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Censé protéger les consommateurs européens, le Digital Markets Act doit-il s’étendre à l’industrie automobile ?
Vous en avez sûrement entendu parler, a fortiori si vous utilisez les services des grandes plateformes numériques ou un iPhone, le règlement sur les marchés numériques, connu sous le nom de Digital Markets Act (DMA), a pris effet le 6 mars 2024 dans l’ensemble de l’Union européenne. Le but de ce dispositif, censé protéger les consommateurs et internautes européens et de favoriser la concurrence, impose aux grandes entreprises technologiques de nouvelles règles, comprenant des obligations et des interdictions spécifiques.
Deux exemples concrets de l’application du DMA, qui sont malheureusement les conséquences les plus visibles – et les plus controversées, voire détestées par les utilisateurs – sont la disparition du lien direct avec Google Maps dans les résultats de recherche Google, et d’autre part l’absence d’Apple Intelligence dans les nouveaux iPhone européens, alors que la fonctionnalité est désormais installée nativement dans iOS 18 pour le reste du monde.
Alors que le DMA cible exclusivement les six plus grandes entreprises mondiales de la tech, à savoir Alphabet (Google et ses dépendances), Amazon, Apple, ByteDance (TikTok), Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp, Messenger) et Microsoft (Windows et LinkedIn), selon des critères parfois quelque peu ubuesques, l’on peut s’interroger sur le fait qu’aucun dispositif équivalent n’ait été envisagé à l’encontre des géants de l’automobile.
Les véhicules modernes, et particulièrement les voitures électriques, sont devenus de véritables ordinateurs sur roues. Équipés de dizaines de capteurs, de caméras et de systèmes de géolocalisation, ils collectent en permanence des données sur nos déplacements, nos habitudes de conduite et même nos préférences personnelles.
Conséquence, après votre téléphone et votre ordinateur, s’il est un engin qui connait beaucoup de choses sur vous et vous en impose aussi autant, au risque de vous enfermer dans un écosystème, c’est bien l’automobile. Et cela ne va pas aller en s’arrangeant. Or, il semblerait que cela ne préoccupe pas grand monde pour le moment. D’ailleurs, en démarrant votre voiture, avez-vous déjà eu à cocher les cases d’approbation de l’utilisation qui sera faite de vos données – notamment au titre du RGPD – comme vous le faites pour n’importe quel service en ligne ou application ? Oui, cela arrive de temps en temps avec certaines marques ou certains modèles, mais il me semble que cela reste encore assez exceptionnel.
Votre voiture vous connait donc très bien, a fortiori avec la caméra intérieure qui est censée désormais surveiller votre état de vigilance, et qui peut donc aisément être utilisée à d’autres fins moins avouables, notamment en cas de piratage – mais c’est un autre sujet. D’autre part, les dispositifs d’aide à la conduite sont désormais capables de vous « punir » (coucou Tesla) si vous n’adoptez pas le comportement adéquat, ce qui signifie que ce genre de sanction peut aussi s’appliquer à d’autres aspects de votre conduite, et être transmis à des tiers dans certains cas particuliers.
Impossible de dresser un inventaire de tout ce que votre voiture sait sur vous tant les capteurs sont pléthore dans une auto récente, mais si l’on veut se livrer à un petit condensé, sachez que votre voiture connait vos goûts musicaux, vos opinions politiques (en s’appuyant sur les podcasts et les radios que vous écoutez), vos horaires de travail, votre adresse personnelle et professionnelle, votre acuité auditive, votre style de conduite, tous vos déplacements et les jours et heures correspondants, vos lieux de vacances, le nombre de personnes que vous transportez, et des dizaines d’autres aspects de votre vie privée. Il est également probable qu’elle soit capable de vous écouter, puisque la plupart des voitures récentes sont équipées de reconnaissance vocale, donc de micros. Et je parle pas de certains modèles dotés de capteurs de température corporelle censés réguler automatiquement le système de climatisation, et des projets de senseurs surveillant votre rythme cardiaque… Tout cela pour votre bien, évidemment.
Alors bien sûr, votre smartphone ou même votre montre connectée vous connaissent déjà très bien, mais vous savez qu’ils savent, et vous pouvez toujours paramétrer finement vos réglages de confidentialité. Avec une voiture c’est plus compliqué, voire impossible dans certains cas. De fait, cette collecte de données, bien que souvent justifiée par des impératifs de sécurité et de confort, soulève des questions cruciales en matière de protection de la vie privée et de concurrence loyale.
Même si l’on n’est pas très fan de ce type de dispositif pouvant être jugé parfois abusif pour certains défenseurs des libertés individuelles, l’on peut quand même se demander si le DMA, ou une déclinaison « light » adaptée au contexte, ne devrait pas être adapté au monde de l’automobile.
C’est d’abord une question de volume et de sensibilité des données. Les données collectées par les voitures sont tout aussi volumineuses et sensibles que celles recueillies par les plateformes numériques. Elles peuvent révéler nos lieux de travail, nos habitudes de vie, voire nos états de santé. Ensuite, on parle de monopole de l’information, car les constructeurs automobiles disposent d’un accès exclusif à ces données, ce qui crée potentiellement des barrières à l’entrée pour de nouveaux acteurs dans des domaines tels que l’assurance, la maintenance prédictive ou les services de mobilité. Ensuite, l’interopérabilité est limitée, puisque, à l’instar des écosystèmes fermés des géants du numérique, les systèmes embarqués des voitures sont souvent propriétaires, limitant ainsi les choix des consommateurs, ce qui pourrait freiner l’innovation. Enfin, il est bien question d’influence sur le comportement des consommateurs, car les systèmes de navigation et les assistants vocaux intégrés peuvent influencer nos décisions de la même manière que les algorithmes des réseaux sociaux.
Ne croyez pas que j’appelle une nouvelle réglementation de mes vœux car je pense que nous sommes un certain nombre à très bien nous en passer. On est juste en droit de s’interroger sur la cohérence de certains dispositifs, et leur application à géométrie variable.
Cela étant, même pour les plus zélés des régulateurs de l’Union Européenne, du genre de ceux qui sont atteints de réglementite aigüe à défaut de s’occuper d’autre chose, étendre le DMA à l’industrie automobile ne serait pas sans défis. Tout d’abord en raison des spécificités du secteur. En effet, l’industrie automobile étant déjà fortement réglementée en matière de sécurité et d’environnement, ajouter une couche de régulation numérique nécessiterait une approche soigneusement calibrée. D’autre part, la diversité des systèmes embarqués et des protocoles de communication rendrait probablement l’imposition de standards d’interopérabilité plus complexe que dans le domaine des plateformes web, qui fonctionnent à peu près toutes sous les mêmes standards.
Toujours est-il que quand on voit la diligence et la facilité avec laquelle l’UE a imposé une taxe massive sur l’importation de voitures chinoises, on se dit que rien n’est impossible, même sans Thierry Breton. Reste à savoir si c’est souhaitable.
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