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La voiture électrique rebat les cartes et permet aux constructeurs d’imaginer des services inédits pour améliorer leurs marges.

Depuis l’arrivée des technologies digitales et connectées dans l’automobile, et leur généralisation, et même leur banalisation dans les voitures électriques, on assiste à une course à l’innovation chez les constructeurs, qui peut même parfois conduire à quelques excès en termes de technologies embarquées, avec surenchère d’écrans tactiles et autres gadgets pas toujours utiles.

Cependant, la flexibilité et l’ouverture qu’offrent le numérique et une connexion permanente à internet en voiture apportent des possibilités jamais vues en termes d’équipements et de services. Des possibilités qui, du point de vue des constructeurs, peuvent représenter autant d’opportunités d’améliorer leurs profits en facturant certaines prestations à l’acte, ce que certains ne se privent déjà pas de faire, comme Porsche, Tesla ou BMW avec les options en “location”, activées à la demande pour une période définie.

Mais il y a probablement d’autres pistes à explorer pour gratter quelques dollars de plus puisque, comme chacun sait, il n’y a pas de petits profits. En voici quelques unes, qui existent déjà, ou qui sont fraichement sorties de notre imagination légèrement tordue (ou pas). Attention, toute vanité mise à part, cet inventaire risque de donner plein de mauvaises idées au constructeurs. Vous saurez qui remercier quand vous passerez à la caisse. Désolé.

Faire payer pour un surplus de puissance

C’est pour le moment une spécialité signée Tesla. Mais attention, ne soyons pas mauvaise langue, ce n’est pas systématique. Les heureux propriétaires de Tesla Model 3 Performance cuvée 2019, soit les premières arrivées en Europe (4 ans déjà !) en ont encore un souvenir ému, quand, à l’occasion de deux mises à jour successives et gratuites, ils ont découvert que leur carrosse venait de prendre plus de 10% de puissance supplémentaire, passant joyeusement des 450 chevaux officiels à plus de 520 chevaux, voire davantage selon différents tests au banc de puissance, ce qui fait bien plus de 10% on est d’accord. Pour la petite histoire, depuis ce move épique, l’indication de puissance a disparu du site Tesla, sauf celle de la Model S Plaid. Mais le constructeur californien sait aussi facturer l’apport de puissance supplémentaire, à l’image de l’option “Boost” ou “Accélération améliorée” disponible à la demande après achat sur les Model 3 et Y Grande Autonomie, moyennant quand même un petit chèque de 2000 euros, et qui permet de gratter quelques dixièmes au départ arrêté. C’est aussi le cas avec la dernière Model S Plaid, vendue pour 322 km/h en vitesse de pointe, mais qui en réalité “plafonne” à 282 km/h sans la mise à niveau matérielle qui n’est pas installée d’origine, une option qui comprend donc le débridage logiciel de la puissance, mais également les freins en céramique, le tout étant facturé… 20 000 euros.

Faire payer les mises à jour

Avec une voiture connectée, il est donc désormais plus facile de pousser des mises à jour à distance sans avoir à recevoir les clients en atelier. Un gain de temps et de logistique significatif, mais qui a pour conséquence pour les constructeurs de se priver d’une source de revenus supplémentaires. Si Tesla a inauguré avec succès le processus de mises à jour “over the air” régulières de ses voitures comme pour un téléphone, une montre connectée ou un Thermomix, ces dernières ont toujours été gratuites. Kia et Porsche ont également récemment fait profiter leurs clients de mises à jour logicielles améliorant leur monture, mais il fallait passer à l’atelier. Jusqu’à présent, aucun constructeur à notre connaissance n’a facturé une mise à jour logicielle de voiture électrique, mais selon toute vraisemblance cela ne devrait pas tarder à arriver, surtout quand on sait que ces derniers ne se gênaient pas pour taxer plusieurs centaines d’euros pour une simple actualisation du GPS embarqué il n’y a encore pas si longtemps que cela.

