Pollution sur Grenoble – Rina Sergeeva (Flickr)

Selon une enquête de la Cour des comptes, la vignette Crit’air ainsi que le bonus-malus n’auraient aucun impact positif sur la pollution de l’air. En cause : un système basé sur des valeurs théoriques d’émissions, très éloignées de la réalité. Certains dispositifs encourageraient même à l’adoption de véhicules bien plus polluants qu’annoncés.

Qu’en est-il des politiques de lutte contre la pollution de l’air en France ? Pour répondre à cette question, la commission des finances du Sénat a sollicité une enquête auprès de la Cour des comptes. Le document, publié fin septembre 2020, se penche sur les différentes sources de polluants atmosphériques et notamment ceux des voitures. À ce chapitre, le constat de la Cour est sonnant. Elle affirme que « la réglementation applicable aux émissions des véhicules n’est pas parvenue à réduire significativement les émissions d’oxydes d’azote des véhicules diesel ».

La vignette Crit’air peu pertinente

La juridiction pointe plusieurs dispositifs, à commencer par la classification Crit’air. « [Elle] n’apparaît pas pertinente en ce qui concerne les véhicules Euro 5 et Euro 4 diesels pour le dioxyde d’azote » selon la Cour. La vignette Crit’air s’appuie en effet sur les normes Euro, qui reflètent peu des émissions en conditions de conduite réelles. Ainsi, l’institution explique qu’« un véhicule diesel Crit’air 2 et correspondant à la norme Euro 5 émet ainsi en réalité la même quantité d’oxydes d’azote qu’un véhicule diesel Euro 4, classé Crit’air 3 ». « La classification actuelle des véhicules ne permet pas aux consommateurs de connaître leurs niveaux d’émissions réelle » estime la Cour.

Un bonus-malus trop obsédé par le CO2

Par ailleurs, le dispositif de bonus-malus qui taxe les véhicules les plus polluants pour subventionner les moins émetteurs, est trop figé sur les émissions de CO2 selon l’institution. « Le malus automobile, seul outil s’appliquant à l’ensemble des véhicules neufs vendus en France, n’est pas calibré en fonction des émissions de polluants, mais du CO2, qui est un gaz à effet de serre et non un polluant atmosphérique » accuse la Cour des comptes. Malgré les évolutions successives du dispositif, elle regrette que « très peu […] prennent en compte des critères directement liés à la pollution de l’air. »

Ainsi, le renouvellement du parc automobile ne permettrait pas une baisse des émissions ayant un impact sur la santé. « Plus de huit ans après la mise en œuvre des normes Euro 4 et quatre ans après celle des normes Euro 6, force est toujours de constater que ces réglementations ont échoué à réduire les émissions de certains polluants des moteurs diesel » accuse la Cour.

L’AdBlue et le filtre à particule contre-productifs

Outre les normes et dispositifs liés aux émissions des véhicules, la juridiction critique les « nouveaux dispositifs de dépollution ». Elle avertit notamment sur les filtres à particules, qui peuvent « comporter des effets contre-productifs défavorables à la qualité de l’air ». La Cour des comptes cite des études ayant montré que les FAP « contribuent à émettre davantage d’oxydes d’azote ». En effet, ces derniers nécessitent une certaine température de gaz d’échappement pour fonctionner et rejettent des quantités considérables de particules lors des phases d’auto-nettoyage.

L’AdBlue, un adjuvant réservé aux moteurs diesel et censé réduire les rejets de NOx, en prend également pour son grade. « L’usage d’urée […] contribue en effet à l’émission d’ammoniac, polluant jusqu’alors presque exclusivement émis par le secteur agricole et responsable de la formation de particules secondaires » explique l’institution. Elle évoque également les émissions de cuivre, platine arsenic et plastiques issues de l’abrasion des plaquettes, pièces moteur et pneus. Des rejets qui « augmentent avec le poids des véhicules, indépendamment du type de motorisation » précise la Cour.

Les recommandations de la Cour des comptes

Ainsi, l’institution préconise de « mieux prendre en compte l’ensemble des externalités environnementales des véhicules » comme le poids des véhicules. A l’instar, par exemple, de la Norvège, qui taxe l’immatriculation des véhicules en fonction des émissions de gaz à effet de serre, des NOX mais aussi du poids.

En parallèle, elle recommande de poursuivre le rééquilibrage de la fiscalité entre le gazole et l’essence, amorcée fin 2016 mais stoppée fin 2018 suite au mouvement des Gilets Jaunes. La Cour conseille également de revoir la classification Crit’air, en se basant sur les émissions réelles de polluants atmosphériques et de CO2 des véhicules. Des rejets qui doivent être affichés lors de la vente de véhicules, selon le souhait de la juridiction.

Enfin, la Cour des comptes veut accélérer la mise en œuvre des zones à faibles émissions. Souffrant du mille-feuille de compétences des collectivités et d’inertie politique, ces zones prennent trop de temps à voir le jour. « Plus de dix ans après (les premières restrictions de circulation en France), seules trois ZCR sont mises en œuvre à Paris, dans quelques communes du Grand Paris ainsi qu’à Grenoble » regrette l’institution.