XPeng G9

La voiture électrique, un révélateur de patriotisme économique ?

Qu’est-ce qui ressemble à une voiture chinoise électrique ? Une autre voiture chinoise électrique. A fortiori s’il s’agit d’un SUV.

Un constat que font de nombreux observateurs pour peu qu’ils s’intéressent au foisonnant marché du VE au pays de l’Empire du Milieu, et encore davantage s’ils ont eu l’occasion d’arpenter les travées de quelque salon automobile au cours des trois dernières années.

Lynk & Co 01, MG Marvel R, Aiways U5, XPeng G9, NIO ES8, Li One, GAC Aion LX Plus et autres, tous ont quand même un petit air de famille, qu’il s’agisse de la ligne avec face avant effilée sans calandre et feux à LED en forme de trait ou du design intérieur et de l’aménagement autour d’un grand écran tactile central à la Tesla, intégré avec plus ou moins de bonheur sur une planche de bord forcément minimaliste (le terme « planche de bord » n’a d’ailleurs jamais été aussi adapté que depuis l’arrivée de la Model 3).

Des codes de design et de conception technique qui ne sont pas là par hasard, et qui, au-delà de l’effet de mode, répondent d’une part à des contraintes budgétaires (l’écran central unique est probablement une source d’économies monumentale) et d’autre part à une obligation d’efficience si tant est qu’il soit possible de rendre un SUV un peu plus aérodynamique et léger qu’une armoire normande qui aurait avalé tout cru une famille d’enclumes.

Chine, du copié-collé à l’innovation

Mais il n’y a pas que cela. L’industrie chinoise se défait progressivement de son image d’usine du monde avec les biais de contrefaçon et de copie low cost qui lui étaient reprochés jusqu’à il y a peu, pour se bâtir peu à peu une vraie réputation dans la création et l’innovation. C’était déjà le cas depuis quelques années dans le domaine de la high-tech où de solides et innovants leaders se sont rapidement imposés (Xiaomi, Huawei, Oppo, Lenovo, TCL, les drones DJI…), et il semblerait que le secteur automobile, dont la croissance est tirée (ou à peu près maintenue à flot) par l’électrique, emboîte le pas.

À cela près que ce pays n’a pas la culture du design que nous connaissons en Europe, ou plus largement en occident. Loin de moi l’idée de dire qu’il n’y a pas de designers de talent en Chine ou que leurs voitures sont moches. Simplement leurs codes graphiques relèvent davantage de choix d’usage pour une clientèle qui majoritairement n’a cure de notre sens de l’esthétique et de la haute couture. Nous l’avons vu récemment, la Chine se détourne du modèle européen, et c’est d’autant plus marquant chez les jeunes générations, les fameux millennials, totalement imprégnées de technologies digitales, et pour qui tout passe par les écrans et par les applications. En gros, l’effet « WOW » sera davantage déclenché par la qualité d’un écran tactile, la précision d’un système de conduite autonome ou le dépouillement façon vaisseau spatial d’un habitacle que par la ligne ou les performances. Certes, c’est un constat qui peut être fait également chez les jeunes Européens ou Américains qui ont découvert l’automobile avec Tesla, mais qui est encore certainement plus prégnant chez les jeunes Chinois, dont l’intégralité de la vie est réglée par le smartphone et quelques applications qui permettent de TOUT faire. Et sans lesquels on ne peut rien faire.

Autrement dit, pour le choix d’une voiture en Chine, c’est d’abord la tech, l’écran et les apps, puis l’autonomie, et à la fin, éventuellement, le look et les performances. Bien sûr, ceci est un peu caricatural, puisque certaines marques premium européennes comme Porsche ou Audi y font encore de bons scores, mais cela concerne principalement le très haut de gamme… et le thermique. En matière d’électrique, la messe semble dite : pour le marché intérieur, les nombreux constructeurs locaux mènent la danse, avec des nouvelles marques pour la plupart inconnues ici, et surtout des marques nées avec et autour de l’électrique, dont les bureaux d’études partent donc d’une page blanche, ce qui confère l’avantage de ne pas être « pollué par l’expérience » comme disait un de mes anciens profs de marketing.

En Europe, c’est dans les vieilles marmites qu’on croit faire les meilleures soupes

À l’opposé, la vieille Europe, qui a connu quelques ratés au démarrage en matière d’électrification, s’est d’abord appuyée sur l’existant pour concevoir ses premiers modèles électriques. À ma connaissance, aucun constructeur n’est parti de zéro, et tous se sont reposés sur des plateformes éprouvées et des technologies existantes pour développer leurs premiers modèles électriques, qui pour la plupart – en tout cas au début – n’ont été que des déclinaisons de modèles thermiques, à l’exception peut-être de la Zoé, qui a bénéficié dès son lancement de sa propre plateforme, et encore, celle-ci était adaptée de celle de la Clio.

Et même si aujourd’hui les choses ont évolué et que les plateformes dédiées se développent au pas de charge, les constructeurs européens n’ont pas vraiment tiré un trait sur leur histoire et leur héritage thermique, fait de design, de performance, et d’art de vivre. Ainsi nombre de modèles électriques ne sont encore qu’une ligne de plus dans un catalogue où se côtoient dans la même gamme thermiques et hybrides. Quelques exemples ? En veux-tu en voilà : Fiat 500, Mini, Smart, Peugeot 208, Citroën C4, Renault Twingo, Volvo XC40, BMW i4, autant de modèles qui coexistent en version thermique et électrique.

