Qui se souvient encore des voitures branchées, éventuellement à prolongateur d’autonomie, mises au point par SVE (Société de véhicules électriques), une entreprise portée principalement par le groupe Dassault, mais aussi, un temps, en collaboration avec Heuliez et Hydro-Québec ?
Rappelez-vous pourtant du Scenic électrique utilisé par Jean-Louis Borloo. Ce n’était plus un Scenic, mais la dernière évolution de la Cleanova. Histoire d’une petite série d’engins que les quelques utilisateurs à les avoir essayés décrivent comme tout à fait en avance pour l’époque !
Pionnier du lithium-ion
En 2002, la société SVE a été l’un des premiers constructeurs automobiles en Europe à installer et expérimenter la technologie lithium-ion dans une flotte de véhicules électriques. Il s’agissait de la première version du concept NVNX, dessiné par Heuliez, et qui sera par la suite baptisé Cleanova, à la faveur d’un nouveau coup de crayon.
La chaîne de traction électrique, parfois assistée d’un prolongateur d’autonomie, fut ensuite installée sur un châssis de Kangoo. Un hasard ? Pas vraiment, et pour deux raisons ! D’abord parce que Renault produisait lui même des Kangoo électriques : les modèles Electri’Cité (100% électrique) et Elect’Road (PHEV). Ensuite, en espérant que le Losange exploite l’architecture SVE.
Kangoo pour le Cleanova II / Scenic pour le Cleanova III

La Clenova III de Jean-Louis Borloo
« Renault a livré à SVE une trentaine de Kangoo électriques entièrement équipés et assemblés dans l’usine de Maubeuge », se rappelle pour Automobile Propre, Serge Piat, alors responsable de la distribution des véhicules électriques pour le Losange. Il ne restait plus qu’à retirer les batteries NiCd, le moteur brushless, le convertisseur et d’autres pièces encore, pour implanter l’architecture développée par la société principalement dirigée par Dassault. Et voilà le Cleanova II ! « Trois ou quatre exemplaires de plus ont dû être fabriqués ensuite tout spécialement pour SVE, fournis sans les batteries, le moteur, ni l’électronique », ajoute Serge Piat.
Par la suite, un modèle Cleanova III sera présenté sur la base du Renault Scenic. Deux exemplaires sont connus, dont l’un a servi aux déplacements de Jean-Louis Borloo, de juillet 2007 à avril 2008, lorsqu’il était ministre de l’Ecologie. Ensuite, les deux voitures devaient être exploitées à Paris par la compagnie de taxis G7. Personne ne semble les avoir vus en service. A l’époque, j’ai essayé d’être pris en charge avec l’une d’elle à la faveur d’un déplacement dans la Capitale. « C’est impossible monsieur : on ne peut pas choisir son véhicule », m’a-t-on répondu lors de mon appel téléphonique à la centrale de réservation, ce même mois d’avril 2008.
Du clé en main pour Renault ?
Même si Serge Dassault indiquait volontiers que la chaîne de traction développée par SVE était portable sur tout autre voiture, il est clair qu’il espérait que Renault l’exploite. Le constructeur possédait déjà les matrices pour fabriquer les éléments de carrosserie spécifiques, dont l’aile avant droite avec sa trappe qui s’ouvrait de bas en haut pour permettre de brancher le câble Marechal. En outre, le Losange pouvait enterrer la concurrence PSA avec un engin beaucoup plus pêchu et d’un rayon d’action alors inégalé sur un marché très restreint.
Quand un Kangoo Electri’Cité offrait une autonomie de 70-90 kilomètres après une charge complète de la batterie NiCD, le Cleanova II, lui, pouvait parcourir entre 150 et 200 km. Les deux modèles savaient en outre doubler leurs chiffres, s’ils embarquaient un prolongateur d’autonomie. Avant d’utiliser sa propre solution, SVE avait conservé dans son architecture le moteur essence Lombardini du Kangoo Elect’Road, plus particulièrement monté à l’époque sur des voitures sans permis.
Déceptions
Fin 2008, la France entière apprenait de la bouche même de Serge Dassault (voir la vidéo) le refus des constructeurs français d’exploiter sa solution. C’était dans l’émission Complément d’enquête, diffusée pour la première fois sur France 2, le 20 octobre 2008. « On a fait ces voitures avec Renault, pour Renault, mais Renault n’y a pas cru. Il y a 3-4 ans, j’ai été voir monsieur Ghosn et lui ai dit ‘Maintenant on a votre voiture !’. On se promenait en Scenic, on se promenait en Kangoo, ça marchait bien, et il m’a dit ‘j’y crois pas ; il n’y aura pas de voiture électrique, et de toute façon, nous travaillerons avec les Japonais, avec Nissan », relatait, amer, Serge Dassault, au micro de Benoît Duquesne.
