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Il a fait des miracles financiers avec PSA, Opel puis Stellantis. Mais ce qui devait arriver arriva, Carlos Tavares semble rattrapé par sa stratégie de cost-killer. Quand il partira pour une retraite dorée, son successeur va-t-il arriver sur un champ de ruines ? C’est ce que se demande déjà notre râleur en chef.
C’est l’information qui a agité l’industrie automobile en début de semaine. Stellantis cherche un successeur à Carlos Tavares, son emblématique directeur général. Ce qui n’est pas une réelle surprise, car il est connu que son mandat doit prendre fin début 2026.
Mais voir la quête de sa relève officialisée par le groupe plus d’un an avant l’échéance, dans un milieu du grand patronat qui aime les négociations discrètes et feutrées, cela peut surprendre. Se doutant de l’emballement médiatique, le groupe a indiqué qu’il n’était pas anormal d’anticiper pour un poste aussi important, et qu’aucune décision n’est prise, laissant la porte ouverte à un maintien de Carlos Tavares.
Mais l’homme est désormais clairement placé sur un siège éjectable. Juste retour des choses. Car Carlos Tavares procède de même avec les membres de son « top managment », sous pression constante. Les mauvais résultats sont vite sanctionnés par des départs. Exemple chez Citroën, Vincent Cobée, arrivé à la tête des chevrons en 2020, a été poussé vers la sortie début 2023 en raison de la mauvaise situation du constructeur, dont les ventes ont reculé, au point que Dacia l’a dépassé.
Et de mauvais résultats, il en est aussi question avec Carlos Tavares. Il a présenté des bilans financiers pour le 1er semestre 2024 qui ont déçu les investisseurs. Par rapport au 1er semestre 2023, le chiffre d’affaires a reculé de 14 %, le résultat net s’est effondré de 48 %. La marge opérationnelle a chuté de 14,4 à 10 %.
Ce qui reste une valeur exceptionnelle pour un groupe automobile. Mais cela cache une situation alarmante aux Etats-Unis, qui est en fait le vrai moteur des résultats incroyables de Stellantis depuis sa naissance. Dans cette zone, la marge opérationnelle est passée de 17,5 à 11,4 %. Face à des stocks qui se sont accumulés, Stellantis a dû se résoudre à casser les prix.
Ce que Carlos Tavares déteste, lui qui a basé une grosse partie de sa stratégie sur la quête de rentabilité. Avec d’abord le besoin de vendre des voitures qui sont plus chères, en améliorant leur qualité et en les rendant plus désirables (la seconde génération du Peugeot 3008 a illustré avec succès cette politique). Et donc en arrêtant de les brader. La période de pénurie qui a suivi le Covid a pour cela bien aidé. Mais la production tourne de nouveau à plein régime, l’offre redevient surabondante face à des clients qui ont perdu en pouvoir d’achat…
Surtout, l’autre élément important de l’équation, c’est la quête des économies. Et si on avait surnommé Carlos Ghosn le cost-killer, alors là, on a l’ultra cost-killer. Ici se trouve vraiment la raison de la belle rentabilité des entreprises gérées par Carlos Tavares.
On se souvient qu’il a pris les commandes d’un groupe PSA au bord du gouffre. En quelques mois, il a remis les comptes dans le vert. Pareil avec le rachat d’Opel, devenu subitement rentable après des années de pertes chez GM. Et voici donc Stellantis qui atteint des marges hallucinantes, dignes de Porsche.
Derrière cela, des comptes assainis en coupant dans les dépenses. D’abord ce qui se justifie, puis en allant de plus en plus loin, jusqu’à ce que cela commence à gripper la machine, que ce soit en interne, puis en externe. Car cela a fini par se voir pour les clients.
Début 2023, le réseau de distribution français s’était plaint de dysfonctionnements majeurs. En 2022, une refonte de la logistique, avec la vente de la participation dans Gefco, avait tourné au fiasco. Des voitures commandées se perdaient dans la nature.
