C’est une première dans l’histoire de l’or noir : ce lundi, le cours du pétrole WTI[1] (la référence aux USA) a été négatif, plongeant jusqu’à -37 dollars le baril. Une chute vertigineuse de plus de 300 %, alors qu’il s’échangeait à plus de 14 $ US en début de journée. Au Canada aussi, le WCS[2] était dans le rouge dimanche soir. Comment expliquer cet effondrement et quelles pourraient être les conséquences à terme ?
Un prix négatif signifie concrètement que les investisseurs sont prêts à payer les acheteurs pour pouvoir leur fournir du pétrole. Précisons d’abord que ce prix concernait les livraisons prévues en mai aux USA et au Canada. Le baril de Brent, c’est-à-dire le pétrole de la mer du Nord coté à Londres, a mieux résisté, même s’il a tout de même perdu 6 % en un jour, terminant ce lundi soir à 20 dollars. Quant au WTI pour livraison en juin, il était aussi moins touché, cédant quand même près de 16 % à environ 21 $ le baril.
Pour comprendre cette situation, il faut savoir que le WTI est un contrat physique : si vous êtes propriétaire de brut à la date d’expiration, vous devez en prendre livraison. Or les contrats pour fourniture en mai se clôturaient ce mardi … et de nombreux investisseurs n’ont pas trouvé d’acheteurs du fait de l’effondrement de la demande, frappée de plein fouet par la pandémie de Covid-19. Selon les premières estimations, la consommation de pétrole dans le monde a chuté de 20 millions de barils par jour (mb/j) depuis le début de la crise ou même, d’après les analystes les plus pessimistes, de 30 mb/j. Dont près de 5 millions de barils pour les seuls États-Unis. Avant la pandémie, la production mondiale tournait autour des 100 mb/j.
En temps normal le brut qui ne trouve pas preneur est stocké. Mais aux Etats-Unis les capacités de stockage débordent, la guerre des prix que se sont lancés l’Arabie et la Russie début mars ayant inondé le marché de pétrole à bas prix.
Conséquence de tout cela : le marché regorge d’or noir et ne sait plus quoi en faire. N’importe quel oléoduc ou pétrolier est utilisé comme stockage. Les prix de location des navires ont d’ailleurs flambé. Et les infrastructures sont tellement saturées que certains producteurs sont prêts à payer pour être débarrassé de leurs barils.
Après des semaines de discussion, les pays producteurs, membres du cartel constitué par l’OPEP et la Russie, ont finalement conclu mi-avril un accord « historique » visant à réduire leur production de près de 10 millions de barils par jour, soit un dixième de l’approvisionnement mondial.
Bien qu’il s’agisse de la plus importante réduction de production jamais mise en œuvre par le cartel et ses partenaires, de nombreux observateurs s’accordent pour estimer qu’elle ne sera pas suffisante pour compenser l’écroulement de la consommation engendrée par la crise sanitaire.
Cet épisode de prix négatifs sera sans doute temporaire, mais comme nous nous en rendons compte chaque jour de plus en plus, la crise sanitaire est loin d’être terminée. On peut même raisonnablement s’attendre à ce que la relance de l’économie mondiale se fasse encore attendre pendant de nombreux mois, si pas plus d’un an. En conclusion, la période de déprime pour les producteurs de pétrole n’est pas près de se terminer.
Des pans entiers de l’industrie du pétrole sont à genoux
Les défenseurs de la planète, de l’environnement et des « automobiles propres » rêvaient depuis longtemps d’un monde dans lequel le pétrole ne vaudrait plus rien parce que plus personne n’en voudrait. Mais alors que leur combat, les quotas d’émissions et les réglementations imposant des réductions de consommation n’avaient jusqu’ici pas réussi à infléchir l’augmentation régulière de la production mondiale d’hydrocarbures, le coronavirus est parvenu, en quelques semaines, à mettre à genoux des pans entiers de l’industrie pétrolière.
Car, pour de nombreux acteurs, cette situation, même si elle est temporaire, est synonyme de catastrophe financière, en particulier pour les producteurs de pétrole de schiste aux Etats-Unis. Ce secteur, comme d’ailleurs celui des sables bitumineux au Canada, est en effet caractérisé par des coûts de production élevés. Si les prix de vente restent durablement inférieurs à leurs coûts, ces industriels, déjà lourdement endettés pour la plupart, risquent tout simplement la banqueroute. Une trentaine d’entre eux ont d’ailleurs déjà mis la clé sous le paillasson au cours des derniers mois. Ce 1er avril, Whiting Petroleum Corp, l’un des plus grands producteurs de pétrole de schiste dans le bassin du Dakota du Nord a fait aveu de faillite. Aux USA, le nombre de puits de forage a chuté de 66 unités la semaine dernière, la plus forte baisse hebdomadaire depuis 2015.
