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La transition de Porsche vers l’électrique avait bien démarré. Mais elle patine depuis quelques mois.
Porsche est face à un dilemme, et face à un énorme défi. Peut-être le plus important de son histoire. Ce défi c’est celui de l’électrification d’une gamme réputée pour l’excellence de ses motorisations thermiques, et en conséquence, de sa banalisation. Car ce qui constituait jusqu’à présent l’unicité de cette marque (encore) mythique – le luxe sportif – est attaqué de toutes parts par une concurrence diffuse et décomplexée, alors que l’interdiction des motorisations thermiques se profile à l’horizon 2035 en Europe et dans quelques autres pays ou états.
Jusqu’à présent, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le constructeur de Stuttgart écoulait ses coûteux modèles dans le monde à un rythme toujours plus élevé au fil des exercices fiscaux, engrangeant de solides profits qui faisaient de la firme la marque automobile – et peut-être même l’entreprise toutes catégories confondues – la plus rentable au monde.
Puis l’électrique s’est invitée au festin, et l’équation a dû être quelque peu revue. Qu’à cela ne tienne, à Zuffenhausen on en avait vu d’autres, et on savait comment naviguer par gros temps, même quand à l’orée des années 2000 la marque avait quasiment failli disparaître et qu’elle fut en grande partie sauvée par le lancement du Cayenne.
Cette fois, on avait anticipé, et Porsche, dont l’ADN, au-delà de la sportivité, est également la technologie et l’innovation, fut l’un des premiers grands constructeurs historiques et « premium » à dévoiler sa feuille de route vers l’électrification, présentant le fameux projet Mission E dès le salon de Francfort 2015. La promesse fut tenue, et 4 ans plus tard débarquait un Taycan dont les lignes tendues et sensuelles restaient très proches du concept-car d’origine, avec en prime un intérieur luxueux aux assemblages et aux finitions de très haut niveau, une technologie embarquée et une motorisation qui apportaient la démonstration éclatante que la marque ne savait pas faire que des moteurs thermiques et des châssis taillés au scalpel.
La clientèle ne s’y est pas trompée, et, malgré des tarifs stratosphériques, les ventes du Taycan ont rapidement décollé pour se maintenir au niveau des prévisions pendant les quatre premières années pleines, à un rythme d’environ 40 000 modèles écoulés par an. Ceux qui n’y croyaient pas en furent pour leurs frais. Tout d’abord les petrolheads purs et durs qui considéraient qu’une Porsche à moteur électrique était un sacrilège (« ça ne marchera jamais, les clients n’en veulent pas »), ensuite les électromobilistes tendance Tesla (« ça ne marchera jamais, il n’y a qu’une berline électrique et c’est la Model S »). Bingo, le pari était réussi des deux côtés : nombre de clients Porsche se convertissaient à l’électrique, par curiosité, par attrait pour l’innovation mais aussi pour la performance promise, et il se vendait 4 Taycan quand il se vendait péniblement une Model S pourtant bien moins chère.
Du coup l’avenir s’annonçait radieux, avec en outre l’arrivée imminente du Macan électrique, puis en 2025 des Boxster et Cayman électriques.
Oui mais voilà, entretemps, depuis début 2024, les ventes de voitures électriques se sont tassées, voire ont régressé, et les marques de luxe, Porsche en tête, semblent prendre de plein fouet ce trou d’air. Même si Porsche n’a communiqué aucun chiffre sur les ventes du Taycan durant cette période de repli, on sait que la baisse de la demande et la concurrence dans certaines régions du monde, Chine en tête, bousculent fortement la feuille de route électrique du constructeur au point que celui-ci revoit ses ambitions à la baisse sur ce secteur, sinon en termes d’objectifs, en tout cas en termes de calendrier.
Il faut dire que comme tous les constructeurs du segment premium/luxe, Porsche est face à une évolution du marché qui ne lui est pas favorable. Car ce qui constituait jusqu’à présent la majeure partie de l’attrait de la marque, à savoir la confection de modèles à la fois racés, beaux, exclusifs, performants et utilisables au quotidien est très largement ébranlé par l’émergence de l’électrique et de jeunes marques ambitieuses, notamment chinoises, sans parler de Tesla. Autant les clients fortunés ne rechignaient pas à payer le prix fort pour une 911 ou une Panamera uniques en leur genre, autant il est difficile aujourd’hui de justifier les 200 000 euros à mettre dans un Taycan Turbo correctement équipé qui n’est pas plus performant qu’une Tesla Model 3 Performance affichée à moins de 60 000 euros. A fortiori quand on constate avec quelques années de recul que les électriques ne tiennent pas la côte sur le marché de l’occasion et qu’un Taycan peut perdre jusqu’à la moitié de sa valeur en 2 ou 3 ans, ce qui n’est pas le cas pour une 911. Ni pour une Tesla.
