Il râle beaucoup, il a décidé d’en faire un métier. Une semaine sur deux, notre râleur professionnel partage ce qui l’agace. Aujourd’hui, c’est une énième sortie de Carlos Tavares.

C’est la première chronique d’un râleur qui aime bien se plaindre… mais qui trouve déjà plus râleur que lui, en la personne de Carlos Tavares. Le patron de Stellantis n’a pas sa langue dans sa poche et profite toujours d’une interview pour donner des avis tranchés, avec un franc-parler qui dénote chez les grands patrons.

Critique de prédilection de Carlos Tavares : la marche forcée du marché européen vers l’électrique. Il s’agace régulièrement d’une décision purement politique, imposée aux industriels et aux clients, prise selon lui de manière dogmatique en réaction au “Dieselgate” de Volkswagen. Dès 2017, celui qui était à la tête de PSA faisait une sortie remarquée en prévenant ces décisionnaires politiques : pas question de faire les vierges effarouchées si on découvre dans quelques décennies que le bilan carbone d’un marché 100 % électrique n’est pas si bon que ça.

Depuis, si le fond du discours sur le tout électrique imposé n’a pas changé, les arguments ont évolué. Le cru 2022 était dominé par le pouvoir d’achat, car le véhicule électrique reste cher. Ses prix ont même progressé ces derniers mois, en raison d’une hausse des coûts des matériaux (notamment pour les batteries), d’une flambée des prix de l’énergie et de ceux du transport.

Selon Carlos Tavares, le véhicule électrique ne peut donc pas être acheté par les ménages les moins aisés. Or, que vont-ils acheter si on impose l’électrique dans les concessions ? Ce qui amène au nouvel axe d’attaque, celui du cru 2023. Ces décisions politiques et la situation industrielle des marques européennes ont permis d’ouvrir un boulevard aux marques chinoises sur le marché européen.

Un problème qu’il a en partie créé

Après des tentatives ratées au coeur des années 2000, les firmes chinoises profitent en effet de l’électrification du marché européen pour se lancer chez nous, avec des prix agressifs. Dans une interview donnée il y a quelques jours au média allemand Automobile Woche, Carlos Tavares souligne que “la différence de prix entre les véhicules européens et chinois est importante”, de l’ordre de 40 % selon lui.  “À moins que la situation actuelle ne change, les clients européens de milieu de gamme se tourneront de plus en plus vers les modèles chinois”.

Déjà en octobre, dans Le Parisien, il déclarait qu’avec cette arrivée massive de marques chinoises “l’Europe est maintenant sous une forte pression. Il ne faudra pas s’étonner, dans les prochaines années, si les constructeurs européens continuent à réduire leurs coûts de façon très importante”.

Ces interview semblent utiles pour se dédouaner en avance si Stellantis vient un jour à connaître un coup de mou, “je vous avais prévenu hein”. En clair, si ça se gâte pour les usines françaises et européennes, ce sera la faute aux politiques européens et aux constructeurs chinois, voire à la Chine car Carlos Tavares soupçonne que l’industrie automobile chinoise est subventionnée pour mieux envahir l’Europe. Il est vrai que l’Etat français n’a jamais volé au secours des finances de PSA pour éviter sa banqueroute…

Si les sorties médiatiques de Carlos Tavares ont pu sembler intéressantes au début, elles ont fini par lasser le râleur. Car l’homme a tout de même bien pris part à la création d’une situation qu’il critique. Rapidement après son arrivée à la tête de PSA, il a mis en place une stratégie de rentabilité plutôt que de volume. Conséquence, à force de miser sur le premium, de faire monter en gamme des firmes généralistes comme Peugeot et d’augmenter les prix pour générer des profits, Carlos Tavares a bien aidé à créer ce trou dans le marché automobile européen où les marques chinoises s’engouffrent.

Carlos Tavares a d’ailleurs de bonnes cartes en main, mais regarde-t-il bien son jeu avant d’aller se plaindre dans les médias ? Dans son immense galaxie de marques, Stellantis a deux labels pour occuper l’entrée de gamme : Citroën et Fiat. On mettra de côté le cas Fiat, la galaxie Stellantis ayant finalement été fondée il y a seulement deux ans, Carlos Tavares n’a donc pas eu d’influence sur ce qui compose la gamme actuelle. Mais Citroën ? N’est-ce pas là la marque populaire idéale qui tiendrait tête chez nous aux firmes chinoises avec une gamme de produits “essentiels” vendus à juste prix ?

Cela fait près de dix ans que Carlos Tavares chapeaute la firme aux chevrons. Et cela fait des années que celle-ci a du mal à se trouver un positionnement, ou plutôt assumer celui qu’il devrait être de nos jours. Pourtant, il y a quelques années, il s’est déjà dit que Carlos Tavares a voulu faire de Citroën une marque plus accessible, mais qu’il se serait heurté à des réticences du côté de la direction de la marque.

Dix ans de perdus

La prise de conscience a quand même eu lieu, car le retour à l’essentiel, c’est bien le chemin que va prendre Citroën comme son concept-car Oli l’a annoncé en septembre 2022. Celui-ci préfigure une nouvelle génération de Citroën électriques “anti-superflu”. Une pub a même mis l’Oli en compagnie de la 2CV, comme si c’était son héritière branchée du 21e siècle.

Citroën prépare donc sa riposte aux Dacia Spring et MG 4. Mais voilà, que de temps perdu ! La promesse de la Citroën essentielle, elle avait déjà été faite avec l’étude de style Cactus en… 2007. La version de série s’était ensuite perdue avec un concept marketing alambiqué et des prix pas si bien placés.

Certes, on peut parler de l’Ami. Mais cela reste un engin de niche, limité à 45 km/h et 50 km. Là aussi, le râleur ne peut s’empêcher de voir que Citroën n’est pas allé au bout de la démarche. Il faut vraiment une version plus polyvalente de l’Ami, à 80 km/h et 100 km d’autonomie, comme il y aura sur la Mobilize Duo. Avec, Citroën aurait vraiment secoué le marché de la petite voiture.

En jouant davantage son rôle de patron, Carlos Tavares pu faire gagner des années à la marque. A son arrivée à la tête de PSA, il n’a pas voulu faire du low-cost. Mais il a clairement raté le besoin d’inventer la nouvelle 2CV, une 2CV électrique, au prix plus agressif et au coût d’usage alléchant. Et il n’avait pas besoin d’une concurrence chinoise pour cela, il suffisait juste de regarder l’histoire de Citroën… voire de regarder son parcours. Celui qui est obnubilé par la rentabilité d’un modèle sait qu’une Dacia rapporte beaucoup d’argent malgré ses prix tirés vers le bas : avant d’être grand patron de Stellantis, Tavares était numéro 2 de Renault, il connait donc les ingrédients de la recette à succès de Dacia.

Symbole des errements de Citroën, ce dernier vient de se faire doubler sur le marché français par le roumain, qui est de plus champion des ventes sur le canal des particuliers, le plus rentable !

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