Fondateur d’EP Tender, Jean-Baptiste Segard est connu depuis plusieurs années pour avoir développé un prolongateur d’autonomie thermique installé sur une remorque à tracter. Désormais, des batteries ont pris la place du bloc essence et le concept s’est étendu et décliné.

Green Deal

Avec le Green Deal, ou Pacte vert, l’Europe a pour ambition de devenir le premier continent climatiquement neutre à horizon 2050. Et ce, en préservant la nature et en s’inquiétant de la santé et de la qualité de vie de tous les habitants du territoire sans en laisser de côté, mais aussi en soutenant l’économie.

Si Jean-Baptiste Segard associe son projet à cette feuille de route, c’est en raison du dépôt dans son prolongement d’un dossier en réponse à l’appel à projet H2020 EIC (European Innovation Council = Conseil européen de l’innovation) spécial « Green Deal ». « Il s’agit de participer à la réussite de la transition énergétique. La batterie est un outil majeur au service du Green Deal en matière de transport et de réseaux électriques », commente-t-il.

Risques systémiques

« Tous les humains, où qu’ils soient, sont aujourd’hui interconnectés. En 2008, la faillite de Lehman Brothers a plongé le monde dans une crise financière. Mais les gens oublient trop vite les dangers liés aux risques systémiques, qui ont des conséquences extraordinaires. Avec le Covid-19, ils redécouvrent aujourd’hui ce que c’est », explique Jean-Baptiste Segard.

« Le prochain risque systémique est lié au climat avec des répercussions graves dans les 50 ans. Tout ce que l’on décide dans les prochaines années aura un impact irrépressible dans 50 ans », assure-t-il.

Pour lui, chercher à obtenir une autonomie plus importante « avec plus de batteries, des chargeurs toujours plus puissants, et des voitures toujours plus lourdes et plus chères n’est pas une bonne piste ». L’image d’un « VE de 2,5 tonnes avec 100 kWh de capacité batterie » ne le séduit pas du tout.

Batteries : 3 axes d’amélioration

Le fondateur d’EP Tender recense 3 directions à suivre pour améliorer l’impact positif de l’exploitation des batteries : « mieux les utiliser (Better use), mieux les fabriquer (Better make), et fabriquer de meilleures modèles (Make better) ».

Concernant une meilleure fabrication, il met en avant l’Airbus européen des batteries et le projet de Northvolt qui « utilise les ressources naturelles du territoire, minimise le raffinage des matières, afin de réduire l’impact carbone des batteries qui s’élève à 100 kg de CO2 par kilowattheure ».

Il poursuit : « Fabriquer de meilleures batteries signifie augmenter la densité d’énergie. Pas mal de progrès ont été réalisés à ce niveau, nécessitant beaucoup d’argent en recherche et développement. Il faut compter environ 10 ans pour doubler cette densité ». Il prévient cependant : « Les avancées nécessitent des processus de fabrication de plus en plus subtils qui se traduisent par la construction d’usines coûteuses. Pourtant le prix des cellules devrait descendre de 130 à 80 dollars du kWh d’ici 2030 ».

Plaidoyer pour une meilleure utilisation

« Mieux utiliser les batteries (les partager), mieux les fabriquer (en Europe avec de l’énergie décarbonée et des ressources naturelles locales autant que possible) et fabriquer de meilleures batteries (R&D sur l’électrochimie), facilitera, dans le contexte du Green Deal, l’adoption de masse des véhicules électriques en réduisant l’impact environnemental et économique des batteries », résume notre interlocuteur.

Si la poursuite en parallèle des 3 axes permettrait d’obtenir à horizon 2030 une réduction de 89% de l’empreinte carbone sur le cycle de vie des batteries, c’est la meilleure utilisation des cellules qui peut être mis rapidement en place – quasiment immédiatement -, avec le meilleur impact carbone (-55%), le moins de risque, pour la réduction la plus importante des coûts (-55%), et des investissements en millions alors qu’ils se chiffrent en milliards pour une meilleure fabrication et obtenir de meilleurs modèles.

Une incertitude toutefois : l’acceptabilité par les utilisateurs des scénarios imaginés par Jean-Baptiste Segard et son équipe pour une meilleure utilisation des batteries.

