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Le championnat du monde d’endurance (WEC) et les 24 Heures du Mans entendent servir de laboratoire pour la voiture à hydrogène. Les défis sont nombreux.
Pendant que ses semblables courent sur le circuit, on peut la découvrir sous une bulle transparente, au milieu du public. La Toyota GR LH2 Racing Concept, dévoilée ce mercredi en marge des 24 Heures du Mans, illustre l’avenir des sports mécaniques. Cet engin au look très proche des Hypercars, la classe reine dans l’endurance d’aujourd’hui, fonctionne avec un moteur thermique alimenté par de l’hydrogène. La voiture devrait faire ses premiers tours de roue en piste d’ici à quelques mois.
« C’est un premier pas, nous précise Kazuki Nakajima, triple vainqueur de l’épreuve sarthoise au volant et désormais vice-président de Toyota Gazoo Racing Europe. Pour arriver à un niveau de performances satisfaisant, nous devons encore améliorer la technologie. Nous devons encore en apprendre beaucoup sur les pompes et sur les infrastructures. Cette voiture doit démontrer que ça marche. »
La grande classique de l’endurance s’enorgueillit depuis sa création en 1923 d’être un laboratoire de l’innovation automobile. Freins à disques, turbocompresseurs, feux antibrouillard ou à LED, mais aussi revêtements asphaltés modernes ont été éprouvés et approuvés dans la Sarthe avant de se généraliser. La voiture à hydrogène sera-t-elle la prochaine frontière ?
L’Automobile Club de l’Ouest (ACO), organisateur de la classique, s’est arrimé à la filière H2 depuis près d’une décennie. Ce choix peut surprendre quand l’industrie produit dorénavant des millions de véhicules électriques à batterie. Les raisons sont évidentes : à ce jour, le format « endurance » s’accommode mal du véhicule électrique, tant pour la télévision que pour les spectateurs.
« On a eu un projet garage 56 (pour véhicule expérimental, ndlr) d’un très grand constructeur, nous explique Bernard Niclot, chargé du développement de l’hydrogène auprès de l’ACO. C’est le seul projet crédible que j’ai vu à ce jour. Mais, malgré tout, la voiture pouvait couvrir peut-être six tours avec un temps de recharge de 15 minutes ».
Précisons que les Hypercars actuelles rentrent aux stands pour faire le plein en une trentaine de secondes tous les 12 tours, soit tous les 160 km environ. Un ravitaillement en H2 gazeux est aujourd’hui réalisable en 90 secondes environ, contre une dizaine de minutes d’immobilisation pour une recharge rapide sur une batterie, même avec les bornes les plus performantes actuellement en service.
Les constructeurs sont aussi demandeurs. Toyota fait logiquement partie des pionniers. La marque japonaise commercialise sa Mirai depuis une décennie. En compétition, le constructeur expérimente déjà sa Corolla H2 Concept dans le championnat nippon Super Taikyu. Le projet s’accompagne de travaux sur des réservoirs de forme ovale et sur la fiabilité des pompes. Et voici maintenant la GR LH2 Racing Concept…
Alpine lève aussi la main. La marque française du groupe Renault a révélé au dernier Mondial de l’automobile son concept Alpenglow HY6. « Ce n’est pas un secret que nous travaillons sur cette piste », admet Bruno Famin, directeur d’Alpine Motorsports.
À lire aussiD’autres acteurs observent. Avancé sur la pile à combustible, le groupe Hyundai-Kia entrera l’an prochain dans le championnat du monde d’endurance via sa marque premium Genesis. Et bien qu’elle n’ait pas manifesté publiquement de velléités en course, Ferrari surveille de près. En témoigne un ébaubissant brevet, anticipant une voiture dédiée au circuit équipée d’un 6-cylindres en ligne retourné (vilebrequin vers le bas) placé entre les deux réservoirs de H2. « Nous travaillons avec d’autres constructeurs et la fédération pour définir la catégorie du futur, nous confirme Ferdinando Cannizzo, père de la Ferrari 499P lauréate en 2023 et 2024. Et l’une des pistes est l’hydrogène… Et les caractéristiques d’une telle voiture sont… disons… intéressantes ».
