A chaque nouvelle berline électrique, le terme de « tueuse de Model S » est constamment utilisé, en vain. Avec l’arrivée de la Lucid Air, le rapprochement avec sa concurrente est aussi inévitable. Et si, finalement, c’était elle la vraie tueuse de Tesla Model S ?

Le segment des voitures électriques bouillonne. Alors que d’innombrables SUV sans émissions voient le jour, certains constructeurs roulent sur la trajectoire de la Tesla Model S en proposant des berlines haut de gamme du même segment. Ainsi, l’Audi e-Tron GT, la prochaine Mercedes EQE, la Porsche Taycan, la BYD Han EV, ou même les Faraday Future et Fisker ont trop souvent été comparées à des tueuses en série capable d’agenouiller la Model S, la référence à abattre.

Alors que la Taycan est la seule à concrétiser ses ambitions, quoiqu’avec un sérieux déficit d’autonomie par rapport à une Tesla Model S, la Lucid Air entre désormais dans la bagarre. Comme les autres, elle bombe le torse et place dans son viseur la berline d’Elon Musk.

L’histoire de deux hommes avec les poings serrés

Un face à face somme toute naturel au sein de la Silicon Valley entre Lucid Motors et Tesla. Car au delà de leur proximité géographique autour de la baie de San Francisco, l’histoire de ces deux entités est particulièrement liée. Et pour cause, puisque Peter Rawlinson, à la tête de Lucid Motors, n’est autre que l’ancien ingénieur en chef de la Tesla Model S. Il y a près de dix ans, il a participé de très près au développement de la voiture qui fait aujourd’hui figure de référence. Investit dans la technologie électrique et passionné d’ingénierie, il dispose selon lui des attributs nécessaires pour faire face à Elon Musk. Mais aussi, on se permet de douter, de quelques informations de première ligne pour élaborer sa propre voiture électrique.

A demi-mots, Peter Rawlinson se targue aussi d’être entouré d’une équipe d’ingénieurs recrutés par ses soins. La grande majorité en provient de Palo Alto comme le relayent nos confrères du magazine l’Echo : « La chose la plus importante dans mon job est de choisir les meilleurs scientifiques, puis de créer la meilleure technologie. Si j’ai bien fait mon boulot, je pourrais être le gars le plus idiot dans la pièce, car j’aurai tous ces gars intelligents pour faire le boulot », s’amuse le patron de Lucid. Car pour ce dernier, la technologie est primordiale pour s’assurer la meilleure place dans le segment : « Pourquoi Tesla a réussi il y a dix ans alors que d’autres échouaient ? Parce que Tesla avait la technologie ».

Batterie et autonomie : avantage à la Lucid Air

Au centre du cahier des charges de la Lucid Air, la technologie apportée par la nouvelle berline impressionne. L’électrique de Newark repose sur une batterie lithium-ion fournie par Samsung SDI. Plutôt compacte au regard de sa capacité de 113 kWh pour ses deux hauts de gamme (des capacités plus réduites seront proposées sur les entrées de gamme), elle fonctionne sous un système 924V, le plus haut enregistré à l’heure actuelle sur le marché. Ce dernier alimente deux moteurs électriques produisant un total de 1.095 ch dans la version Dream Edition ou 811 ch dans la configuration Grand Touring.

De son côté, la Tesla Model S commence à accuser le poids des années. Elle compte toujours sur une batterie de 100 kWh qui semble tout de suite plus minuscule, ainsi que sur une technologique éprouvée mais très en retrait de la Lucid Air. Elle ne peut donc faire le poids en matière d’autonomie. La Tesla Model S Long Range Plus, qui promet la plus grande autonomie jamais enregistrée par une Model S, annonce une valeur de 402 miles selon le cycle américain EPA, soit 646,8 km. La Lucid Air impressionne avec une autonomie annoncée de 517 miles (version Grand Touring avec jantes de 19 pouces), soit 832 km. Ce qui, règle de trois théorique, affiche une consommation moyenne de 15,46 kWh/100 km pour la Model S et 13,58 kWh/100 km pour la Air. Un record au regard de taille de la berline et de son poids, toujours gardé à la discrétion du constructeur mais que nous imaginons éléphantesque. La Lucid Air met la Model S dans les cordes à ce chapitre.

Recharge : l’argument du réseau Supercharger

Avec une telle technologie, la plus récente de ces berlines électriques met en avant une puissance de recharge démentielle pour ne pas patienter à la borne de recharge rapide. Dans ce cas, la Lucid Air peut enregistrer un pic de 300 kW, permettant alors de gagner 32,18 km d’autonomie par minute, ou 482,7 km en 20 minutes. La Tesla Model S suscitée ne tient pas la comparaison en promettant de retrouver 262,27 km en 15 minutes.

