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Markus Schäfer, qui était le Monsieur Technologies de Mercedes, évoque pour Automobile Propre les coulisses de la naissance de la plateforme MMA, l’arrivée des moteurs à flux axial ou l’irruption de l’IA dans ses bureaux d’étude.
Automobile Propre – Mercedes lance la toute nouvelle plateforme MMA avec la CLA. Cette structure mise beaucoup sur l’efficience. Comment en avez-vous défini les caractéristiques ?
Markus Schäfer – Nous avons commencé le travail en 2019. Les premières réflexions portaient sur la flexibilité. Fallait-il avoir une plateforme 100 % électrique ? Ou une structure mixte accueillant des motorisations thermiques ? À ce moment, bien sûr, vous devez prédire l’avenir, ce dont les clients auront besoin en 2025. Pour nous, l’avenir était incertain, nous avons donc opté pour une plateforme multi-motorisations. Était-ce techniquement possible sur ce format ? Évidemment, nous ne voulions pas compromettre les sièges, l’espace pour les jambes et le confort. Nous nous sommes dits : « Ok, mais nous devons faire un nouveau groupe motopropulseur thermique, très compact et placé en position transversale ». Si vous le faites “est-ouest”, comme nous disons en interne, il y a suffisamment d’espace à l’arrière pour la batterie et vous pouvez réaliser une telle plateforme. Cela fonctionnait donc dans le segment compact.
Cette interview a été réalisé en marge des essais presse du CLA, il y a deux mois. Le 24 septembre 2025, le Conseil de surveillance du groupe Mercedes-Benz a annoncé l’arrivée de Jörg Burzer au rôle de directeur de la technologie (CTO) et membre du board responsable du développement et des approvisionnements à partir du 1er décembre prochain. Il remplacera donc Markus Schäfer, qui s’exprime ici. Ce dernier quittera l’Étoile après plus de 30 ans en son sein. Le président du Conseil de surveillance a justifié la décision en évoquant un « renouvellement » du directoire. Il a salué en Markus Schäfer « l’architecte de notre stratégie technologique, déterminant dans la transformation de Mercedes-Benz (…), l’électrification de la gamme et l’intégration des systèmes numériques. L’offensive produit actuelle porte clairement sa signature ».
AP – Une fois cela défini, comment s’est poursuivie la réflexion ?
MS – Le deuxième axe était notre refus d’avoir un moteur diesel pour réduire la complexité industrielle. Mais nous voulions créer un bloc essence avec une nouvelle boîte à outils hybride qui soit aussi efficace qu’un diesel. Le client ne devrait pas voir de différence. Le troisième point était de créer une voiture électrique la plus efficiente possible. Nous avons donné un défi à l’organisation, y compris à l’équipe moteur F1 en Angleterre qui soutient McLaren, Aston Martin, Mercedes, mais aussi à l’équipe R&D série de Mercedes. J’ai mis toutes ces équipes ensemble, leur ai donné un défi, en leur demandant de proposer des idées.

AP – Quel était ce défi ?
MS – Je voulais d’abord une voiture expérimentale, qui est devenue plus tard l’EQXX. Une voiture peut-elle consommer moins de 10 kWh/100 km comme voiture expérimentale, mais avec de vrais composants que je peux utiliser en série ? C’était cela, le défi. Moins de 10 kWh/100 km, avec une petite batterie. Il s’agissait de parcourir plus de 1 000 kilomètres dans le monde réel, pas sur banc d’essai. C’est comme ça que l’EQXX a été créé. Les ingénieurs ont assemblé une nouvelle batterie, ils ont créé un nouveau groupe motopropulseur, un moteur électrique, un onduleur. Ils ont travaillé sur le réseau électrique et sa consommation pour l’optimiser. Nous avons créé un système de chauffage et de climatisation totalement nouveau avec une consommation d’énergie très faible, pompe à chaleur, et ainsi de suite. Ils ont proposé beaucoup d’idées. Finalement, tout s’est retrouvé dans la voiture de série. Bien sûr, la voiture de série est plus grande que le concept et un peu plus lourde, mais en principe, tout est allé dans la CLA.