De l’EP Tender à la voiture électrique

C’est le schéma d’origine de l’utilisation de l’EP Tender : embarquer avec soi une remorque qui permet de disposer de davantage de capacité énergétique lors des longs déplacements. « Ainsi, avec une voiture électrique 40 kWh il serait possible à terme, en lui associant l’EP Tender occasionnellement, de tripler l’autonomie effective du véhicule », commente le concepteur.

Préalable : Les VE doivent être homologuées pour tracter une remorque. « Plusieurs constructeurs sont en train de travailler afin de proposer cette fonctionnalité dès 2022 sur leurs nouveaux modèles », affirme-t-il.

Il chiffre : « Le surcoût engendré par l’ajout de l’attelage, du boîtier de jonction, des logiciels de service, etc. se situerait aux alentours des 600 euros si ces éléments sont intégrés en usine à la fabrication d’une voiture ou d’un utilitaire électrique. Il pourrait ne pas dépasser de beaucoup ce budget en seconde monte ».

Le dossier déposé par l’entreprise en réponse à l’appel à projet H2020 EIC prévoit des tests avec des utilisateurs dès 2021 afin que cette architecture soit commercialisée dès la fin 2022.

Réserve d’énergie – EP Tender to Home

« L’EP Tender servira aussi de chargeur mobile 35 kW DC selon les 2 standards CHAdeMO et CCS, notamment pour le dépannage de voitures électriques en panne d’énergie au bord de la route », révèle Jean-Baptiste Segard.

Mais ce rôle de réserve d’énergie est également envisagé pour un grand nombre d’autres applications qui pourrait bien faire de l’EP Tender un couteau suisse incontournable au milieu de besoins très divers en alimentation électrique. « En 7 kW AC, il pourrait alimenter un système d’éclairage, des appareils de chantier, recharger les batteries d’une pelleteuse ou d’un utilitaire électrique, mais aussi, dans un fonctionnement bidirectionnel, comme unité de stockage d’énergie (60 kWh) avec une maison dont les toits sont couverts de panneaux solaires par exemple », liste notre interlocuteur.

Boîtiers

Parmi les déclinaisons envisagées, l’ajout sur l’attelage d’un boîtier onduleur amovible qui permettrait d’obtenir d’une voiture ou d’un utilitaire électrique les mêmes services que ceux offerts par l’EP Tender en 7 kW AC (réserve d’énergie à utiliser comme avec un groupe électrogène, recharge des batteries d’un autre VE, V2H).

Adaptable au même endroit, un adaptateur CCS avec contrôleur permettrait de bénéficier d’une recharge rapide à une puissance déterminée par la batterie.

L’attelage au cœur du système

Au cœur de tous les services envisagés par EP Tender, le matériel d’attelage permettra bien sûr de tracter une remorque bagagère. Mais il est aussi un élément clé qui offrira une automatisation parfois incontournable.

« L’EP Tender aura un fonctionnement autonome grâce à un système qui existe déjà pour les caravanes. Un galet entraîne par friction les roues, comme autrefois sur les Solex. Grâce à un joystick numérique sur le téléphone portable, il sera possible de faire avancer la remorque à 1 km/h pour l’amener à proximité (moins de 2 mètres) de l’attelage de la voiture. Sur ce dernier, un Tag – sorte de QR Code – servira à déclencher un fonctionnement autonome pour l’accostage de la remorque sur le véhicule », détaille Jean-Baptiste Segard.

« En 2025, c’est toute la manœuvre qui pourra s’effectuer automatiquement », précise-t-il.

Robotisation de la recharge

« Des quotas ont été définis en Europe pour imposer aux loueurs de voitures d’inclure des véhicules électriques. Pour les recharger, du personnel devra les déplacer pour les conduire jusqu’à une borne à libérer ensuite avant de passer au VE suivant. Un fonctionnement qui sera très difficile à automatiser en raison des emplacements des connecteurs très divers sur les engins », rappelle Jean-Baptiste Segard.

« Grâce à l’attelage et à son Tag, il sera possible de le faire. Un bras monté sur un rail et relié à une borne rapide sera capable de repérer le connecteur CCS installé sur l’attelage de la voiture. Une fois la recharge terminée pour l’une, le système pourra passer à la suivante », schématise-t-il.