Faire payer les options à la demande

Vous ne voulez pas de la clim, ou alors seulement quand il fait chaud ? Pas de problème, vous la prendrez plus tard, au moment de la calicule. C’est ainsi que pourrait bien évoluer l’automobile, avec des OaaS, ou Options as a Service, comme les logiciels du même nom. En gros vous achetez une voiture avec le strict minimum, et vous activez seulement les options dont vous avez besoin à l’usage, et seulement pour une période de temps définie et temporaire. Il suffit alors de se rendre dans le système d’infodivertissement de la voiture, ou dans son application mobile dédiée, et d’activer l’option voulue, qui sera alors facturée à l’acte, mensuellement. C’est par exemple ce que propose Porsche avec le Taycan en offrant aux conducteurs la possibilité d’acquérir différentes fonctions de confort ou d’assistance en fonction de leurs besoins, grâce aux Fonctions sur demande (FoD). Cette offre unique est disponible même après l’achat initial de la voiture et ne nécessite pas de visite à l’atelier, car elle peut être activée en ligne. À l’origine, cela était possible grâce au Porsche Intelligent Range Manager (PIRM), mais les toutes dernières fonctions FoD incluent la direction assistée Servotronic Plus, le guidage de voie actif et Porsche InnoDrive. BMW est également entré dans la danse avec de nombreuses options disponibles par mise à jour OTA, dont l’activation possible de certaines fonctionnalités… dont les sièges chauffants, moyennant un abonnement à la plateforme ConnectedDrive Store.

Vendre des crédits carbone

Là on entre dans un truc assez improbable, qui ressemblerait presque à un délire dystopique de bureaucrate mais qui est en fait ancré dans une réalité. Comment ça arche ? De nombreux constructeurs automobiles risquent des amendes importantes s’ils ne respectent pas les quotas d’émission de gaz à effet de serre définis par la Commission européenne. Pour éviter ces amendes, une nouvelle méthode est apparue, permettant aux constructeurs de vendre des crédits carbone à d’autres constructeurs dont les voitures émettent plus de CO2. C’est Fiat Chrysler qui a ouvert le bal en achetant il y a quatre ans des crédits à Tesla pour 1,8 milliard d’euros. Depuis, de nombreux contrats ont été signés entre les constructeurs pour éviter les amendes, comme celui entre Volkswagen et SAIC, ou encore Volvo et Ford. Cette pratique est devenue un moyen de gagner de l’argent pour les constructeurs automobiles respectueux de l’environnement. Mais elle risque de se tarir très vite au fil de l’électrification des gammes chez tous les constructeurs.

Faire payer les opérateurs de recharge pour figurer dans leur planificateur

Celle-ci, avouons humblement et légèrement honteusement que c’est une idée qui a germé dans le cerveau de l’auteur de ces lignes il y a quelque temps déjà, et j’ai préféré vous la garder pour la fin afin que vous partiez pas trop tôt. C’est donc juste une idée, et elle est peut-être scandaleusement nulle. Mais je tente quand même. Au même titre que certains éditeurs de guides ou d’annuaires spécialisés font payer les entreprises ciblées pour y figurer, pourquoi ne pas imaginer qu’un Tesla ou un BMW fasse payer un Ionity, un Fastned ou un Electra pour faire apparaitre ses stations de recharge en bonne place dans le planificateur d’itinéraire de la voiture ? On ne s’en rend pas vraiment compte actuellement mais le planificateur pourrait devenir l’objet d’enjeux stratégiques clés dans les prochaines années, au même titre que les applications de navigation. Il suffit de voir comment une simple app comme Waze est devenue centrale et a su faire fructifier son modèle économique à base de mise en avant de services facturés à prix d’or tout en valorisant ses données. Les planificateurs embarqués pourraient bien prendre beaucoup de valeur dans les prochaines années… et en tirer profit. Cela étant, cette pratique induirait beaucoup de biais. Soit les opérateurs pourraient faire front pour ne pas payer, et alors le constructeur ayant tenté cette passe s’exposerait au risque d’avoir un planificateur vide, soit ils paieraient, mais répercuteraient alors les frais supplémentaires sur le prix de la charge. Okay, vous pouvez me lyncher, je vous avais prévenus.

Enfin, les constructeurs de voitures électriques peuvent aussi gagner de l’argent en dehors de la vente de voitures par d’autres moyens, notamment en offrant des services de recharge de batteries, en développant des technologies de batteries pour d’autres applications, ou encore en proposant des services de mobilité partagée. Ils peuvent également chercher à développer des partenariats avec d’autres entreprises pour proposer des services complémentaires, tels que des systèmes de stockage d’énergie domestique ou des solutions de recharge pour les flottes de véhicules commerciaux. Bref, ce ne sont pas les possibilités qui manquent, et l’électrification ouvre des horizons jusque là inédits.

En conclusion, on peut faire confiance aux constructeurs pour innover, et trouver de bons filons encore inexploités pour se refaire la cerise après les investissements monstrueux consentis à marche forcée dans l’électrification.