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Voiture électrique : le déclin de l'empire américain

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Tesla Trump Musk
Photo : NYT

Les États-Unis, champions de l’innovation technologique, semblent avoir perdu la main au profit de la Chine, devenue le nouvel Eldorado de la high tech automobile.

Avec des marques nées en Californie, il fut un temps pas si lointain où les États-Unis apparaissaient naturellement comme les grands architectes de la révolution électrique. Après tout, la technologie numérique s’invitait dans l’automobile, dans une sorte de continuité organique avec tout ce qui avait été inventé jusque-là dans la Silicon Valley. Tesla y avait été conçue, auréolée d’un esprit pionnier et d’une avance que l’on croyait irrattrapable. Les aides fédérales pleuvaient, les grands groupes se convertissaient à l’électrique, et tout semblait annoncer l’avènement d’une nouvelle ère de domination et de soft power à l’américaine nés avec l’avènement des GAFAM.

La réalité est peut-être un peu différente.

Certes, en termes d’avance technologique, l’Amérique domine encore les débats pour tout ce qui concerne la vie quotidienne, mais il s’agit davantage de services numériques et dématérialisés : IA, logiciels et plateformes. Tesla, jadis locomotive du marché, peine désormais à maintenir son rythme. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur l’ensemble du premier semestre 2025, la baisse des ventes de Tesla aux États-Unis est estimée — selon les sources — de 8% à 13% par rapport à la même période de 2024, alors que le marché américain du VE a progressé de 10 à 11% durant la même période. En Europe, c’est pire, puisque Tesla a vu ses ventes chuter de 35 à 40% au premier semestre 2025 par rapport à la même période de 2024. Quant à la Chine, l’autre grand débouché de la marque américaine, la baisse est au premier semestre est de 5,4% par rapport au premier semestre 2024.

>> Sur le même sujet : Donald Trump est-il en train d’offrir sur un plateau le marché des voitures électriques à la Chine ?

Tesla, une locomotive en panne

Mais la mécanique ne s’enraye pas uniquement à cause des volumes. Elle coince aussi sur le plan symbolique. Elon Musk, l’un des pionniers de l’électrique, semble désormais davantage intéressé par sa carrière politique que par son image de visionnaire de la tech. De plus, son bras de fer avec Donald Trump a jeté une ombre sur l’image de la marque, a fortiori après l’annonce de la création de son propre mouvement politique, qui a accentué le divorce avec une partie de l’électorat conservateur. Conséquence, la voiture électrique est en train de devenir, aux États-Unis, un sujet de polarisation culturelle autant que de transition technologique.

Le coup de grâce pourrait bien venir de Washington. Le 4 juillet, Donald Trump a signé une loi budgétaire qui prévoit la fin des aides fédérales à l’achat de voitures électriques. À partir de septembre, les acheteurs ne pourront plus compter sur les incitations fiscales (jusqu’à 7 500 dollars) qui avaient contribué à dynamiser le marché ces dernières années. L’effet d’annonce a déjà refroidi une partie des consommateurs, mais c’est surtout pour les constructeurs que la menace est réelle. Tesla, bien sûr, qui dépendait en partie de ces subventions pour maintenir ses volumes. Mais aussi Ford, General Motors, Lucid… tous risquent de voir fondre une clientèle qui hésitait déjà à sauter le pas.

Mais il n’y a pas que Tesla qui soit à la peine. Du côté des constructeurs historiques, la mutation électrique n’a rien d’un long fleuve tranquille. Ford, malgré des efforts louables, affiche encore des pertes colossales sur ses modèles électriques. En 2025, la marque devrait perdre plus de 5,5 milliards d’euros sur ce seul segment. Chaque voiture vendue coûte, au final, près de 25 000 euros à la marque. Chez Lucid, le constat est tout aussi amer. Malgré des berlines de luxe très abouties sur le plan technique, l’entreprise reste structurellement déficitaire, incapable de dépasser une production de niche. General Motors, quant à lui, tente de restructurer sa branche électrique, scindant ses activités batteries, mais peine à offrir une alternative crédible aux géants asiatiques.

Alors certes, l’électrique aux États-Unis progresse, mais lentement. Au premier semestre 2025, la part de marché des voitures électriques neuves aux États-Unis se situe autour de 10% du total des immatriculations de voitures particulières neuves. Les dernières analyses indiquent que le marché américain du véhicule électrique a poursuivi sa croissance, avec une progression d’environ 11% sur un an, mais la dynamique semble se stabiliser autour de ce seuil symbolique de 10%, soit environ 400 000 véhicules électriques immatriculés sur un total de 4 millions de véhicules neufs. En fait, à part Tesla, il y a une marque qui semble mieux s’en sortir, Rivian, qui bénéficie en outre du soutien financier… d’une marque allemande, Volkswagen. Si les comptes de Rivian n’ont pas encore atteint l’équilibre, la rentabilité semble désormais envisageable à l’horizon d’un ou deux exercices, au vu de la progression des marges au cours des deux premiers trimestres de 2025.