Au final, c’est peut-être au sein du groupe VW que la conversion vers l’électrique est la plus radicale, avec la construction dès le milieu des années 2010 de véritables plateformes dédiées, qui ont donné naissance à de « vraies » nouveautés électriques, comme la Porsche Taycan, les Audi e-tron et e-tron GT et même la série ID.3 4 et 5 de Volkswagen. Même si en étant taquin on pourrait dire sans trop s’avancer que l’Audi e-tron Q4 ressemble beaucoup à une version électrique de la Q3 ou de la Q5. Sauf qu’elle est fabriquée sur sa propre plateforme MEB 100 % électrique. Et toc.

Des modèles qui ont cependant gardé l’ADN des marques en question, puisque le Taycan évoque à la fois la 911 et la Panamera, et que la VW ID.3 est vue par certains comme la « Golf électrique ».

Alors, les Européens ont-ils tort ou raison de ne pas faire table rase du passé ? Difficile d’imaginer qu’avec les moyens qui sont les leurs ils n’aient pas investi dans quelques études de marché qui orientent leur stratégie produit. Le consommateur européen n’est pas le consommateur chinois. D’abord l’âge moyen d’un acheteur de voiture neuve est beaucoup plus élevé par ici qu’en Chine (52 ans contre 36 !) et donc probablement sensible au respect d’une certaine tradition qui se retrouve dans la ligne et surtout l’aménagement intérieur, qui même dans les modèles les plus récents, reste relativement classique, à cela près que là aussi les écrans ont remplacé les bons vieux compteurs analogiques.

Recherche nouvelles marques désespérément

Les constructeurs européens seraient-ils les gardiens du Temple de l’automobile ? Peut-être, puisqu’à l’exception de marques exotiques (Rimac ?) rien d’entièrement nouveau n’a vraiment émergé au cours des dernières années. Alors que pourtant les nouvelles marques ne sont pas l’apanage de la seule Chine. Si l’on regarde du côté de l’Amérique, la capacité illimitée de financement de la Silicon Valley a permis l’émergence de nouveaux constructeurs qui tentent tant bien que mal de passer du statut de start-up à celui d’industriel crédible et solide. On pense bien sûr à Tesla, qui a montré la voie (parfois quelque peu semée d’embûches) dans le sillage duquel se sont engouffrés des Lucid, Rivian et autres Fisker, même si la partie semble loin d’être gagnée pour ces courageux challengers. En Europe, pas de Lucid, de Rivian, de Tesla ni de Aiways.

Reste le cas des Coréens, qui avancent leurs pions discrètement et tranquillement, et dont les premières incursions dans le tout électrique semblent être synonyme de succès, tant sur le plan technique que commercial, mais surtout de l’accueil du public et de la cote d’amour de leurs modèles, qu’il s’agisse des pionnières comme les Hyundai ioniq28 et Kia e-soul, et plus récemment des Hyundai Kona ou Kia e-Niro ou de leur prestigieuse descendance nommée Ioniq 5 ou EV6. Des constructeurs qui finalement représentent une sorte de trait d’union entre la radicalité technologique de la Chine et une certaine tradition européenne. Autrement dit des voitures hautement technologiques, mais avec une âme et un vrai coup de crayon qui les distingue de la masse.

Et puis il y a le petit dernier, un challenger plein d’ambition (et de moyens), qui n’est ni chinois ni coréen in européen ni américain, mais qui a eu la bonne idée de s’allier avec de nombreux acteurs, et de faire dessiner ses voitures par Pininifarina et Torino, je veux parler du vietnamien VinFast. Pas d’histoire, une première incursion dans l’automobile seulement en 2018 en partenariat technique avec BMW, et trois SUV électriques qui arrivent en Europe dans les prochains mois, qui ne ressemblent pas à la production chinoise, et qui ont plutôt de la gueule.

Europe, Chine, chacun chez soi ?

Les clients chinois se détournent des constructeurs européens ? Peut-être. Il se pourrait que les clients européens, ou en tout cas une partie d’entre eux, en fassent autant avec les constructeurs chinois. Pour des raisons de « patriotisme économique », mais aussi pour des motifs plus politiques et éthiques, liés aux droits de l’homme et à notre conception de la démocratie, de la liberté d’expression, et du respect de l’environnement. Il suffit de lire simplement certains commentaires ici à l’évocation d’un nouveau modèle chinois… voire d’une voiture française construite en Chine.

Le futur de l’automobile sera électrique, c’est maintenant une certitude, mais il devra compter désormais avec un acteur de plus au catalogue, la Chine. Le bras de fer est déjà engagé avec les USA et l’Europe, et on assiste à une véritable rupture dans l’approche des marchés, avec des démographies et des affinités qui pourraient peut-être redessiner le paysage automobile dans les prochaines années. Ajoutez à cela une pointe de protectionnisme de part et d’autre et des règles économiques différentes selon les régions, et vous avez un parfait cocktail de guerre économique, mais d’un nouveau genre, dans laquelle chacun resterait chez soi. Une sorte de démondialisation de l’automobile, avec des styles et des approches totalement différentes selon que l’on conduise en Asie, en Amérique ou en Europe…

Où comment l’achat d’une voiture pourrait aussi devenir un geste politique de repli sur soi. Cela étant, on disait la même chose dans les années 80 avec l’émergence des voitures japonaises. On connait la suite… Pas sûr que les postures soient suffisantes pour lutter contre une déferlante à venir.