Mais la berline de Tesla met en avant sa botte secrète, connue sous le nom de Supercharger. Un réseau de bornes de recharge rapide qu’on ne présente plus, qui fait figure de référence en la matière et participe majoritairement au succès de la marque américaine. Aussi, elle n’a pas à rougir puisqu’elle peut toucher les 250 kW de puissance maximum aux Etats-Unis. Rappelons toutefois que les Model S européennes (610 km d’autonomie en version Grande Autonomie) restent toujours limitées à 142 kW de puissance.

Chez Lucid Motors, on tient à rassurer les clients en indiquant que le réseau Electrify America compte pour le moment sur un parc de 350 bornes capables de délivrer cette puissance. En Europe, et notamment en France, le réseau Ionity s’étoffera sans nul doute de plus en plus de bornes capables d’enregistrer le même niveau de performance d’ici l’arrivée de la Air sur le Vieux Continent. Ce qui ne l’empêchera pas de se confronter à la fiabilité souvent douteuse des installations de l’opérateur et à son regrettable prix de 0,79 €/minute.

A domicile, la Model S promet un chargeur embarqué de 11 kW, quand la Lucid Air embarque une installation de 19,2 kW. Elle profite aussi de la borne murale Connected Home Charging Station, qui assure la puissance maximale mais permet aussi de tirer l’avantage de la Wonderbox. Sous ce nom se cache un dispositif de recharge bidirectionnelle V2G, qui permet entre autre de restituer de l’énergie à la maison, à un réseau électrique ou à un autre véhicule électrique. Ce système serait déjà prévu par Tesla mais n’est toujours pas opérationnel.

Performances : la puissance de la Air écrase la Model S

La Tesla Model S a très longuement surfé sur la thématique en s’illustrant sur les pistes de dragster de son pays natal, en remontant les bretelles à quelques références thermiques établies. Si elle a peu à peu abandonné ce jeu, elle n’en reste pas moins attachée avec la version Performance qui se met à jour régulièrement. Dernièrement, la berline a gagné le mode Cheetah Stance (la puissance grimpe à près de 834 ch) lui promettant de catapulter le 0-100 km/h en 2,41 secondes et le 400 mètres départ arrêté en 10,4 secondes (à 205,15 km/h). Il aura fallu attendre la Porsche Taycan Turbo S pour la reléguer à la seconde place, d’une très courte tête toutefois.

En attendant une véritable version Performance dotée de trois moteurs, c’est la Air Dream Edition qui occupe le haut du panier avec ses 1.094 ch. Entre les murets de la dragstrip, elle s’est illustrée avec un 400 mètres D.A en 9,91 secondes, à la vitesse de passage de 232,34 km/h. Lucid Motors annonce un évasif 0-60 mph en moins de 2,5 secondes, mais la Air semble présenter une courbe de puissance bien plus costaude que celle de la Model S, qui s’essouffle à l’approche  des 200 km/h. Aussi, cette dernière culmine à 250 km/h alors que la Lucid touche les 270 km/h. Notons qu’à puissance presque égale, la Grand Touring de 811 ch abat le 0-60 mph en 3,0 secondes (0-100 km en 3,2 secondes approximativement) et passe la barre des 400 mètres en 10,8 secondes à 214 km/h.

Gageons qu’il ne s’agit là que des simples chiffres représentatifs d’une fiche technique, à l’intérêt tout relatif pour une grande majorité des conducteurs de ce type de berlines. Avec des virages, indiquons en revanche que les derniers chronomètres révèlent un temps de 1’41’’67 pour la Lucid Air sur la piste de Laguna Seca (avec un prototype en 2018) et de 1’36’’555 pour la Tesla Model S sur le même circuit, avec un prototype de la version Plaid. Mais plus récemment, la Air Performance aurait repris la tête de la course avec un temp de 1’33”00. Affaire à suivre donc.

Style et habitabilité : du très haut de gamme chez Lucid

Lucid Motors a fait le choix de cultiver une toute autre image de marque que celle de Tesla. L’élégance et le raffinement sont de mise de côté de Newark, quand Tesla surfe toujours sur une image high-tech et épurée fidèle à certaines références de l’informatique ou de la téléphonie. Dans les deux cas, les voitures ressemblent à des concept-car, mais la Tesla Model S, goût de chacun mis à part, se montre plus simple dans ses lignes et sait cacher ses rides. La Air mise parfois sur les complications cosmétiques en mélangeant les matériaux et les courbes. En revanche, les lois aérodynamiques passent outre ces quelques considérations stylistiques. La Lucid Air avoue un Cx de 0,21 contre 0,23 pour la Model S. Une différence qui a une importance capitale sur une voiture électrique.

