plume-didier-pouhee

Il suffit parfois d’un simple commentaire à la suite d’un article publié sur le présent blog pour que naisse l’idée d’une nouvelle rédaction. Ce fut le cas avec Didier Pihouée, qui à été l’élève du designer à l’origine des traits du Porquerolles. Avec 2 camarades de promotion, il a lui-même dessiné un petit utilitaire branché en 1995.

D’un commentaire…

« L’article est intéressant, surtout pour l’époque, mais il ne mentionne pas le nom du designer qui l’a imaginé. Il s’appelle Michel Millot et fut l’un de mes professeurs à l’Ecole des Arts décoratifs de Paris [NDLR : l’Ensad], en section Design industriel. Section qui, en 1969, était toute récente, et dont Roger Tallon avait également rejoint l’équipe », commentait Didier Pihouée, architecte d’intérieur (http://www.pihouee-design.com), à la suite de notre article intitulé « Quand L’Automobile essaye une Jarret Porquerolles, en 1972 », publié le 12 mai dernier.

Ecole d’Ulm

Alors que Didier Pihouée s’apprête à concevoir avec quelques camarades un petit véhicule électrique pour son grand projet de fin d’études, en 1995, il s’intéresse au concept du Porquerolles dans lequel il dit retrouver le « fonctionnalisme ‘Ulmien’ de Michel Millot ». De quoi s’agit-il ? Fondée en 1955, en Allemagne, l’Ecole d’Ulm s’attache particulièrement aux objets industriels qui doivent être simplifiés à l’extrême pour gagner en intemporalité et représenter une nouvelle forme de société. Michel Millot, encore acteur du design en cette décennie, a ainsi travaillé pendant plus de 40 ans à dessiner de menus appareils électriques (du rasoir au grille-pain), des outils, des meubles, des jouets, du matériel acoustique, etc.

Fermée en 1968

Si l’Ecole d’Ulm ferme ses portes en 1968, plusieurs centaines d’anciens étudiants continuent à appliquer sa philosophie. Hasard du calendrier, c’est à cette époque que Michel Millot termine le dessin du Porquerolles que le public découvrira officiellement cette même année au Salon automobile de Paris. Dans un mouchoir de poche sur l’échelle du temps, c’est aussi l’ouverture de la section Design industriel de l’Ecole des Arts décoratifs de Paris. Didier Pihouée témoigne qu’il venait de se mettre en place « une équipe novatrice qui s’amusait bien ». Dans celle-ci, parmi les professeurs, on trouve d’autres grands noms, parmi lesquels Dieter Lasmann (designer industriel), Roger Tallon (du réfrigérateur au TGV, dont le modèle duplex), Claude Himof (designer industriel), Pierre Paulin (des premiers fauteuils de jardin en résine de synthèse pour Allibert au bureau du président François Mitterrand). A noter, pour les passionnés d’automobiles anciennes, que Pierre Paulin et le fils de Georges Paulin, le chirurgien-dentiste devenu designer pour avoir amené à Peugeot le concept du coupé-cabriolet, mis en application la première année des congés payés (1936)sur la 402 Eclipse.

Pour des déplacements courts

Didier Pihouée se souvient que ses professeurs à l’Ensad évoquaient le Porquerolles « pour des déplacements assez courts », dans les aéroports ou sur un terrain de golf, par exemple, mais pas pour circuler en ville. Selon lui, Roger Tallon faisait partie de l’équipe en charge de la conception et des essais de l’engin. « Il avait imaginé un système de suspension très simple avec une bande caoutchouc enroulée dans un tube, qui n’a finalement pas été retenu », témoigne-t-il. « Un châssis très dépouillé pour un véhicule d’été très ludique : des idées qui ont 30 ans, mais qui sont toujours valables », juge notre interlocuteur. D’ailleurs, avec des documents de Roger Tallon, ses camarades de promotion, Frédéric Lochet et Laurent Teyssandier de la Serve, et lui, vont concevoir un petit utilitaire électrique baptisé « Plume ».