À part ces marques emblématiques ? Pas grand-chose. Si Cadillac semble bien engagée dans l’électrification, avec désormais une offre de plusieurs modèles, dont certains déjà vendus en Europe, on commence en revanche sérieusement à douter de la réalité des promesses sans cesse renouvelées mais jamais suivies d’effet de constructeurs indépendants comme Aptera ou Faraday Future. Reste Slate, le challenger inattendu, qui semble avoir tout compris, et qui pourrait faire un malheur… si les dernières décisions de Trump ne plombaient pas déjà son envol avant même le lancement de la production.

L’innovation a changé de camp

Mais le sujet dépasse le simple cadre de l’offre, et le malaise semble plus profond. À tel point que l’on pourrait presque parler de changement de civilisation. En fait, en matière d’automobile, l’innovation a changé de camp. Pendant que l’Amérique peine, la Chine fonce. En quelques années, elle est devenue le plus grand fabricant mondial de véhicules électriques. Plus de 12 millions de voitures vendues en 2024, dont une large partie à l’export. Des marques comme BYD, Xpeng ou Nio lancent des modèles à un rythme effréné, parfois deux fois plus rapidement que leurs concurrents occidentaux. Mieux : ces véhicules sont aujourd’hui à la fois plus abordables, mieux équipés, et souvent plus avancés technologiquement que ceux de leurs homologues américains. En fait, si l’Amérique mène encore le bal dans nombre de domaines liés de près ou de loin à l’informatique et à internet (pour faire large), avec un savoir-faire encore incontesté, la Chine semble définitivement avoir pris le leadership sur la production industrielle.

Ce basculement ne tient pas du miracle, mais d’une stratégie longuement mûrie. Pékin a investi massivement dans l’électrification dès le début des années 2010. Le programme « Made in China 2025 », que beaucoup d’observateurs occidentaux avaient sous-estimé, a porté ses fruits. Les chaînes de production sont désormais intégrées, les batteries sont fabriquées localement, et les véhicules sont pensés comme des plateformes logicielles autant que comme des objets roulants. L’innovation ne concerne plus seulement le moteur, mais le système d’exploitation, la navigation, l’intelligence artificielle embarquée. En Chine, la voiture électrique est une extension du smartphone. Dans le même temps, les exportations chinoises explosent. Au premier semestre 2025, elles ont bondi de 48 %, avec près d’un million de véhicules expédiés hors des frontières. Une partie grandissante de ces véhicules arrive aux États-Unis, souvent sous pavillon mexicain ou canadien, contournant habilement les barrières douanières. Le paradoxe est cruel : alors que Washington supprime ses aides aux véhicules électriques, elle ouvre involontairement un boulevard aux constructeurs chinois, qui profitent de ce Cheval de Troie, malgré une taxe douanière de plus de 100%. Même la National Auto Dealers Association l’a reconnu : la nouvelle législation fiscale américaine pourrait, sans le vouloir, donner un avantage décisif aux marques asiatiques. En 2023, la Chine était déjà le premier fournisseur de voitures (toutes motorisations confondues) au Mexique : 4,6 milliards de dollars d’exportations, représentant 20 % du marché mexicain . Entre 415 000 véhicules expédiés depuis la Chine vers le Mexique, seulement 134 000 y sont restés : la majorité a poursuivi son chemin vers les États‑Unis ou le Canada. CQFD.

Face à cette déferlante, les États-Unis paraissent désarmés. Le pays, réputé pour la créativité de ses entrepreneurs et sa soif d’innovation, qui a longtemps revendiqué son leadership dans la tech, assiste aujourd’hui, presque impuissant, à son déclassement dans un secteur clé du 21ᵉ siècle. Le retournement est d’autant plus brutal qu’il intervient au moment où la transition énergétique devient une question de souveraineté autant que de climat.

Alors, que reste-t-il de l’empire américain à l’âge de la voiture électrique ? Des pionniers isolés, des géants en difficulté, un gouvernement hostile à l’électrification… et une population de plus en plus divisée sur la question. Le pays qui a inventé l’automobile pour tous pourrait bien devenir celui qui aura raté son passage à l’électrique.

L’histoire n’est pas encore écrite, bien sûr. Il existe encore, aux États-Unis, une capacité d’innovation hors normes, un écosystème de start-ups, d’ingénieurs et de chercheurs qui pourraient redresser la barre. Mais cela nécessiterait une volonté politique claire, des investissements massifs, une réindustrialisation pensée à long terme. Et surtout, une rupture avec les logiques idéologiques qui font aujourd’hui de la voiture électrique un objet de discorde identitaire.

Faute de quoi, la page risque bel et bien de se tourner. Et l’histoire de la voiture électrique s’écrira, non plus à Detroit ou à Palo Alto, mais à Shenzhen, Hefei ou Hangzhou.

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