Après l’incompréhension jetée par les propos de l’industriel politicien, le temps a fini par rendre évidentes les raisons du refus du projet Cleanova par Carlos Ghosn. Elles se matérialisent sous la forme du programme ZE de Renault, et de la Leaf, entrée en production deux ans, environ, après l’émission. Le marché chinois en lot de consolation pour SVE !? Même pas ! En dépit de l’accord signé en 2006 par le PDG du groupe Dassault, le conglomérat d’Etat China Citic Group et le gouvernement de Mongolie intérieure, pour le développement de véhicules électriques et hybrides rechargeables, la Cleanova n’a pas plus fait carrière en Asie qu’en Europe.
Pour prouver la portabilité de sa chaîne de traction, SVE en a équipé en 2007 un Fiat Doblo, présenté au 77e Salon international de l’Automobile de Genève. A noter la possibilité d’alimenter avec de l’éthanol le prolongateur d’autonomie. Une touche « verte » également présente sur la Cleanova III, avec laquelle elle partage le bicylindre 4 temps de 750 cm3, sensé être plus performant que le Lombardini 500 cm3 monté chez Renault.
EDF, La Poste, Société Générale…
La Cleanova II, le modèle le plus produit par SVE, n’avait rien d’un concept virtuel. La trentaine d’exemplaires achevés a été confiée à différentes entreprises et collectivités, parmi lesquelles EDF (8 exemplaires), La Poste (8), ALD Automotive (4), filiale de la Société Générale spécialisée en location longue durée et gestion de flotte automobile, Véolia, Accor, la Ville de Saint-Etienne (42), etc. Coût de fabrication d’un exemplaire : 150.000 euros ! Mais avec une production à la chaîne, Dassault estimait à 7.000 euros le surcoût à l’achat d’une Cleanova, par rapport à son équivalent thermique.
En novembre 2008, Raymond Redding, directeur général délégué du groupe La Poste, justifiait l’abandon des Cleanova dans son entreprise « car la fin de vie de ces véhicules, notamment le recyclage des batteries, posait problème ».
Equipées d’accumulateurs lithium-ion Saft sans maintenance, puis Zebra, ces voitures étaient électroniquement bridées pour ne pas dépasser les 130-135 km/h, soit environ 20 km/h de mieux que les Kangoo électriques proposés alors par Renault. Du côté des batteries lithium-ion se sont succédées différentes technologies : Li-Mn2O4, Li-FePO4, Li-NiCoAl. Selon les besoins des clients, le pack pouvait évoluer en capacité, de 16 à 30 kWh. Il fallait compter 8 heures pour recharger sur une prise 16 A celui de 25 kWh qui équipait les modèles prêtés à La Poste, ou la moitié de temps en 32 A.
De l’enthousiasme d’un essayeur ponctuel…
« La Cleanova II était une voiture très maniable, agréable à conduire, et qui n’avait aucun souci pour s’insérer dans la circulation », rapporte babar2508 du forum www.vehiculeselectriques.fr, qui nous a autorisés à reproduire ici son témoignage et ses photos d’un exemplaire en prêt chez ALD Automotive. Lui qui se déplaçait alors avec un Peugeot Partner équipé de batteries NiCd, a été véritablement bluffé par l’engin : « les accélérations et la vitesse de pointe étaient impressionnantes, alors que nous étions 4 adultes à bord de la Cleanova qui avalait les kilomètres sur une route en légère montée ». Cerise sur le gâteau : « l’aiguille de charge de la batterie de traction ne baissait que très lentement, même à ce rythme ! ».
Aujourd’hui, avec le recul, babar2508 est persuadé que la Cleanova II est encore très actuelle. Il peut ! Et sa déception a été immense d’apprendre qu’elle ne serait pas commercialisée.
…au nécessaire recul d’un utilisateur régulier
A plus de 900 kilomètres de chez babar2508, Laurent Schaeffer est un vrai pionnier du véhicule électrique. Agent technique VE pour la filiale EDF Electricité de Strasbourg, il travaille dessus et avec depuis 1985 ! Microcar, Volta, AX, Saxo, Berlingo, Partner, Express, C15, J5, et sans doute bien d’autres encore : il connaît ! Il a même participé au projet Elestra, un tricycle électrique proche du concept du Piaggio Ape, et produit à 150 exemplaires, dont 70 livrés à la Ville de Strasbourg. Pendant 2 ans, il a personnellement utilisé un Cleanova II, repris ensuite par un agent pour la relève des compteurs.
