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L’ancien patron de Stellantis publie Un pilote dans la tempête. Un livre où il évoque notamment la place de l’électrique dans sa stratégie… et son départ.
La « séquence Tavares » est ouverte. Après une interview avec Le Point, l’ancien patron de Stellantis a accordé plusieurs entretiens à l’occasion de la sortie de son livre Un pilote dans la tempête (Plon). Dans l’ouvrage, il revient sur son parcours, donne des conseils en management ou détaille le paysage automobile mondial, un an après son départ du groupe.
Le véhicule électrique occupe une place importante dans les explications fournies par Carlos Tavares. Y compris dans celle de son départ de Stellantis. Voici quelques extraits pour mieux comprendre.
Après avoir quitté le Portugal, poursuivi des études à Centrale Paris, été embauché chez Renault, mis au point des châssis à Aubevoye ou géré le programme Mégane II, Carlos Tavares fut envoyé par Carlos Ghosn à Nashville (États-Unis) pour piloter la branche nord-américaine de Nissan. Le récit de cette période (2005-2011) lui permet d’aborder une première fois le VE.
« J’ai grandi dans l’ingénierie Renault, où l’on n’a jamais balayé l’électrique d’un revers de la main. Au contraire, l’Alliance Renault-Nissan était en pointe dans ce domaine dans les années 2000, avec la Renault Zoe et la Nissan Leaf. L’électrique était pour nous une planche de salut, un saut technologique pour enjamber l’étape de l’hybride, que nous avions manqué. »
Carlos Tavares se souvient que les équipes du Losange et de Nissan faisaient alors la course pour sortir la première voiture électrique de masse. Voilà qui est assez révélateur, a posteriori, sur le fonctionnement de l’Alliance et la psychologie de l’homme d’affaires : « Je pense l’avoir gagnée, explique l’auteur. J’ai en tout cas eu le privilège de livrer aux États-Unis, en décembre 2010, la première Leaf à un client californien qui s’est avéré être un ingénieur expatrié… français ! »
Devenu directeur général de Renault et nᵒ 2 de l’Alliance derrière Carlos Ghosn, Carlos Tavares se voyait aller plus loin. En août 2013, dans une interview à Bloomberg, il expliqua qu’il se sentait prêt pour un rôle de « number 1 ». Carlos Tavares détaille une entrevue avec Ghosn : « « Soit tu pars, soit tu démens ». Dans l’instant, j’ai dit « je pars ». La discussion a été franche, pas du tout acrimonieuse, elle a duré une demi-heure, pas plus. » Quelques mois plus tard, en décembre 2013, Carlos Tavares devenait patron d’un groupe PSA Peugeot-Citroën en grande difficulté…
L’un des fils les plus intéressants tirés par l’ouvrage est la naissance de Stellantis sous sa forme actuelle. Le méga-groupe aux 6 millions de véhicules annuels est le mariage, rappelons-le, de PSA Peugeot-Citroën et de l’attelage Fiat-Chrysler (FCA).
Carlos Tavares raconte le premier contact avec Mike Manley, alors aux affaires à Turin et Detroit : « Je l’avais appelé au téléphone en décembre 2018 et nous avions convenu de déjeuner ensemble au salon de Genève 2019. » Ce jour-là, Peugeot présentait la 208… Dans un premier temps, FCA envisageait plutôt un rapprochement avec le Losange, mais les discussions avec le patron de l’Alliance Renault-Nissan, Jean-Dominique Senard, achoppèrent.
« L’étape clé suivante a été un rendez-vous avec John Elkann (président de FCA), à Paris, au cœur du mois d’août. Ce fut étonnamment un rendez-vous raté, qui a failli mal tourner. J’avais dit quelque chose dans les médias qui n’avait pas plu à FCA. »
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Voici le plan de Stellantis pour sauver l’automobile européenneDevant des journalistes, Carlos Tavares avait critiqué le système de rachat de crédits CO2 mis en place en Europe entre Tesla et Fiat-Chrysler. La marque d’Elon Musk et FCA forment un pool, évitant au groupe italo-américain une amende pour émissions trop élevées. En échange d’un virement de deux milliards pour Tesla… qui avait alors grand besoin de cash.
