La Citroën Ami voulait être la plus populaire des électriques. Mais sans doute pas autant : victime de son succès, la citadine enregistre de fâcheux retards de livraisons, dont la raison ne pourrait pas être celle que l’on croit.

Avec la Citroën Ami, la marque aux chevrons voulait refaire le coup des véritables Amis des années 70. Voire celui de la 2CV, en mettant sur le marché une voiture embarquant le juste nécessaire pour s’offrir au plus grand nombre. Un pari risqué face à ses illustres devancières, mais la Citroën Ami serait désormais tout autant victime de son succès.

Avec ses spécificités, son prix de vente maîtrisé et ses canaux de vente inédits pour le constructeur, la citadine est relativement populaire, en attestent les plus de 2 400 unités déjà enregistrées par la marque. Seulement, Citroën peine à respecter ses délais de livraison, poussant les acheteurs à hausser le ton.

Et pour cause : de très nombreux clients, qui ont passé commande dès les premiers jours de commercialisation de la Citroën Ami, n’ont aucune nouvelle de leur voiture. Si les cartes grises sont parvenues par voie postale dans les temps, les Ami peinent à montrer le bout de leur museau et certains exemplaires, initialement prévus pour une livraison au mois d’août par exemple, ne sont ainsi toujours pas livrés à l’heure actuelle. Se sentant délaissés et en manque d’informations, les clients ont alors commencé à hausser le ton sur les réseaux sociaux. Notamment Sabine, co-créatrice de la page Facebook Citroën Ami : problèmes de livraisons & autres, qui n’a plus de nouvelles de sa puce des villes depuis le 6 octobre, au lendemain de la date de livraison initialement prévue.

La Covid, mère de tous les maux

Contactée par nos confrères de l’Argus ou de l’Automobile Magazine, la marque aux Chevrons a indiqué que ces retards de livraison, pouvant atteindre 10 semaines de retard d’après les clients, sont à mettre au crédit de la situation sanitaire mondiale, mais aussi à Kénitra, ville où est fabriquée le véhicule, qui compte parmi les municipalités les plus touchées au Maroc. Les différentes périodes de confinement entraîneraient un ralentissement drastique de la production dans l’usine PSA, disposant d’une capacité de production annuelle de 200 000 véhicules (dont 18 000 exemplaires pour l’Ami). Les différents fournisseurs généralistes, disposant de capacités de productions capables de couvrir le volume d’Ami, seraient eux aussi touchés par la même problématique sanitaire. Par effet boule de neige, les délais de livraison s’allongeraient donc drastiquement.

Des explications somme toute légitimes et parfaitement compréhensibles, même si elles n’ont toutefois pas été communiquées aux clients laissés dans l’incertitude. Depuis, Citroën affirme que tout devrait rentrer dans l’ordre rapidement puisque le problème était en cours de résolution.

Le problème ? Quel(s) problème(s) ?

Chose promise, chose due : depuis quelques jours, certains futurs possesseurs indiquent obtenir une date de livraison de leur Citroën Ami. Un déblocage de la situation, alors que la situation sanitaire au Maroc prend une désastreuse ampleur. Une situation paradoxale pour une unité de production qui se situe dans l’un des foyers actifs du pays. Le problème sanitaire n’étant pas réglé, il n’en fallait pas plus pour voir émerger des semblants de réponses.

D’après certains observateurs et quelques clients déjà livrés, la Citroën Ami ne serait pas exemptée de quelques problèmes. Parmi ceux-ci, notons des serrures défectueuses, des portes qui ne ferment plus en raison d’une accumulation de saletés, un désembuage aléatoire ou quelques défauts d’étanchéité par temps de pluie. S’ajoutent également un problème de frein à main, une mauvaise fixation du faisceau et un remplacement à prévoir du système de freinage à tambour à l’arrière. Plus problématique encore, quelques clients ont rencontré des anomalies avec le chargeur embarqué après seulement quelques centaines de kilomètres au compteur.

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Soit de nombreux défauts de jeunesse qui, pour la plupart, font déjà l’objet d’un rappel par le constructeur. Le chargeur embarqué défectueux aurait même été remplacé par celui d’un autre fournisseur, comme l’a indiqué l’un de nos lecteurs qui a été touché non sans mal par ces soucis techniques.

Dans tout ces cas de figure, la prise en charge de la Citroën Ami s’est montrée particulièrement complexe. En cause : un réseau balbutiant ne comptant qu’une poignée de centres habilités à réparer l’électrique sans permis. Aussi, d’autres exemplaires seraient confinés dans des garages Citroën depuis de nombreuses semaines en raison de la difficulté que rencontre la marque à se procurer des pièces détachées en tout genre.

Devant ces très nombreuses complications, il semblerait que Citroën ait pris la décision d’apporter quelques correctifs avant la livraison de l’Ami. Ce qui, en plus de la situation sanitaire, expliquerait en partie les raisons de ce retard à l’allumage pour le lancement de la voiture électrique, afin de ne pas faire face à une situation qui pourrait être hors de contrôle pour le service SAV.

