Charge à destination

Et si les meilleurs promoteurs de la voiture électrique n’étaient pas des professionnels du secteur ?

En des temps que les moins de vingt ans (et même moins de quarante ans) n’ont pas connus, proposer le téléphone dans les chambres était un argument commercial de poids pour les hôteliers. Puis la télé, puis la télé couleur, puis Canal Plus. Puis le WiFi.

Le tout généralement accompagné d’une tarification « adaptée » comme seules certaines professions savent vous les concocter, qui nécessitait de se séparer d’un rein ou d’un œil pour accéder à certaines de ces options « de confort ». Qui n’a pas connu la connexion WiFi à près de 20 euros pour une nuit me jette la première pierre. Le pire étant que plus l’établissement comptait d’étoiles, et plus ces options étaient coûteuses, alors que cela aurait dû être exactement l’inverse, nous sommes bien d’accord.

Et puis une nouvelle génération d’hôteliers est arrivée, bousculant un peu le marché en incluant tous ces services dans le prix de la chambre sans pour autant augmenter celui-ci de façon importante. Une génération qui a vite compris que faire payer pour accéder à internet alors que tout le monde est équipé d’un smartphone haut débit avec partage de connexion était devenu sans objet, voire contre-productif.

L’histoire ne se répétant pas, mais bégayant souvent, j’ai comme l’impression que tout est prêt pour que le scénario se reproduise avec les dispositifs de recharge de véhicules électriques dans les lieux accueillant du public, hôtels et autres.

Car proposer des bornes de recharge à destination (c’est le terme consacré) pourrait bien devenir pour un hôtel un argument commercial massue, aussi important, voire plus, que l’était de proposer Canal Plus décrypté dans les années 80/90 (oui, certains hôtels proposent encore Canal Plus en option pay-per-view mais ce n’est plus un argument commercial). Même si nous sommes d’accord pour dire que la taille du marché n’est pas encore la même, c’est probablement le moment pour les directions de ces établissements de franchir le pas et de préparer le terrain pour un afflux à venir.

Les hôtels en première ligne, mais pas seulement

Vous me pardonnerez, j’espère, d’évoquer mon cas personnel, mais si je le fais c’est que je pense qu’il est probablement représentatif de ce que sont les usages de l’électromobilité en 2021. À savoir, quand nous réservons un lieu de villégiature, et que nous nous y rendons en voiture, la possibilité de recharge sur place fait désormais partie des critères discriminants (avec une bonne connexion internet justement, 4G, ou, à défaut, WiFi). Car si c’est une chose d’utiliser le planificateur d’itinéraire et de charge intégré dans sa voiture afin de gérer ses recharges durant le trajet, c’en est une autre de disposer de quoi recharger une fois arrivé à destination, afin de pouvoir rayonner dans la région. Votre planificateur ne vous sera d’aucune utilité dans ce cas précis, puisqu’il ne sait pas ce que vous avez prévu comme excursions une fois sur place, et vous, peut-être pas non plus. Si vous arrivez avec 50 km d’autonomie restante, mais que le premier chargeur est à 80 km, vous voyez le problème.

Si le marché des recharges à destination concerne principalement les hôtels, d’autres lieux de séjour, voire seulement de passage, font aussi partie de l’équation. Sans vouloir les lister de façon exhaustive, cela peut être tous les lieux où l’on a l’occasion ou la nécessité de s’arrêter pendant une durée correspondant à une recharge significative, soit entre une et trois heures. Ce qui fait un peu de monde, du parking de supermarché à l’outlet center, la salle de sport, le golf ou le stade de foot. Sans oublier les restaurants, et bien sûr les campings, qui semblent accélérer leurs équipements de recharge depuis environ deux ans.