Tous les postes sont concernés par la gestion Picsou. Outre l’organisation, les économies touchent au plan produit. D’abord dans la construction des gammes, avec désormais une maximisation des projets communs, où tout ce qui n’est pas visible est identique entre plusieurs marques.
Parmi les labels, certains sont maintenus en vie ou relancés à peu de frais, par exemple Lancia. On ne s’étonnera pas que cela ne séduise pas les acheteurs. Dans le même temps, après avoir longtemps alerté sur la menace chinoise, Carlos Tavares décide de lancer en Europe le chinois Leapmotor, qui va clairement concurrencer Fiat et Citroën. Faire entrer le loup dans la bergerie, quelle drôle d’idée.
La conception même des véhicules est un poste d’économies. Le lancement compliqué de la C3 électrique découle d’une mise au point difficile, sur une base low-cost dont la conception a été externalisée en Inde. La remise aux normes européennes a demandé plus de travail que prévu. Stellantis avait déjà procédé de la même manière pour la Citroën Ami, conçue par un sous-traitant. Les premiers exemplaires ont souffert d’une longue liste de défauts.
Les premières C3 sont d’ailleurs livrées dans l’urgence ces jours, Citroën ayant été contraint par le délai du leasing social. On a quand même peur pour les premiers clients, qui vont plus que jamais essuyer les plâtres. Il ne faudrait pas un nouveau raté, qui s’ajouterait à des dossiers brûlants qui plombent déjà l’image de Stellantis.
On pense bien sûr aux moteurs PureTech et aux airbags Takata. Ces problèmes ont des origines lointaines, avant que Carlos Tavares arrive chez PSA. Mais leur gestion interroge, avec par exemple un rappel très tardif chez Citroën, alors que le souci était identifié. Fallait-il limiter les dépenses ? Au final, le mal est fait, l’image désastreuse.
En interne, on s’inquiète depuis quelques temps de la quête permanente d’économies et du manque d’investissements. C’est prendre le risque d’aller vers des modèles en retard sur la concurrence et moins fiables. Et c’est un puit sans fond pour Carlos Tavares.
Après les résultats décevants du premier semestre, il a mis la pression… sur ses fournisseurs, pour les inciter à être toujours moins chers. Et après avoir promis de donner sa chance à chaque label, Carlos Tavares a changé de discours cette année en ouvrant la porte à la cession de marques. Quand on commence à vouloir vendre les bijoux de famille, cela ne sent pas bon. Public passionné et gouvernements se rendent compte davantage de ce qui se passe dans les coulisses.
Le journal l’Opinion titrait à juste titre récemment sur la fin de la Tavaresmania. Le ton commence à changer dans la presse économique, où l’on pointe (enfin) les erreurs de Carlos Tavares, après des années d’articles élogieux. Pourtant, les mauvais résultats découlent de mauvaises décisions prises depuis plusieurs années, les signaux d’alerte n’ont pas manqué.
Dans le milieu économique, on se limite souvent à juger la compétence d’un grand patron aux résultats financiers qu’il présente. Carlos Ghosn a enchainé les mandats à la tête de Renault grâce à des résultats flatteurs portés par une course aux volumes, qui a failli causer la perte du groupe. Lorsque Carlos Ghosn a dû lâcher la main en raison de son arrestation au Japon, ses successeurs ont trouvé un outil surdimensionné et une situation financière catastrophique.
En sera-t-il de même pour la relève de Carlos Tavares ? Stellantis n’en est pas à ce point. Mais la chute des résultats du groupe pourrait être le début de la fin, montrer que le rideau de fumée entretenu par des décisions « court-termistes » favorables à des marges records instantanées se dissipe. Le temps que la fumée disparaisse totalement, l’homme s’éloignera pour profiter de sa retraite dorée.
Après cela, le palace dont il a eu la charge et dont il a maintenu une façade rutilante pourrait bien s’effondrer. Les propriétaires découvriront alors que les meubles ont été vendus et les fondations n’ont pas été entretenues. Ils découvriront dans le jardin qu’une espèce invasive a été plantée. Ils feront les étonnés alors que le personnel viré avait alerté.
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