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Accord avec Renault : quand Ford change d’avis sur le partage d'une petite voiture électrique

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Illustration Gemini

L’annonce inattendue du partenariat entre Renault et Ford est un tournant pour la marque américaine en Europe.

« Partenariat stratégique majeur ». C’est ainsi que Renault et Ford présentent l’accord de collaboration, annoncé mardi matin, visant à la fabrication de deux petits modèles à l’Ovale bleu par le Losange dans le nord de la France.

Le premier produit sera très probablement une réinterprétation de la Ford Fiesta, avec comme point de départ la plateforme AmpR Small de l’actuelle Renault 5. Le lancement du premier modèle de l’accord est annoncé pour « début 2028 ». Elle devrait se distinguer davantage de la R5 que les récentes Alpine A290 et Nissan Micra, également produites à Douai (Nord).

Toujours bien informé, le magazine britannique Autocar précise : « Le deuxième véhicule électrique Ford basé sur la plateforme AmpR devrait être un petit crossover électrique dérivé de la Renault 4, qui pourrait remplacer le Puma Gen-E, mais aucun calendrier ni détail précis concernant ce véhicule n’ont encore été communiqués ». Voilà qui aiderait le site Renault de Maubeuge (Nord).

« Conçus par Ford et développés avec Renault Group, les deux véhicules offriront des prestations routières uniques, l’ADN authentique de la marque Ford ainsi qu’une expérience utilisateur intuitive », précise le document qui cite François Provost, nouveau PDG de Renault et Jim Farley, le patron de Ford. Les deux parties ont par ailleurs signé une lettre d’intention à propos de la fabrication commune d’utilitaires en Europe.

Revirement

Voilà qui contraste avec des propos tenus devant nous il y a moins de deux ans par Jim Farley, le grand patron de Ford. Pour mieux comprendre, évoquons le contexte du début de l’année 2024. À l’époque, Luca de Meo était aux commandes à Billancourt. L’homme d’affaires italien avait proposé la constitution d’un « Airbus » du petit véhicule électrique européen.

Il s’agissait de partager pièces, coûts, investissements et chaînes d’approvisionnement. L’idée étant de fabriquer de petits véhicules peu coûteux pour résister à la concurrence chinoise. Nous avions alors demandé à Jim Farley, homme fort à Dearborn, ce qu’il pensait de la main tendue de Renault. Voici ce qu’il nous avait dit : « Ford a toujours été ouvert. Mais je pense que cette proposition est plus complexe qu’elle n’en a l’air, en raison de l’architecture électronique liée aux plateformes. Si vous pariez sur l’expérience numérique comme facteur différenciant, vous ne pouvez pas utiliser l’architecture de quelqu’un d’autre, cela devient trop compliqué ».

Le partage de plateforme complexifiait notamment la question centrale, à ses yeux, du logiciel. La marque s’est solidement engagée sur cette voie en recrutant entre autres Doug Field, un ex d’Apple et Tesla. Jim Farley poursuivait son raisonnement : « Si j’utilise une plateforme pour un VE en Europe, puis une autre en Chine, puis encore une autre pour Ford en Amérique du Nord, je dois avoir cinq évolutions différentes de mon logiciel. L’idée que nous pouvons arriver avec un partage des sièges, des freins, ou de la direction peut sembler séduisante. Mais si la marque est sérieuse sur la différenciation par le numérique, c’est presque impossible de gérer un tel niveau de complexité. »

À propos de Jim Farley

  • Nom complet : James D. Farley Jr.
  • Naissance : le 10 juin 1962 à Buenos Aires (Argentine)
  • Nationalité : américaine
  • 15 ans chez Toyota/Lexus (notamment vice-président)
  • Entré chez Ford en 2007
  • Directeur des opérations puis responsable des marchés internationaux
  • À la tête de la Ford Motor Company depuis le 1ᵉʳ octobre 2020

« Or, pour nous, c’est un élément clé. Nous avons 500 000 abonnés à nos logiciels de gestion B2B aujourd’hui. Sur ces questions, nous pouvons être meilleurs que les fournisseurs tiers, car nous pouvons gérer l’accès au véhicule le week-end ou la vitesse maximale autorisée au volant. Il y aura des travaux en commun comme nous l’avons fait avec Volkswagen sur la plateforme MEB (pour l’Explorer et la Capri, ndlr.). Mais dans le futur, le partage de plateforme sera plus dur et non plus facile ».

Renault, VW et les trous dans la raquette

Plus dur peut-être, mais visiblement nécessaire. Lors de la même table ronde, le patron de Ford avait justifié l’arrêt de la production des Fiesta et Focus, best sellers de la marque des années 2000 et 2010 : « Fiesta, Focus ou Mondeo était appréciées par de nombreux consommateurs, nous avons évidemment mis beaucoup d’efforts pour les réaliser, mais d’un point de vue purement comptable, elles ne pouvaient pas justifier de nouveaux investissements ».

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Devenue Puma-dépendante, la branche européenne de Ford devait tout de même urgemment trouver une solution pour ses entrées de gamme. D’abord pour reprendre des parts de marché : la marque est passée sous la barre des 3 % en Europe sur les dix premiers mois de l’année 2025. Elle « trustait » près de 12 % des immatriculations sur notre continent en 1995.

Ensuite pour maintenir son réseau et aider la branche utilitaire, qui est aujourd’hui un atout de la marque américaine. Cette année, s’ils se montrent encore plutôt satisfaits, les concessionnaires Ford ont attribué moins de la moyenne à leur marque concernant « l’attractivité et le dynamisme de la gamme » dans l’enquête Côte d’amour des constructeurs. L’arrivée attendue d’un Bronco PHEV assemblé en Espagne à partir de 2027 devait être complétée par une gamme plus vaste.

Le premier réflexe était sans doute de faire appel à Volkswagen. Rappelons ici que les Explorer et Capri sont réalisées dans son usine historique allemande avec les pièces du kit MEB des Volkswagen ID.3 et autres Audi Q4 e-tron. La marque lancera bientôt sa plateforme MEB+ destinée aux petites voitures électriques.

À la veille de l’annonce de ce 9 décembre, Jim Farley a écarté cette hypothèse dans un échange avec la presse où figurait Les Echos : « Nous connaissons très bien Volkswagen, sa supply chain et ses coûts. Nous avons fait une analyse très poussée, et c’est Renault qui est sorti en tête, pour de nombreuses raisons, dont le prix ».

La solution « clé en main » de Renault avec mise à disposition d’un outil de production et d’une chaîne de sous-traitants déjà en place a sans doute été un facteur clé. Et tant pis pour l’expérience logicielle maison, qu’il faudra certainement adapter au hardware Renault. Mais la tentation de regagner des parts de marché à un prix convenable était forte. Et ce n’est pas à Ford, inventeur de la chaîne de production automobile, que l’on apprend que le volume, c’est important…

Dès mars 2025

CNN explique que : « ce partenariat a été formé après la visite d’une équipe Renault au siège social de Ford à Detroit en mars ». En ce temps-là, Luca de Meo était encore chez Renault et François Provost était son interlocuteur partenariat. L’actuel monsieur « stratégie » du Losange, Josep Maria Recasens, était alors patron d’Ampère, la branche VE de Renault. Sur Linkedin, ce dernier a notamment salué : « Un merci tout particulier à mon collègue Marin Gjaja de Ford Motor Company, qui a été un fervent défenseur de ce projet dès le premier jour. Sa conviction et son dynamisme ont été déterminants dès le début ». Est-ce lui qui a convaincu Jim Farley ?

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