Autre conséquence classique dans les périodes de prix déprimés : les compagnies, y compris les plus grandes, réduisent leurs coûts d’exploration, ce qui entraîne des conséquences en cascade dans les entreprises de service pétrolier. Ainsi, Halliburton, géant américain du secteur, a enregistré une perte nette de 1 milliard de dollars au premier trimestre. Prévoyant des perspectives sombres au moins jusqu’à la fin de l’année, son patron annonce une réduction drastique des dépenses.
Parmi les autres répercutions de cette crise auxquelles on peut s’attendre, il est probable que les institutions bancaires hésitent de plus en plus à financer un secteur caractérisé de manière récurrente par des prix volatils, une situation économique instable et où de nombreux petits acteurs se trouvent au bord du gouffre.
Aux Etats-Unis, comme au Canada, les dirigeants, Donald Trump et Justin Trudeau en tête, ont déjà annoncé leur volonté de soutenir leur secteur pétrolier en péril. Le premier ministre canadien a notamment promis une aide de 1,7 milliards pour les exploitants de sables bitumineux dans l’Alberta. Faut-il le féliciter ?
[1] WTI : West Texas Intermediate
[2] WCS : Western Canadian Select
Certains pourraient se réjouir de ces prix bas ou, au contraire, craindre qu’à terme ils ne provoquent un nouvel essor des énergies fossiles, un abandon des objectifs de transition énergétique et mettent à mal l’envol de la mobilité électrique. Il ne faudrait pourtant pas oublier que les réductions dans les dépenses d’exploration ont chaque fois, par le passé, provoqué au final une baisse des découvertes de nouveaux gisements. Et puis, quelque temps plus tard, les ressources plus anciennes s’épuisant, on assiste à un nouveau déséquilibre entre l’offre et la demande et une flambée des prix. Depuis le premier choc pétrolier en 1973, la courbe des prix du pétrole a toujours eu l’allure des montagnes russes. L’effondrement actuel du marché pétrolier est donc une preuve supplémentaire que le pétrole, et les combustibles fossiles en général, sont des matières premières trop volatiles pour alimenter une économie saine et durable.
Les efforts pour enrayer les effets de la crise sanitaire et protéger la population ne devraient pas nous détourner des objectifs de transition énergétique, à un moment où des décisions courageuses doivent être prises dans ce domaine aussi. Car à plus long terme les conséquences des changements climatiques seront encore plus catastrophiques que celles que nous constatons aujourd’hui avec cette épidémie mondiale.
Comme pour la lutte contre le virus, nous devons éviter à tout prix d’attendre qu’il soit trop tard pour prendre des mesures fortes et accélérer la transition énergétique.
Cette crise est inédite. Plus rien ne sera « comme avant ». Elle laissera des traces indélébiles, a déjà causé et causera encore beaucoup de malheurs. Mais ce serait une erreur fatale de ne pas en tirer les leçons et de ne pas en profiter pour changer de cap et prendre une autre direction dans nos politiques, nos comportements et nos habitudes de consommation. Ne serait-il pas temps de reconnaître que, dorénavant, le meilleur et le moins cher des endroits pour stocker le pétrole c’est de le laisser dans le sous-sol ?
Quand le cours d’un produit devient négatif en bourse, il passe de ressource à déchet (c’est ainsi que l’on caractérise un déchet, une matière pour laquelle on doit payer pour en être débarrassé). Nous connaissons aussi cela dans les cours de l’électricité selon les plages horaires.