Soutenir le réseau électrique

EP Tender a prévu d’ouvrir des parcs qui recevront un grand nombre de remorque 60 kWh. Elles pourront se plugger l’une derrière l’autre afin de former d’importantes unités de stockage électrique à exploiter lors des pics de consommation. Ce fonctionnement générera un revenu qui fait partie du modèle économique imaginé par l’entreprise.

« Environ 75% du temps, les Tender seront immobilisés. Un système intelligent connecté ayant à sa disposition le calendrier des réservations, les prévisions météorologiques et celles du trafic pourra répondre aux sollicitations du réseau et fournir de l’énergie de telle sorte que les remorques soient cependant disponibles aux bon moments pour les utilisateurs », éclaire Jean-Baptiste Segard.

Alimentation des manifestations

« Dans une malle à roulette, un onduleur pourra être branché avec 4 Tender, chacun pouvant en recevoir d’autres afin de constituer une importante réserve d’énergie pour des manifestations à l’image du Festival des Vieilles Charrues qui se déroule en plein champs. Les Tender dont les batteries auront été vidées seront remplacés à chaud par des unités pleines d’énergie », esquisse notre interlocuteur.

Toutes ces formes d’exploitation de l’EP Tender concourent à faire baisser l’empreinte carbone de ses batteries sur leur cycle de vie.

Exemple de long trajet

Le modèle de location pour l’EP Tender prévoit l’implantation de parcs le long des grands axes. Prenons l’exemple d’un trajet Paris-Bordeaux.

« A Saint-Arnoult, dans les Yvelines, un utilisateur du service pourra récupérer une remorque d’une capacité énergétique de 60 kWh qu’il utilisera en priorité. A Poitiers, 300 kilomètres plus loin, il pourra échanger de Tender pour un avec des batteries pleines. La manœuvre s’effectuera à partir de 2025 automatiquement en 2 minutes. Environ 200 km après, l’automobiliste restituera le Tender à Virsac près de Bordeaux et disposera d’autant d’énergie que nécessaire pour arriver à destination (paramétrage possible de la capacité à conserver dans le pack du véhicule, et ce afin de payer moins de consommation auprès du service EP Tender) », indique Jean-Baptiste Segard.

« Les quelques minutes prises pour gérer les Tender équivaut à une recharge à 2,2 MW sur une borne si une telle opération était possible. Et tout ça avec un véhicule électrique abordable », argumente-t-il.

Economiser de l’argent

De plus en plus de voitures électriques sont et seront proposées avec des batteries de différentes capacités. Ainsi pour les Vokswagen ID.3, Hyundai Kona, Kia e-Niro et e-Soul.

« Avec l’EP Tender, pas besoin d’acheter celle équipée du plus gros pack pour envisager de longs déplacements. L’économie ainsi réalisée sera bien supérieure à l’usage occasionnel de notre remorque », assure le chef d’entreprise.

Pour lui, « pas de doute que les électromobiliens adopteront son système, à commencer par quelques pionniers ». Pourquoi ? « Pour que les choses changent, il faut aller vers une nouvelle pratique plus frugale. Ce sera le cas avec l’EP Tender », affirme-t-il

Estimations chiffrées

A ce jour, Jean-Baptiste Segard envisage deux formules pour la tarification. La première (Tarif A), pour un abonnement annuel de 40 euros, fixe un prix de location à la journée de 15 euros et facture 0,75 euro le kWh consommé. La seconde (Tarif B), plus adaptée aux grands utilisateurs, fonctionne avec un abonnement mensuel de 20 euros. Mais le prix de la location (10 euros par 24 heures) et celui de la consommation (0,50 le kWh) sont moins élevés.

Tarif A Tarif B
Abonnement 40 euros/an 20 euros/mois
Utilisation 15 €/jour 10 €/jour
Coût énergétique 0.75 €/kWh 0.50 €/kWh

Dans les 2 cas, le changement d’EP Tender en cours de route coûterait 5 euros, et l’aller simple (qui pourrait nécessiter un rapatriement de rééquilibrage) 10 euros.