Même constat dans l’habitacle. La Model S libère l’espace et son ambiance est toujours dans le coup malgré ses huit ans d’âge. La Air préfère ressembler à une vraie limousine, dans une atmosphère techno-chic des derniers bijoux de la production automobile. Au petit jeu de qui a le plus gros appareil, la Lucid présente sous les yeux du conducteur, retenez votre souffle, un écran incurvé 5K de 34 pouces séparé en trois partie. Il est secondé par une seconde dalle tactile qui ouvre l’accès aux commandes du véhicule et qui peut se rétracter pour libérer l’espace de rangement. L’ensemble peut aussi être commandé vocalement avec l’assistant Alexa d’Amazon. La Model S affiche une tablette de 17 pouces d’une résolution de 1920×1200 et un combiné d’instrumentation moins imposant. De quoi donner un coup de vieux à cette bande-annonce de la voiture du futur.

 

La miniaturisation des éléments mécaniques (dont le moteur électrique de 73 kg qui tient dans une valise) voulue par le cahier des charges de la Lucid Air a permis de façonner l’habitacle selon l’architecture maison Space Concept. Le constructeur annonce le plus grand espace à bord de la catégorie. Mais la Lucid Air se démarquera plus tard avec l’arrivée des deux sièges arrière inclinables jusqu’à 45 degrés qui n’ont rien à envier à une Première Classe aéronautique, quitte à sacrifier le volume de chargement.

Sur ce point, la berline annonce dans sa configuration conventionnelle un volume de chargement total de 658 litres, dont 202 litres dans le frunk avant. La Model S propose ici que 59,5 litres mais se rattrape avec son coffre pour grimper à une valeur de 804 litres (1.642 litres avec les sièges repliés). Aussi, la découpe du coffre de la Lucid Air ne semble pas des plus ergonomiques pour remplir le coffre à double plancher. Et vu qu’il n’y a pas que les sacs de golf dans la vie, la Model S semble plus pratique au quotidien.

Verdict : la Lucid Air l’emporte, mais encore faut-il passer à la caisse

Sur le strict plan théorique et en se basant sur les informations communiquées par les deux constructeurs, la Lucid Air apporte un sérieux vent de nouveauté dans le segment, avec une présentation haut de gamme rigoureuse, une des meilleures (sinon la meilleure) technologies électriques et une fiche technique inédite. Avec plus de puissance moteur, une recharge éclair et une autonomie pantagruélique, elle écrase la Tesla Model S et porte fièrement son qualificatif de tueuse de Tesla vigoureusement employé par la presse spécialisée dont nous faisons partie.

Mais elle devra toutefois faire ses preuves dans le monde réel et sur la route, notamment aux chapitres fiabilité et finition, qui n’ont pas toujours été les points forts des nouvelles entités, dont Tesla fait (encore) partie. Aussi, sa dotation technologique et son dispositif de conduite autonome DreamDrive fonctionnant avec un LiDAR devra se frotter au système Autopilot de Tesla particulièrement abouti.

Tempérons aussi notre propos : la Lucid Air apparaît alors que la Tesla Model S vient de souffler sur ses huit bougies, habituellement l’âge de la retraite pour une automobile. L’avantage technologique de la Air est donc là tout à fait légitime. Mais les comparaisons avec la Model S, soit la raison d’être de cet article, suffit à mettre en lumière l’avance de Tesla dans le segment des électriques. D’autant que la berline de Palo Alto offre tout son potentiel au prix de 74.990 $ en version Long Range Plus et 94.990 $ en version Performance. De son côté, la Lucid Air Dream Edition réclame 169.000 $ (soit le prix total des deux Tesla précitées !) et 139.000 $ en version Grand Touring. Il faudra donc attendre la version Touring (629 ch et 653 km d’autonomie) en 2021 au prix de 95.000 $ ou la Air d’entrée de gamme à 80.000 $, dont la fiche technique n’a pas encore été précisée. La Tesla Model S peut donc dormir sur ses deux oreilles. Il faut croire toutefois que pour briller autant que Tesla sur le papier, il faut pousser les potentiomètres technologiques très loin, au risque de surgonfler le prix de vente. L’avantage : la Lucid Air deviendra sans doute à son tour la référence des prochaines berlines électriques de tous les superlatifs, à l’image la Mercedes EQS par exemple.

(ndlr : en raison de l’absence de prix européens, qui doivent intégrer les TVA locales, les coûts d’importation et autres taxes ou frais, nous avons fait le choix d’effectuer une comparaison tarifaire sur la base des prix américains affichés sur les sites respectifs).