Plume : un utilitaire pour demain… euh, pour aujourd’hui !

Le projet plume n’a pas dépassé le stade de la maquette au 1/5e. Mais l’engin avait un fort potentiel, encore à exploiter aujourd’hui. « Après quelque temps de gestation et de réflexion, nous avions opté pour avoir un regard sur l’urbanisme de demain (c’est-à-dire aujourd’hui) », se souvient Didier Pihouée. « Plume était notre réponse aux déplacements utilitaires dans des espaces et conditions de plus en plus contraignantes, au gain de place et à l’écologie », souligne-t-il avec des arguments toujours bien d’actualité.

Déclinaisons multiples

« Bien qu’à vocation utilitaire, les déclinaisons sont multiples : fonction publicitaire, véhicule d’intervention rapide EDF, livraison en sites piétonniers, urgence médicale, entretien des jardins publics, distribution du courrier postal… La liste n’est pas exhaustive », détaille notre interlocuteur qui s’amuse encore à trouver des versions à l’engin, comme cette récente variante imaginée pour promouvoir les produits Cochonou. Au fait, pourquoi partir sur un utilitaire ? « L’inspiration de départ était le scooter. Le choix d’un utilitaire a été fait en pensant qu’il est plus simple pour ce genre de véhicules de prévoir une autonomie qui se calque sur la longueur usuelle des tournées », répond Didier Pihouée.

plume-utilitaire-electrique-0001

Raymond Loewy

Difficile d’évoquer les voitures américaines des années Détroit sans mentionner le célèbre designer Raymond Loewy. Mais ici, dans un blog consacré aux véhicules plus respectueux de la planète… C’est Didier Pihouée qui fait le lien : « Plume faisait référence au ‘Maya’ de Raymond Loewy, acronyme de ‘Most Advance Yet Acceptable’ ». En clair, le designer franco-américain cherchait à proposer dans ses dessins le meilleur compromis possible entre « ce qui existe de plus avancé mais [qui est] cependant acceptable [par les consommateurs] ». Sa théorie, qui se vérifie effectivement souvent dans de multiples domaines, est que « le public n’est pas nécessairement prêt à accepter les solutions logiques qui répondraient le mieux à ses besoins si celles-ci s’écartent trop de ce qu’il a été conditionné à accepter comme étant la norme ».

Plume face à la Zoom

La Zoom, c’est ce prototype de voiture électrique dessiné chez Matra pour Renault et présenté au Salon de Paris en 1992. La grande originalité du concept est de perdre de 35 à 60 centimètres de longueur, selon le point de référence choisi, par rétractation du train arrière, pour pouvoir se garer plus facilement. Ce dispositif, Plume l’a récupéré, comme nous l’explique Didier Pihouée : « Le système pendulaire de rétractation des roues arrière était inspiré d’un concept réalisé par des anciens élèves de l’Ensad travaillant désormais chez Matra Automobile. Le projet s’appelait Zoom, en référence à l’objet pouvant s’allonger ». Notre interlocuteur est intarissable en anecdotes sur les engins à l’étude à cette époque dans son Ecole nationale supérieure d’arts et métiers : « Les auteurs de Zoom avaient aussi baptisé leur projet de fin d’étude Maya ».

La rétraction appliquée à un petit utilitaire

Repliée, la Zoom ne mesurait plus que 2,30 m en longueur. Plume, lui, fait mieux, passant de 3 m avec le caisson de transport déployé à seulement 2,1 m totalement replié. L’engin pouvait être stationné et rouler dans cette configuration. Une fois arrivé au lieu de chargement, il suffisait d’allonger le plateau porteur puis de déposer dessus le caisson, entièrement déployé, pour embarquer un maximum de charge. « Le gain de place en milieu urbain n’est pas négligeable lorsque le véhicule est fermé », confirme Didier Pihouée, qui évoque les besoins en livraison dans les zones piétonnes ou à accès restreint.