Environ 10.000 euros séparent les Volkswagen ID.3 45 kWh et 58 kWh (et bien plus encore pour la version 77 kWh qui arrivera ensuite). « Afin d’effectuer le parcours Paris-Bordeaux avec le modèle 45 kWh, il faut compter une consommation de 80 kWh avec les EP Tender (en plus de celle sur la batterie du véhicule). Au tarif fort, le réseau Ionity facture 0,79 euro le kWh (sans compter la part de l’opérateur de mobilité). Soit un peu plus de 63 euros pour 80 kWh », calcule notre interlocuteur. « Trois arrêts seraient nécessaires aux bornes, pour environ 2h30 d’immobilisation », ajoute-t-il.

Tarif A : Plus de 40 ans de service EP Tender

Le déplacement de Paris à Bordeaux coûterait 90 euros avec la formule A (location = 15 euros ; Swap = 5 euros ; aller simple = 10 euros ; consommation = 60 euros pour 80 kWh avec les remorques EP Tender) pour une voiture électrique du type Volkswagen ID.3 45 kWh. Reste à rajouter la part de l’abonnement à diviser selon le nombre d’utilisations du service à l’année

Pour un automobiliste qui effectuerait ce trajet 7 fois par an, il faudrait plus de 40 ans pour que les factures EP Tender rattrapent les 10.000 euros d’écart entre les 2 versions de Volkswagen ID.3.

L’abonnement cumulé sur cette période pèserait 1.600 euros (40 ans x 40 euros). Les 7 déplacements annuels seraient facturés par EP Tender 7 x 40 x 90 = 25.200 euros. La même chose sur le réseau Ionity : 7 x 40 x 63 = 17.640 euros. Soit une différence de 7.560 euros qui, ajoutée aux 1.600 euros d’abonnement EP Tender, donnent 9.160 euros.

Tarif B : EP Tender en illimité pendant 40 ans

Avec le tarif B, l’avantage est encore bien plus net pour l’EP Tender. Le déplacement Paris-Bordeaux coûterait 65 euros (location = 10 euros ; Swap = 5 euros ; aller simple = 10 euros ; consommation = 40 euros) avec la Volkswagen ID.3 45 kWh.

Seulement 2 euros d’écart entre les factures Ionity et EP Tender. Les 10.000 euros pour accéder au modèle 58 kWh de la compacte allemande épongent 40 ans d’abonnement (20 x 12 x 40 = 9.600 euros). « Et ce, sans valoriser le temps gagné ! », conclut Jean-Baptiste Segard.

Automobile Propre et moi-même remercions beaucoup Jean-Baptiste Segard pour le temps pris à répondre à nos questions et à nous faire parvenir des documents complémentaires.

Avis de l'auteur

Parce qu’il permettrait de rouler au quotidien avec une voiture électrique plus légère, de mobiliser moins d’argent à l’achat du fait d’une batterie de moindre capacité énergétique, de diminuer l’impact environnemental à la construction des VE, tout en rendant plus sûrs les déplacements à longues distances, le développement d’un réseau libre-service de prolongateurs d’autonomie partagés est une très bonne idée.

Pour EP-Tender, c’est cependant une course contre la montre, dans la mesure où les automobilistes, les constructeurs et même les pouvoirs publics commencent à se lasser des difficultés de voyager loin en véhicule électrique à cause d’un maillage insuffisamment efficace en bornes de recharge. Une situation qui tend à rendre impératif l’embarquement de batteries à nombre élevé de kilowattheures.

Dans quelques années, qui pourra encore être intéressé par cette solution pourtant novatrice et écoresponsable ? La part congrue des électromobiliens roulant avec des citadine et/ou des modèles déjà un peu ancien ?

Pour que la formule imaginée par notre interviewé fonctionne de manière pérenne, il faudrait que plusieurs constructeurs s’appuient dessus et proposent massivement des VE low cost équipés de packs réduits. Un scénario qui n’est pas exclu si nombre d’automobilistes se portent sur de tels modèles ou que l’Etat réduit rapidement de façon importante les aides à l’achat.

En attendant, et pour éviter une issue coup de poker, diversifier l’usage de l’EP-Tender est une nécessité. Jean-Baptiste Segard l’a bien compris. L’exploitation d’une réserve d’énergie sur remorque peut intéresser nombre de professionnels organisateurs d’événements, des travaux publics ou des marchands ambulants (marché, vide-greniers, fêtes diverses). Et la liste est très loin d’être exhaustive.