AP – Vous avez mentionné la conception multi-énergie de la plateforme MMA. Avez-vous été contraints à des compromis ?
MS – Cela devait être sans compromis et cela marchait sur ce format. Sur le segment supérieur (Classe-C, GLC, Classe E, GLE, Classe-S, NDLR), nous ne ferons en revanche pas de plateforme mixte. Si vous avez des gros moteurs longitudinaux, des V6, des V8, cela repousse tout vers l’arrière. Si vous ne voulez pas créer une voiture de 5,50 m de long, vous commencez à compromettre la façon dont vous vous asseyez dans la voiture, à placer les passagers plus haut ou avec les genoux au niveau du menton. Une plateforme mixte avec un moteur transversal fonctionnait parfaitement sur nos véhicules “access” (CLA, futurs GLA et GLB, ndlr.).
AP – L’une des caractéristiques les plus intrigantes de la plateforme MMA est la boîte de vitesses à deux rapports. Pensez-vous que d’autres constructeurs automobiles vont suivre ?
MS – Si vous voulez une consommation plus faible et donc un coût d’utilisation moindre, c’est un choix parfait. Je ne peux pas parler pour les autres. Mais surtout en utilisant cette voiture en Europe et surtout en Allemagne où les autoroutes sont illimitées, pour atteindre plus d’efficience, c’est le bon choix. Et je pense qu’on en verra de plus en plus…
AP – L’offre CLA culmine aujourd’hui avec la 350 4MATIC de 350 ch. Cette plateforme peut-elle engendrer des versions plus performantes ?
MS – Oui et pas qu’un peu. Nous ferons la même chose dans le monde électrique que côté thermique. Il y aura donc des déclinaisons sportives. Et AMG prépare des modèles hautes performances. Nous préparons les ingrédients comme les batteries, nos moteurs électriques… La plateforme est très flexible pour travailler sur des modifications légères et nous avons beaucoup de marges pour la faire évoluer vers le haut en terme de puissance. En parallèle, AMG travaille aussi sur les moteurs à flux axial, comme nous l’avons récemment montré sur le concept AMG GT XX. Je ne vais pas tout vous révéler aujourd’hui… On s’en reparlera bientôt !
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Essai : Mercedes CLA 2025, enfin une berline électrique allemande à la hauteur ?Aujourd’hui, les moteurs électriques de nos voitures adoptent une architecture à flux radial : le champ magnétique généré est perpendiculaire à l’axe de rotation du rotor. Ce dernier a une forme de cylindre.
Dans une machine à flux axial, le champ magnétique est parallèle à l’axe de rotation du rotor. Le stator et le rotor – ce dernier porte les aimants – prennent alors la forme de disques. On parle parfois chez les anglophones du moteur “pancake”.
Historiquement, cette architecture est restée au second plan : elle était moins facile à comprendre et les interactions entre stator et rotor généraient des cassures, vibrations ou déformations. Les progrès des matériaux et de la simulation lui redonnent aujourd’hui de l’intérêt.
Surtout qu’à puissance égale, la machine à flux axial est plus compacte et plus légère. D’où son intérêt sur des véhicules sportifs. Mercedes, via sa collaboration avec Yasa, figure parmi les groupes les plus avancés. Alpine travaille également sur cette technologie pour sa future A110 avec le français Whylot.
AP – Vous évoquez le moteur à flux axial, présent sur le concept AMG GT XX. Il annonce un modèle de série qui sort l’an prochain. On parle de cette technologie depuis votre rachat de la société britannique Yasa en 2021… Êtes-vous vraiment prêts côté production ?
MS – Oui. L’usine de Berlin-Marienfelde est en phase de pré-production. Ce site, qui fabriquait jusqu’ici des moteurs thermiques ou des composants, est à présent converti avec un investissement majeur.