« Moralement, cet achat de droits à polluer est un scandale. Économiquement, il a fait la fortune de Tesla », écrit un peu plus loin Carlos Tavares. « On ne doit pas acheter le droit de détruire la planète avec les profits réalisés sur la vente des voitures thermiques. »
La sortie avait irrité John Elkann et son équipe : « Cela leur a déplu. Vraiment ! La réunion a été violente. J’ai été agressé verbalement, avec la menace de mettre fin aux discussions si je le répétais encore une fois. Je n’étais pas seul. Il y avait Louis Gallois, le président du conseil de surveillance de PSA, et les banquiers d’affaires. J’ai hésité. Puis j’ai décidé d’oublier. »
L’accord de rapprochement entre Fiat-Chrysler et PSA fut scellé lors d’un dîner Tavares/Elkann, partagé à Versailles en octobre 2019.
En plus du redressement des comptes de PSA, Carlos Tavares fut confronté dans la deuxième moitié des années 2010 aux répercussions de l’affaire Volkswagen. Y compris d’un point de vue réglementaire.
« La réalité est que Bruxelles ne voulait pas, ne pouvait pas, s’en prendre seulement à Volkswagen. Parce que Volkswagen, c’est l’Allemagne, analyse-t-il dans Un pilote dans la tempête. Alors l’Europe n’a pas fait de quartiers. Aucun discernement. Toute l’industrie a été mise dans le même sac. Nous étions tous des gangsters (…). Nous avions des autistes en face de nous. C’est ainsi que d’énormes, de dramatiques bêtises ont été commises. »
Le dirigeant ne précise pas vraiment qui se cache derrière ce générique « Bruxelles ». Plus loin dans l’ouvrage, il s’en prend tout de même à des ONG « politiquement connotées » ou à des partis écologistes à la « logique punitive ». Aux yeux de Carlos Tavares, l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA) n’en a pas fait assez non plus pour éviter l’interdiction des voitures thermiques en 2035.
L’homme d’affaires évoque la politique de décarbonation qu’il aurait suivie s’il avait été aux manettes : « Il suffisait de remplacer l’exigence « zéro émission » par une norme de moins de 100 grammes d’émissions de CO₂ par kilomètre parcouru. Cette norme aurait amené vers des voitures plus petites. Elle nous aurait permis de renouveler le parc plus vite en préservant l’accessibilité dans des conditions acceptables pour les classes moyennes (…) Cette norme n’aurait pas exclu la voiture électrique, qui s’imposera en zone urbaine. »
Une fois que l’Union européenne avait introduit le moratoire sur la vente de véhicules thermiques en 2035, Carlos Tavares ne voulait plus voir les règles bouger. Y compris sur les trajectoires de baisse des émissions de CO₂, avec des seuils en 2025 et 2030. Dans l’ouvrage, il qualifie de « pleurnicheries » les demandes récentes de l’ACEA (« Qu’ont-ils obtenu en 2025 ? Un lissage sur trois ans. On a simplement poussé le tas de sable ! »).