Ajoutez à cela le fait que la clientèle de ce type d’auto reste encore très largement réfractaire à l’électrique et continue à préférer de loin le charme et l’émotion d’un gros moteur thermique accompagné d’une vraie boite de vitesses séquentielle, et vous avez une équation un peu difficile à résoudre. Si en plus les chinois s’y mettent avec un savoir-faire certain, et proposent des Xiaomi SU7 ayant le goût, l’odeur et les performances d’un Taycan pour le quart de son prix, il faut bien reconnaitre que la présence d’un blason signé Porsche sur le capot ne compense ni ne justifie plus l’abyssale différence de prix. A plus forte raison pour une jeune et fortunée clientèle chinoise, qui plébiscite les marques locales et pour qui la techno digitale embarquée compte autant que le nombre de kilowatts.
En fait, Porsche a peut-être commis une erreur, celle de penser qu’il pourrait vendre sur le long terme des électriques aux prix des thermiques, voire plus chères à modèle équivalent (le Macan EV est plus cher que son équivalent thermique), en prenant comme base de calcul le prix des thermiques augmenté des malus écologiques. Et ce alors que la clientèle de la marque n’est pas constituée exclusivement de milliardaires ni même de millionnaires, mais aussi d’un noyau de passionnés qui avaient jusque là mis un peu d’argent de côté pour se payer le rêve d’une vie. C’est ainsi que l’on trouve dans la clientèle de la marque des propriétaires aisés, mais qui ne roulent pas forcément sur l’or, parmi lesquels essentiellement des entrepreneurs indépendants, patrons de TPE et professions libérales qui dans la plupart des cas financent leur voiture en leasing sur leur activité professionnelle. Entre l’augmentation des tarifs catalogue de ces dernières années et le coup de massue du malus écologique, cette clientèle ne peut pratiquement plus accéder à la marque, et Porsche a raté l’opportunité de présenter une gamme électrique plus abordable pour continuer à satisfaire ce segment d’acheteurs. Des acheteurs qui se sont rabattus sur d’autres marques thermiques, ou – pour ceux qui voulaient de l’électrique et de la performance sans revendre un rein – sont allés chez Tesla.
Alors, quelles sont les solutions pour Porsche afin de franchir avec succès le cap de l’électrique et voir ses ventes repartir à la hausse de façon durable ? Elle ne semblent pas légion. Améliorer les modèles de sa gamme électrique ? Cela parait difficile car on sait leur niveau d’excellence, qui n’est pas remis en question. Améliorer les performances ? Elles sont déjà au top, et toute course à l’armement en ce domaine serait à mon humble avis vaine car n’importe quel constructeur sait faire aujourd’hui une électrique qui parcourt le 0-100 en moins de 3 secondes, ce qui était encore l’un des points distinctifs de Stuttgart à l’époque du tout thermique. Développer encore la technologie, innover ? Peut-être, mais Tesla et certains constructeurs chinois ont déjà pris beaucoup d’avance dans ce domaine, et l’ont banalisé. Creuser le sujet de la « thermisation » de l’électrique en ajoutant des artifices sonores et mécaniques comme l’a fait avec succès Hyundai avec la Ioniq 5 N, ou va le faire Ferrari ?
En fait il semblerait qu’il reste voie prioritaire à envisager, mais elle risque de ne pas être très populaire dans les instances de la marque : cette voie c’est une baisse drastique des tarifs. Aujourd’hui, même pour une marque comme Porsche, les prix d’un Taycan allant de plus de 100 000 euros pour une version de base sous-équipée et « sous-motorisée » à plus de 250 000 euros pour un Turbo S correctement doté ne se justifient plus quand on peut avoir l’équivalent pour deux à quatre fois moins cher. Un Taycan de base gagnerait certainement beaucoup de clients si son prix se situait en-dessous des 70 000 euros, a fortiori quand on sait qu’il faut ajouter au moins 20 000 euros d’options pour avoir une auto à peu près correctement équipée (c’est à dire comme une Tesla plus performante ou une chinoise à 45 000 euros). Idem pour le Macan électrique, qui démarre à 83 000 euros, alors que la version de base thermique – certes moins puissante – s’affichait encore à moins de 67 000 euros il y a seulement deux ans. Grosse erreur à mon humble avis, d’autant que le Macan a longtemps été le best-seller de la marque.
Cela étant, tout n’est pas perdu puisque Porsche vient de publier ses résultats du deuxième trimestre 2024. Contre toute attente ils indiquent déjà une amélioration, et sont même très proches des objectifs de la marque. Néanmoins, on a du mal à croire que la mauvaise passe des derniers mois ne soit qu’un simple passage à vide. Le mal est certainement plus profond, et toutes les marques premium/luxe sont concernées par cette tendance, liée à la fois à la banalisation de la performance liée à l’électrification et à de nouvelles attentes d’une clientèle moins sensible au prestige d’une marque et de son logo.
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