L’impuissance du port du Havre

Mais ces théories gravitant autour de la production à Kénitra font fausse route. Preuve en est avec la carte grise adressée aux clients en attente. Un document dont le numéro de châssis indique que la voiture a bien été fabriquée et dont la date de 1re immatriculation trahit, comme dans la très grande majorité des cas, la présence de la voiture en France. Et c’est du côté du port du Havre qu’il faudrait chercher la réponse, sur le parking de l’entreprise GEFCO.

D’après un internaute visiblement bien renseigné qui s’est exprimé sur les réseaux sociaux, l’entreprise de transport (créée en 1949 par PSA et détenue actuellement à 25 % par le groupe français) s’occupe de toute la chaîne logistique, depuis le transport des voitures au départ de Tanger au Maroc, à leur distribution, en passant par la préparation une fois arrivées dans l’Hexagone. Selon cette même source, GEFCO aurait en charge d’effectuer plusieurs opérations sur les Citroën Ami avant leur distribution en France avec, pêle-mêle, la pose d’accessoires, la recharge de la batterie, un diagnostic électronique, la pose des plaques d’immatriculation, l’homologation ainsi que la préparation esthétique et mécanique. Mais la société s’occuperait aussi d’apporter les correctifs aux défauts constatés à la citadine avant sa livraison.

Toujours d’après l’internaute, ce sont les équipes de l’entreprise qui s’occuperaient de toutes ces opérations. Mais GEFCO aurait réduit son effectif en mettant de nombreux salariés au chômage partiel, sans anticiper l’arrivée massive de Citroën Ami depuis le Maroc. Plus étonnant, cette entreprise aurait mené des plans internes, sous couvert de Covid (encore !) pour profiter des aides du gouvernement, alors que les chaînes de montage des constructeurs tournent à plein régime, comme l’indique un article du Syndicat National des Activités du transport et du Transit !

En parallèle, l’entreprise de transport a été victime d’une cyberattaque fin septembre, comme nous l’a confirmé Citroën, qui a conduit à une très forte chute d’activité pendant plus d’une semaine. Par dessus, il semblerait que GEFCO, comme l’ensemble des entreprises logistiques qui œuvrent dans le port, tourne au rythme imposé par la configuration du port français d’une part, mais aussi et surtout au rythme de la CGT locale, comme le souligne Capital dans son article paru au mois de septembre dernier, dont les jours de grève n’auraient pas amélioré la situation.

Tous ces éléments auraient-ils un lien de cause à effet avec l’Ami ? Contactés par nos soins, l’entreprise GEFCO Le Havre – Marais n’a pas souhaité s’exprimer sur ces différents sujets, qui pourraient, d’après les premiers éléments factuels, cacher de précieuses réponses pour les clients en attente. Toutefois, le transitaire aurait mobilisé ses équipes depuis le début du mois pour accélérer la cadence et faire sortir les voitures du port. Ce qui expliquerait alors l’augmentation des effectifs sur les plateformes Citroën, qui contactent actuellement les clients pour leur communiquer une date de livraison, comme Citroën nous l’a confirmé.

La fin du calvaire ?

Ce dénouement signe la fin d’un calvaire pour la très grande majorité des clients qui, comme Sabine, auraient été lésés par ce retard sur les livraisons. Car en se présentant comme un objet de mobilité sans permis, la Citroën Ami a su conquérir une poignée de personnes ne disposant pas du papier rose, désireuses d’avoir une voiture simple et économique pour leurs trajets du quotidien. Conséquence : ces derniers ont donc dû retrouver leurs anciennes habitudes pour se déplacer en transport en commun, notamment dans une France reconfinée.

En plus de son succès, la Citroën Ami est la victime d’un triste effet domino qui a notamment touché la partie logistique. La crise sanitaire est donc que la partie visible de l’iceberg auquel se sont heurtés les clients en attente. Mais alors que les choses entrent dans l’ordre et malgré les promesses de Citroën, certains n’y trouvent toujours pas leur compte.

Réunis autour d’un groupe Facebook, les acquéreurs s’aperçoivent en effet que l’arrivée des Ami ne se fait pas forcément dans l’ordre chronologique des commandes. De plus, les futurs possesseurs qui ont opté pour un contrat My Ami Care (de 10,80 € pour 1 an à 594 € pour 5 ans) n’ont pas encore eu de réponses au sujet d’une éventuelle compensation. Car comme l’indique Sabine, l’assurance est effective depuis la 1re date de mise en circulation indiquée sur la carte grise. Soit, dans son cas, en date du 6 octobre 2020 (au lendemain de la date de livraison initiale), alors que la voiture n’a toujours pas été livrée à ce jour.

Autant de préjudices que l’offre consentie par Citroën, qui prévoit 100 € en bon d’achat dans la boutique Lifestyle pour les clients ayant reçu une carte grise sans date de livraison, ne parviendra pas à contrebalancer. Et qui ne parvient pas non plus à excuser le silence assourdissant de la marque sur les raisons de ce retard lors des innombrables appels des clients inquiets.

Finalement, la Citroën Ami a réussi à évoquer la 2CV dans la tête des nostalgiques là où on ne l’attendait pas : avec des commandes qui dépassaient les capacités du constructeur dans un contexte difficile (Citroën devait faire face à une pénurie d’acier au lendemain de la Seconde Guerre). À l’époque, les délais de livraison de la populaire deudeuche pouvaient atteindre les cinq ans !