Du GPL à l’électrique

« Plume est un monoplace avec accès gauche et droite, facilité par des sièges conçus pour glisser rapidement dessus », commence à expliquer notre architecte d’intérieur. « Les portes se replie dans l’encombrement du véhicule, dégageant un espace de sécurité protégé avant la descente », poursuit-il. Autre sujet d’étonnement : la motorisation. « La version originale de Plume est mue par un moteur 3 cylindres de moto BMW K75, très compact, et alimenté au GPL ; ce qui était déjà une gageure écologique », juge Didier Pihouée. « L’emplacement du bloc, positionné sur un châssis en ‘H’, avait été étudié pour recevoir à la place des batteries plomb susceptibles de conférer à Plume une autonomie estimée à 200 kilomètres », précise-t-il.

Plume face à la Smart

« En 1994, nous avions approché plusieurs constructeurs, dont Microcar, Renault et Matra ; ce dernier fut donc celui avec lequel nous avons collaboré », révèle notre interlocuteur. « La Smart était déjà en projet, mais elle n’est apparue qu’après une très longue gestation », à partir d’idées sorties du cerveau de Nicolas Hayek dans les années 1980, président du groupe horloger Swatch. Finalement, l’engin qui devait s’appelait « SwatchMobile » n’a vu le jour qu’en 1998. Pas de lien entre les noms « Smart » et « SwatchMobile » ? Si, justement, puisque Smart est l’acronyme de « Swatch Mercedes ART car ».

Plume face au Twizy

« Roger Tallon était notre conseillé et professeur sur ce projet. Michel Millot ainsi que les autres professeurs ont apporté, à Frédéric Lochet, Laurent Teyssandier de la Serve et moi-même, leurs expériences, notamment en ce qui concerne l’analyse d’usage », remercie Didier Pihouée. « Ils nous ont aussi permis une vision élargie sur les répercutions urbanistiques. Monsieur Jean Grenier a validé certains aspects techniques du projet. Je dois aussi mentionner Christian Pourrias designer à l’origine du prototype Twizy de Renault », énumère-t-il, ayant bien à l’esprit que le projet Plume prenait forme dans un contexte qui rassemblait Zoom, Smart et Twizy.

Architecte d’intérieur aujourd’hui

« Laurent Teyssandier de la Serve et moi-même travaillons aujourd’hui dans le domaine de l’architecture intérieure, et je n’ai pas de nouvelles fraîches de Frédéric Lochet », exprime notre interlocuteur pour continuer son bilan humain autour du projet Plume. Si sa spécialité l’a éloigné quelque peu des véhicules électriques, Didier Pihouée ne s’en désintéresse pas pour autant, avouant regarder aux extrêmes, d’un côté la Tesla Model S qu’il qualifie de voiture « sans compromis », de l’autre le Renault Twizy ou le fourgon Méga. Il se passionne actuellement pour le projet AddBike (http://www.addbike.fr), qui propose de transformer un vélo classique ou électriquement assisté en triporteur, grâce à un châssis à 2 roues qui vient s’adapter sur la fourche. L’appendice peut recevoir différents modules autonomes pour transporter un enfant, les courses de la semaine ou des colis. Avec un brin de nostalgie, Didier Pihouée regrette de n’avoir pas cru davantage, à l’époque, dans le concept d’un petit utilitaire branché, et s’enthousiasme de voir que certains avancent et réussissent dans ce marché de niche encore aujourd’hui, tournant son regard vers la Bretagne et les productions de Bolloré.

Automobile Propre et moi-même remercions beaucoup Didier Pihouée pour sa disponibilité et la transmission de documents d’époque inédits qu’il nous a autorisés à diffuser ici pour illustrer notre article et faciliter la compréhension.