Lui aussi cite la souplesse, la bonne autonomie et la vivacité de l’engin. « Pour l’époque, c’était très bien ! », nous explique-t-il. « Mais aujourd’hui, cette Cleanova II serait dépassée », affirme-t-il, la comparant à la flotte branchée qui l’entoure. « Prenez la Zoé, elle est bien mieux finie ! », conclut-il.
Détruites ? Pas toutes !
Notre enquête nous a conduit chez Accus Service, à Pessac (33). C’est là que les Cleanova ont fini par échouer, avant leur destruction. Jean-Louis Fossard, à la tête de l’établissement, témoigne : « C’étaient des prototypes, impossibles à réparer. Elles avaient toutes une particularité technique. Nous avons réussi à en faire rouler 2, jusqu’à ce qu’elles tombent définitivement en panne ».
Toutes détruites ? Non ! « Une Cleanova I et une III ont été confiées à Mobil’Eco par Accus Service », se réjouit Christian Lucas, vice-président de cette association de promotion de la mobilité électrique. « La première est exposée dans notre conservatoire, et la seconde mise à disposition du Pôle mécanique de Haute Saintonge qui gère le circuit d’essais, de compétitions et de loisirs de la Genétouze, en Charente-Maritime », précise-t-il. Deux adresses à noter pour voir une Cleanova de près !
Automobile Propre et moi-même remercions chaleureusement pour leur disponibilité et leur réactivité, toutes les personnes contactées pour la réalisation de cet article. Dans l’ordre alphabétique : babar2508 (forum vehiculeselectriques.fr), Jean-Louis Fossard (dirigeant de Accus Service), Christian Lucas (vice-président et co-fondateur de Mobil’Eco), Serge Piat (responsable en retraite de la distribution VE pour Renault), Remdo (modérateur du forum vehiculeselectriques.fr), Alain Rolkowski (technicien VE Renault en retraite), Laurent Schaeffer (Agent technique VE chez ESR, filiale EDF).
un gâchis industriel épouvantable que la France sait si bien distiller…
J’espère que cet article a été apprécié malgré le très faible nombre de post.
C’est donc vrai que, nous français, sommes fâchés avec l’économie et donc encore plus avec l’histoire économique.
Dommage….
Toujours aussi surpris de voir l’étendue des expérimentations qui ont pu avoir lieu pendant les 15 années précédant la réelle commercialisation de VE (génération actuelle). Il y a eu tellement d’essais très aboutis mais qui n’ont jamais été jusqu’à l’industrialisation. Et ce, pendant 15 ans, entre la GM ev1 de 1996, suivie des saxo & co. jusqu’à la Fluence ZE de 2011 qui pour moi marque la fin des tests et autres bidouillages. Aujourd’hui il ne serait plus envisageable de sortir un VE non aboutît, mais en regardant maintenant 15-20 ans en arrière on est toujours surpris de l’avancée de l’époque (ou de la non avancée d’aujourd’hui !) sur certains points techniques, tout en ne pouvant ignorer que les VE actuels ont fait un bon considérable durant les seules 5 dernières années. Cette accélération est évidente et on peut espérer désormais une vitesse d’évolution très rapide qui va certainement bouleverser le VE dès la fin de la décennie, tant en terme d’autonomie, que de recharge, design, fonctionnalité, etc. Les nouvelles technos peuvent stagner très longtemps puis une fois la décision prise très rapidement évoluer et révolutionner toute une industrie … Nous n’en sommes qu’au début ! Ceux qui ont vécu la révolution informatique s’en souviennent, stagnation depuis le début des années 80 jusqu’au déclic Windows 95/internet, puis révolution de toute la société … Mais on s’égare ! ;)
devenir de la SVE (Societe des Vehicules électriques)
http://www.miroirsocial.com/actualite/9257/dow-kokam-l-histoire-d-un-gachis-de-savoir-faire-fran-ais-sur-les-batteries-lithium-ion
superbe travail de journaliste. Merci Philippe.
continuez.
Je me souviens parfaitement de Cleanova ! Notamment la Scénic II. Hélas à l’époque Renault et PSA n’y croyaient déjà plus, ma 106 par exemple tient par certains aspects plus du prototype de pré-série que d’une voiture commercialisée, il a manqué une nouvelle version au bout d’un an sur la base des retours des usagers. Par exemple pour la charge, devoir brancher un retardateur et estimer le temps en fonction de ce qu’il reste pour que ça se termine au moment où on part, pour éviter le fameux « pseudo-effet-mémoire » des batteries NiCd ! Alors que la voiture aurait pu faire ça bien mieux pour un coût ridicule voire nul (bon de code). Enfin *espérons* que cette fois c’est la bonne, les VE décollent !