée à l’extérieur pour des raisons de sécurité

Une voile « cerf-volant » pour propulser et générer de l’électricité

L’Energy Observer est également équipé d’un système de voile sans mat. Similaire à un cerf-volant, il devait propulser le navire les jours de vent et entraîner les hélices devenues hydroliennes, à la manière d’un frein régénératif de véhicule électrique. Ce dispositif devait générer jusqu’à 2,5 kWh d’électricité dans les batteries, mais il n’a pas pu être exploité jusqu’ici en raison d’un problème de « temps de réponse » du système de pilotage automatique de la voile.

Un dysfonctionnement qui sera probablement corrigé lors des nombreux arrêts techniques et hivernages prévus au cours de la traversée autour du globe. L’Energy Observer doit en effet se perfectionner au fil des six années. D’après son capitaine et co-directeur d’expédition Victorien Erussard, le navire sera complètement différend au terme du périple, enrichi des expériences, défis techniques et évolutions technologiques.

Un système inspiré du réseau électrique d’une île des Canaries

Le barreur compare le fonctionnement de l’Energy Observer au réseau électrique autonome d’El Hierro. Cette île de l’archipel des Canaries est équipée d’un système d’éoliennes qui valorise l’électricité générée en excès durant les heures creuses en alimentant des pompes pour stocker de l’eau de mer dans des réservoirs en altitude. Lors des pics des consommation, l’eau redescend en traversant des turbines hydroélectriques qui alimentent le réseau en plus de l’énergie fournie par les éoliennes. De la même façon, le catamaran expérimental emmagasine le surplus d’électricité sous forme d’hydrogène.

Ainsi, le navire fonctionne 70% du temps grâce à l’électricité générée par la pile à combustible et 30% sur les batteries lithium-ion. 90% de l’énergie est utilisée pour la propulsion et les 10% restant par les équipements de vie et de navigation à bord. Conçu pour naviguer à une vitesse de 12 nœuds (22 km/h), le vaisseau doit cependant se limiter à croiser à 5-6 nœuds (environ 10 km/h). Les panneaux solaires produisent en effet moins d’électricité au fur-et-à-mesure que l’hiver approche.

Le toit solaire en partie biface capte les rayons directs du soleil mais aussi la réverbération

S’adapter aux fluctuations des énergies renouvelables

Victorien Erussard le reconnaît, il a été surpris par une baisse plus prononcée que prévue de la production du toit photovoltaïque. Ces dernières semaines, les cellules solaires biface pourtant capable de capter à la fois la lumière directe du soleil mais aussi celle de la réverbération, délivreraient trois fois moins d’électricité qu’au cours de l’été. L’équipage est donc contraint à ajuster en permanence l’itinéraire pour économiser de l’énergie. Pour éviter les vents violents au large mais aussi soumis à la circulation de navires militaires, le catamaran doit longer les côtes au plus-près.

Navire expérimental mais grand confort à bord

Contrairement à ce que l’on peut imaginer, la vie à bord de ce navire expérimental n’a rien de modeste. Pas de câbles qui traînent, pas de sacs de couchages en guise de lit ni de compartiments étroits. Comme dans une embarcation de plaisance moderne, le confort est présent : grande cuisine, plaques de cuisson à induction, machine à expresso, sofas bien rembourrés, baies électroniques masquées par d’élégantes portes transparentes flanquées du logo de l’expédition et six cabines avec de grands couchages.

L’espace de vie commun est organisé autour d’un grand écran tactile central qui diffuse toutes les données extrêmement détaillées des technologies embarquées. L’équipage est composé de six personnes et comprend de nombreux ingénieurs chacun spécialisés dans un domaine (hydrogène, systèmes électriques…). En journée, 14 hommes peuvent prendre légalement place à bord.

Le capitaine Victorien Erussard présente l’écran de contrôle central

Un prototype recyclé à partir d’un ancien catamaran de course

Face à cet habitacle pimpant, difficile d’imaginer que l’Energy Observer est le fruit du recyclage intégral d’un navire construit en 1983. Ancien maxi-catamaran de compétition, il a été complètement modifié pour sa nouvelle vocation. Une opération qui a coûté 5 millions d’euros en travaux et 3 millions d’euros en recherche et développement, financée par de nombreux partenaires et mécènes.

Amarré du 1er au 10 décembre dans le bassin du J4-Mucem à Marseille, l’Energy Observer est accompagné d’un village ouvert au public pour découvrir son fonctionnement et sa mission en détail. L’accès y est gratuit, tous les jours de 10h à 18h jusqu’à son départ pour Monaco. Le catamaran y marquera une ultime étape du 14 au 21 décembre avant un hivernage jusqu’en mars 2018. L’Energy Observer quittera alors le continent pour boucler son tour du monde avant un retour en France en 2022.