AP – Vous nous confirmez donc que l’AMG GT de série sera lancée avec cette technologie…
MS – Oui. Nous serons très proches du concept car, avec les cellules cylindriques et leur refroidissement liquide, le moteur à flux axial ou le système d’exploitation MB OS. Nous sommes très près du lancement de la fabrication.
AP – Le groupe Mercedes contrôle Yasa, qui a largement développé la technologie. Comptez-vous fournir des moteurs à flux axial à d’autres marques ? Ou bien souhaitez-vous en conserver l’exclusivité ?
MS – À ce jour, Yasa fournit certaines grandes marques, mais pour des voitures hybrides (par exemple la Ferrari 296 GTB ou la Lamborghini Temerario, ndlr.). Nous avons réalisé des investissements substantiels pour le moteur à flux axial pour un VE, déposé un grand nombre de brevets. Pendant un certain temps, nous voulons l’utiliser exclusivement pour nous. Je n’exclus pas que cela change à l’avenir. Mais pour le moment, je veux l’avoir exclusivement pour AMG.
AP – Vous citez AMG. Mais peut-on s’imaginer des moteurs à flux axial dans des Mercedes plus classiques ?
MS – C’est théoriquement possible, mais je ne veux pas divulguer toute notre stratégie produit aujourd’hui. Mais théoriquement, oui, ça marche.
AP – L’une des barrières au développement de ce type de moteur est le prix. Parle-t-on d’une fabrication deux fois, cinq fois ou dix fois plus coûteuse que pour une machine conventionnelle ?
MS – Je dirais que c’est plus coûteux, mais de manière raisonnable.

AP – La CLA est mise sur le marché avec une consommation minimale de 12,2 kWh/100 km selon la norme WLTP. Quels seront les leviers qui permettront encore de faire des gains dans les années futures ?
MS – On peut évidemment détailler l’impact de chaque composant de la chaîne de puissance. Le moteur électrique est déjà à 90 à 95 % de rendement. Il n’y a pas beaucoup plus à gagner pour des coûts raisonnables. Peut-être un pourcent. L’onduleur va davantage changer à l’avenir et il y a beaucoup de nouvelles technologies en préparation pour la prochaine génération. Il y a du potentiel avec la bascule vers le carbure de silicium, mais aussi dans la gestion de la température. On peut aussi gagner sur le réseau électrique. Enfin, le plus grand levier est l’aérodynamique, au moins à des vitesses élevées. C’est essentiellement de la physique : longueur, largeur, surface, coefficient de traînée. Mais les gens doivent aimer les voitures.
AP – Vous devez faire des SUV…
MS – Exactement.
AP – Nous ne pouvons pas éviter le sujet de l’IA et son impact dans l’automobile. De manière très concrète, comment est-ce que cela change le travail de vos équipes ?
MS – Cela a un impact sur la voiture que nous réalisons, mais aussi sur la manière dont nous la concevons. Premièrement, l’assistant vocal dans la voiture. Nous l’approchons avec une approche multi-agent et l’IA est très présente pour répondre à vos demandes. Nous utilisons aussi de grands modèles de langage (ou LLM) dans nos logiciels pour les aides à la conduite. Auparavant, nous utilisions un moteur de règles. Vous écriviez des lignes de codes : si l’on détecte ceci, il arrive cela… Maintenant, les données des véhicules sont intégrées et traitées par l’IA. Pour obtenir une assistance à la conduite de niveau 2+, il est évident que vous devez faire appel aux LLM et à une approche IA.
AP – Et sur la manière donc vous concevez la voiture…
MS – Pour un véhicule, il faut écrire beaucoup de code. Le code est désormais écrit en collaboration avec l’IA. C’est un gros soutien pour nos spécialistes logiciels.