Dans les lieux de séjour long, pas besoin d’une installation spécifique avec wallbox et chargeur 22 kW. Généralement, une bonne rangée de prises domestiques 230 V peut faire l’affaire, l’idée étant de charger pendant la nuit afin de récupérer environ 200 km d’autonomie, de quoi se balader et visiter la journée, d’autant qu’on arrive rarement avec 0 % de batterie.

Pour les autres lieux de passage (restaurants, cinémas), mieux vaut prévoir au moins du 22 kW, histoire de pouvoir récupérer environ 200 km le temps d’un repas un peu prolongé.

C’est ce que proposent Tesla et Porsche, les seuls pour le moment sur ce segment, mais il est probable que d’autres constructeurs y viennent dans un futur assez proche. Si Tesla a été pionnier dans ce domaine, Porsche a fortement accéléré le développement de ses recharges à destination, et propose aujourd’hui 200 points de charge accessibles à travers 100 destinations en France. Chaque constructeur propose sa page candidature dédiée aux propriétaires d’établissements intéressés : Tesla et Porsche.

S’équiper… et le faire savoir

Encore faut-il que les professionnels concernés, une fois qu’ils ont investi dans une offre de recharge à destination, pensent à en faire la promotion, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Lors de deux récents périples, en Italie (lac de Garde) et dans le Lubéron, nous avons séjourné dans des établissements disposant de recharges à destination qui n’étaient pas indiquées sur leur site web, ni sur aucun guide, ni même sur Chargemap. Il avait fallu les contacter préalablement pour leur demander si c’était le cas. C’est à mon humble avis une omission qui peut finir par coûter cher, car les voyageurs seront de plus en plus en demande, et feront leur sélection sur Booking et autres en fonction de la petite icône indiquant une borne de recharge.

A contrario, certains dirigeants l’ont très bien compris, et constatent déjà les effets positifs d’une offre de charge à destination bien mise en avant. Cet hôtelier breton indique par exemple que l’installation de trois bornes Tesla lui a fait gagner 100 nuitées sur une année, de quoi largement amortir l’investissement (souvent partagé avec Tesla). Quant à cet autre hôtelier, il a vu grand en autorisant la marque américaine à installer une station Superchargeur comprenant 16 stèles sur son parking, avec une possibilité d’extension à… 40 bornes ! On pourrait multiplier les exemples, et pas seulement avec Tesla, et avec des bornes compatibles avec de nombreuses marques, bien sûr.

Pour les hôteliers et responsables de lieux de séjour, c’est donc un pari sur l’avenir qui est en train de se transformer en opportunité du présent, voire de l’urgence : s’il est peut-être encore un peu tôt pour espérer en retirer une rentabilité à très court terme, l’argument marketing est solide, et cela permet aussi d’attirer de nouveaux clients, qui même s’ils ne séjournent pas dans l’établissement, l’auront intégré quelque part dans leur mémoire (et celle de la voiture) pour un prochain voyage.

Reste justement la question de la tarification, sachant que le coût de l’installation d’une borne dépend de nombreux facteurs, comme la puissance désirée, l’intégration d’un logiciel de facturation, du pilotage de la borne par une app, et de la distance des bornes par rapport au tableau électrique. Selon le cas de figure, il faudra compter entre 1 500 et 3 000 euros par borne dans le meilleur des cas. Ensuite, toutes les configurations tarifaires sont possibles, du tout gratuit au payant à la recharge, en passant par la gratuité pour les longs séjours et au paiement pour les voyageurs de passage. Comme pour Canal Plus ou le WiFi, c’est une question de contexte et de calculs de la part de l’hôtelier. Certains préféreront assurer une rentabilité immédiate, alors que d’autres compteront sur l’image de marque et le fait d’attirer davantage de clients en proposant une recharge gratuite, et accessoirement récolter 5 étoiles sur Google et autres guides.

Installer des bornes de recharge c’est donc beaucoup plus qu’offrir un service sur un marché en expansion, c’est aussi soigner son image et créer un lien privilégié avec les clients.

Une arme d’attraction massive, et de fidélisation.

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