« les énergies fossiles sont trop volatiles pour alimenter une économie saine et durable »
Le lithium n’est pas durable non plus…
Quelques explications et remarques complémentaires :
1) un puits de pétrole / gaz de schiste ne peut pas être arrêté une fois qu’il produit fracturation hydraulique oblige , si on le bétonne, pour le stopper, le puits est mort Donc les USA vont être submergé de pétrole à gaz à ne pas savoir quoi en faire durant des semaines ce qui explique le prix négatif => il faut que les barils soient emmenés impérativement par l’acheteur (qui loue des pétrolier ou autres pour le stocker, il DOIT en prendre livraison physiquement )
2) les prix bas font que tout prospection de pétrole conventionnel est à 0 (c’était déjà bas alors maintenant c le 0 absolu) – les investissements dans le conventionnel et dans le non conventionnel extrême (off shore profond) vont encore diminuer
3) 30 compagnies pétrolières Pétrole / gaz de roche mère dont la plus grande sont en faillite avec les dettes bancaires renvoyées aux banques sans un $ pour elles (je fais simple) la conséquence : aucune banque à l’avenir ne voudra miser à ses risques et périls pour que les USA de Trump soient autonome en énergie fossile – 50% à la rigueur, çà protègerait ainsi leurs investissements, mais autant que dans le passé, certes non => les USA vont devoir à court terme importer 5 à 6 millions de barils / jour
toutes ces raisons vont pousser les prix du baril à la hausse , forte hausse, dans les 12 mois post crise Covid
pour nombre de pays, de banque et autres investisseurs, pousser l’électrification aux dépens du pétrole pourrait de venir une priorité
Je sais qu’il y a la TIPP en France, mais le prix à la pompe ne devrait pas être beaucoup beaucoup plus bas qu’actuellement, vu le prix du baril ?
Je lis quelques médias qui claironnent que la chute du prix du pétrole est une mauvaise nouvelle pour l’électrique. Je pense qu’ils vont déchanter car c’est sans appel dans les grandes villes où les Nox et autres cochonneries ont baissées de plus de 50%.
Le gouvernement va lancer’un plan de relance dans l’automobile mais uniquement sur les énergies les moins polluantes ( je n’ai pas dis les plus propres….), électrique et hydrogène
Ce virus aura eu le mérite de montrer l’impact de l’automobile dans les grandes villes de manière réelle et on virtuelle ou calculée.. Car sorti du CO2, on oublie un peu vite que les vrais polluants ne sont pas émis pas ces véhicules et que c’est ça qui provoque les cancers.
Bravo, très bel article !
Je suis d’accord avec Ratounet37, mais peut-être un peu plus optimiste. Il faudra en effet se méfier de nos dirigeants qui, à l’image de Donald Trump et Justin Trudeau, auront une tendance naturelle à réinjecter de l’argent dans les industries de l’énergie fossile, certes incontournables pendant encore quelques temps.N’oublions pas que les dirigeants raisonnent principalement à courte échéance, celle de leur réélection.
Ce sera encore l’argent qui pilotera en grande partie nos destinées. Nous avons là nous aussi un pouvoir d’action, je parle de nous les consommateurs : celui d’orienter la production par notre demande, en orientant nos achats de façon cohérente et conforme à nos attentes et nos croyances.
Merci pour cette article.
Petite remarque, penser que les prix bas du pétrole encouragent la demande, c’est prendre les choses à l’envers : les prix sont bas justement parce que la demande s’est écroulée. Les prix bas ont plutôt, comme vous l’avez dit, une influence sur les investissements et donc l’offre future.
Autre remarque, vous dites que les énergies fossiles sont trop volatiles pour alimenter une économie saine et durable. Mais c’est oublier un peu vite que le marché de l’électricité en Europe connaît le même phénomène que le pétrole aux États-Unis, avec un prix de l’électricité qui a atteint -80€/MWh par moments en Allemagne (contre 42€/MWh pour le tarif Arenh d’EDF), du fait d’une très faible demande et d’une forte production d’énergies renouvelables, et de capacités de stockage très limitées. Mais on est d’accord sur la conclusion, pour d’autres raisons, les énergies fossiles ne peuvent pas alimenter une économie saine et durable.
Je profite de cet article de Mr Deboyser pour le remercier pour ses interventions de qualité ( que je suis avec intérêt et plaisir sur le site Révolution Énergétique ).
Malheureusement , une fois la crise terminée, tout redeviendra comme avant.
L’économie mondiale repose sur le pétrole, tout sera fait pour repartir de plus belle, les pays producteurs seront largement soutenus par leurs dirigeants.
Présidents, dictateurs, spéculateurs, producteurs n’ont qu’un intérêt commun, l’argent de cet or noir.
Il y a du coup beaucoup moins de pollution, la terre respire de nouveau, hélas ce n’est qu’un répit.
Mais j’espère me tromper, et avoir tort sur toute la ligne.
Macron vient de donner 20 milliards aux multinationales sans demander une seule contre partie environnementale (Mauvais signal). Le pays s’endette.
L’environnement risque de prendre une bonne claque si le pays se retrouve à l’arrêt bloqué par sa dette à rembourser et une économie en panne. Chomâge en hausse + consommation en baisse.
Donc sans changement du dogme de la croissance infinie et de la consommation à outrance, on va surement taper dans le mur encore plus fort.