AP – On parle souvent de la vitesse de développement technologique de vos concurrents chinois. L’environnement, l’état d’esprit et les règles sont évidemment différentes de chez nous. L’Europe peut-elle en tirer des enseignements ?
MS – Je compare cela à la salle de sport. Si vous voulez être parmi les meilleurs, vous devez vous entraîner dans la meilleure salle avec la meilleure équipe. Oui, nous pouvons apprendre beaucoup. En Chine, ils travaillent dur, davantage d’heures, sont actifs six jours par semaine. Il y a davantage de flexibilité et les salariés prennent peu de vacances. En termes de culture d’échec, de prise de risque, ils sont très avancés : ils prennent des risques, ils échouent, et ils gèrent cela de manière très rapide et ils itèrent. Dans le monde occidental, nous avons tant de personnes dans le système dont le rôle est de vérifier, contrôler, conseiller et gérer les projets. Vous avez l’impression qu’en Chine, tout le monde travaille, écrit du code et crée. C’est ce que l’on appelle la valeur ajoutée. Oui, je pense que nous devons remettre en question quels types de systèmes de soutien nous avons et ce qui créée vraiment de la valeur. Nous devons questionner notre manière de travailler. Nous avons une culture différente, nous nous sommes développés différemment, mais nous devrions au moins regarder à quel point ils sont concentrés sur leurs objectifs. Quelque part, la question que vous me posez est : « finalement, peut-on atteindre la même vitesse en étant ici ? ». J’en doute, à moins que vous ne soyez en Chine. C’est pourquoi nous avons 2 000 ingénieurs à Shanghai et à Pékin. Nous nous entraînons donc dans la même salle de sport, exposés aux mêmes conditions de marché difficiles. Il y a chaque jour une nouvelle invention, une nouvelle directive, une nouvelle réglementation. Et vous devez vous jeter directement sur ces innovations. La seule façon de le faire est, pour l’heure, d’être présent en Chine. Y être présent est le meilleur choix pour apprendre.

AP – Voyez-vous évoluer à bas bruit des tendances technologiques qui pourraient faire changer l’automobile ?
MS – Vous connaissez peut-être le cycle de la hype de Gartner. Certaines technologies sont survendues, puis leur popularité décline avant de susciter à nouveau l’attention. Un cas intéressant est l’informatique quantique : on en a beaucoup parlé, cela a ralenti, mais cette idée reviendra sur le devant de la scène un jour. Mais aujourd’hui, l’IA est bien le thème numéro 1 : il y a tant de potentiel. Nous n’avons vu que quelques pourcents de ce qui va se dérouler. C’est dix fois plus fort que l’électrification. Le VE, nous y sommes presque arrivés, les gains à venir sont marginaux. Les capacités de l’IA, en revanche, seront dix fois, cent fois supérieures à ce que l’on sait aujourd’hui.
Fin 2024, Mercedes a fait rouler une EQS expérimentale dotée de batteries semi-solides. Les cellules utilisées, nommées FEST, ont été réalisés en collaboration avec la firme américaine Factorial Energy, également partenaire de Stellantis. La densité d’énergie s’élève à 391 Wh/kg, soit le double d’une bonne lithium-ion lithium-fer-phosphate actuelle.
« Les résultats sont remarquables, expliquait Markus Schäfer dans un billet sur le réseau professionnel Linkedin. L’EQS modifié atteint une autonomie supplémentaire de 25 % pour un poids et une taille de batterie correspondant à une batterie standard d’EQS ». Avec d’autres optimisations, ceci permet à la berline expérimentale d’afficher 1000 km d’autonomie.
Mais comme toujours avec les batteries solides, c’est la production en série qui pose problème. En mars, les capacités annoncées de Factorial s’élevaient à 500 000 cellules FEST annuelles. De quoi fabriquer des packs pour quelques centaines de voitures seulement.
Contrairement à d’autres marques affichant des calendriers aussi optimistes que glissants, l’Étoile ne s’engage pas sur une date de sortie en série.
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