Carlos Tavares explique : « Au mois de juillet 2024, mon homologue chez Renault, Luca de Meo, avait, comme beaucoup d’autres, contesté les règles européennes qui allaient imposer aux constructeurs des amendes en 2025 si nous ne respections pas le mix de ventes de véhicules électriques requis. Je refusais cette attitude d’irresponsabilité climatique envers la planète qu’adoptait une grande partie de notre industrie. La réglementation avait été décidée plusieurs années plus tôt, nous la connaissions, nous nous y étions préparés, nous devions nous y soumettre. Le vin était tiré, il fallait le boire. Point. »
On a connu défense plus enthousiaste du VE. Et on notera que c’est là le seul moment dans Un pilote, où il est question de Luca de Meo… Le dirigeant poursuit : « Ma conclusion était qu’il fallait rendre nos véhicules plus attractifs, en améliorant l’autonomie, en apportant davantage de services et de connectivité. Mais surtout, il fallait abaisser les coûts. Massivement. Ce que le marché était prêt à accepter, c’était de l’électrique au prix du thermique. »
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Dieselgate : cinq constructeurs, dont Renault et Stellantis, devant la justice au Royaume-UniCarlos Tavares était convaincu que Stellantis pouvait se tirer de la crise actuelle par le haut. « J’étais convaincu que, aussi dure que soit cette période de transition, Stellantis était prêt à la traverser. Que nous avions la bonne stratégie. Nous avons les plateformes, les batteries et la trajectoire de réduction des coûts. Si nous réussissions, si nous accélérions alors que tous les autres avaient le pied sur le frein, Stellantis pouvait en sortir le premier, loin devant les autres. »
Notamment grâce à l’accord avec Leapmotor : « L’écart creusé par la Chine dans le domaine des batteries est significatif. Ils en ont encore beaucoup plus sous le pied que le surcoût que nous pourrions leur imposer avec des barrières douanières. Ils peuvent proposer aux classes moyennes des voitures électriques au prix du thermique. Et les clients achèteront, sans se soucier des conséquences. Les générations des boomers disparaissent, les suivantes sont moins attachées à nos marques historiques (…) C’est à notre tour d’apprendre d’eux ».
Les analyses du dirigeant n’étaient pas forcément celles du conseil d’administration de Stellantis. Le 29 octobre 2024, Carlos Tavares pilotait lors d’un week-end de compétition sur son cher circuit d’Estoril (Portugal). C’est sur cet autodrome qu’il avait découvert le monde des moteurs, au début des années 1970… Entre deux sessions au volant, il reçut un coup de fil de John Elkann, président de Stellantis : « C’est compliqué avec le board », lui expliqua ce dernier, selon l’ouvrage.
Carlos Tavares écrit sa réponse supposée dans le texte : « John, dans ce cas, mieux vaut engager immédiatement notre séparation de façon intelligente, responsable et mature. » Adepte du « zéro papier », il ne repassa jamais par son bureau. Dans l’ouvrage, le dirigeant fustige la « communication nauséabonde » autour de son départ, qui fut largement expliqué dans la presse comme une mise à la porte.
Communication nauséabonde ? Un peu plus tôt dans l’ouvrage, Carlos Tavares évoquait aussi de « sombres officines ». Dommage, le dirigeant n’en dit pas plus…
Certaines observations de l’ouvrage méritent le détour. Carlos Tavares détaille les rigueurs de la culture business au Japon. Il se souvient de réunions où il était l’interlocuteur « bourrin » (c’est lui qui le dit) « piloté » par Louis Schweitzer, ancien patron du Losange. Il raconte comment il a privé de biscuits (au sens propre) des responsables syndicaux allemands.
Il analyse sans complaisance la position des grands groupes automobiles mondiaux. « Je pense que Tesla finira par être complètement distancé par les constructeurs chinois, et que Musk finira par évoluer vers un autre secteur », écrit-il.
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La Maison-Blanche réserve une très mauvaise surprise à Stellantis et General MotorsCe sont sans doute quelques-uns des passages les plus intéressants du livre. On notera aussi des réflexions menées « sous la douche » à propos d’un éventuel rapprochement avec le groupe Hyundai-Kia…
On remarquera aussi quelques omissions. Les mots PureTech ou Takata ne sont jamais cités, alors qu’ils ont joué un grand rôle dans la perception publique de Stellantis. Exemple ? Angela Merkel répond : « Faites ! », lorsque PSA, mené par Tavares, entend racheter Opel. Ce mot intervient après une page d’explication du dirigeant.
Des interlocuteurs tels que Joe Biden, Giorgia Meloni, Bruno Le Maire ou Emmanuel Macron sont ainsi paraphrasés – au style indirect et souvent brièvement – par le dirigeant. Choix littéraire délibéré avec ses co-auteurs pour éviter de déformer les propos de ses interlocuteurs ? Ou traduction d’une certaine disposition d’esprit de Carlos Tavares ?
Un pilote dans la tempête, par Carlos Tavares avec Bertille Bayart et Dominique Seux, éditions Plon, octobre 2025, 21 euros.
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