La volonté des organisateurs rencontre donc l’intérêt des constructeurs. Mais la catégorie destinée aux véhicules H2 n’est pas encore une réalité. L’an dernier, Pierre Fillon, président de l’ACO indiquait à nos confrères d’Endurance24 : « l’hydrogène arrivera en 2028 ». Ce vendredi, il n’a pas fixé de date de lancement lors de la conférence annuelle, grand-messe de la discipline.
Une première catégorie « H2 » devait voir le jour… l’an dernier. Le chemin réglementaire fixé rappelait celui tracé par la Formule E. Il proposait ainsi des composants communs à tous les concurrents mais laissait de la liberté sur la chaîne de puissance pour les constructeurs désireux de s’engager. Le 21 janvier 2021, l’Automobile Club de l’Ouest (ACO) annonçait même une collaboration entre Red Bull Technologies et le spécialiste français Oreca pour la réalisation du châssis partagé. Les constructeurs n’ont pas saisi cette opportunité.
Le calendrier glissant de l’Automobile Club de l’Ouest et de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) s’explique largement par des revirements techniques. Car, pour animer une voiture, le dihydrogène (H2) peut être utilisé de deux manières.
La piste « historique » est celle de la pile à combustible (PAC). En procédant à une oxydoréduction, la pile génère une tension électrique. Le dispositif est donc utilisé comme un convertisseur d’énergie, alimentant une machine électrique conventionnelle. C’est cette dernière qui entraîne les roues. C’est ce schéma, venu de la conquête spatiale, qui a été retenu pour les Toyota Mirai et Hyundai Nexo, seuls modèles H2 de série présents sur nos marchés. Les premières voitures expérimentales de compétition ont d’ailleurs repris la même logique. C’est notamment le cas des trois prototypes réalisés dans le cadre de la Mission H24.
Des prototypes de course roulent déjà. Lancé en 2018 par l’Automobile Club de l’Ouest (ACO), Mission H24 est un projet collaboratif visant à développer l’usage de l’hydrogène en compétition. Il intégrait à l’origine l’initiative GreenGT. Divers partenaires sont entrés au sein du groupe, à l’image de Michelin, Bosch, Total ou Symbio.
Trois véhicules ont été conçus dans ce cadre. Le premier fut le LMPH2G (2018), le second H24 (2021). Les deux engins ont permis de travailler sur la normalisation des réservoirs gazeux et les procédures de ravitaillement. Tous deux étaient basés sur l’usage de la pile à combustible alimentant une ou plusieurs machines électriques. En 2022, H24 a participé à 4 week-ends de course en Le Mans Cup, l’une des compétitions de la pyramide de l’ACO.
Le troisième prototype, dévoilé l’an dernier, est nommé H24EVO. Il se distingue par son cockpit plaçant le pilote au centre, sa pile à combustible plus dense de 50 % et son unique machine électrique développant jusqu’à 872 chevaux transmis aux roues arrière.
Ces derniers mois, la H24EVO a changé d’option technique. Le stockage liquide se substitue aux réservoirs d’hydrogène gazeux. L’ambition avec cet engin consiste à approcher les chronos réalisés par les voitures de la catégorie LMGT3. Les premiers tours de piste sont prévus pour le printemps prochain.
Mais ces dernières années, une autre piste a émergé. Alpine et Toyota travaillent désormais sur des moteurs thermiques fonctionnant au dihydrogène. « Techniquement, il n’est pas très difficile de « rétrofiter » un bloc thermique fonctionnant à l’essence pour utiliser du H2, nous explique Loïc Combemale, ingénieur motoriste chez Oreca et auteur du 4-cylindres ayant équipé la première version de l’Alpine Alpenglow, dévoilée en 2022.
Il poursuit : « Le gros du travail porte sur les injecteurs, puisque l’on passe de l’état liquide (essence) à l’état gazeux (dihydrogène). » Un autre sujet est d’optimiser la boucle d’air. Des motoristes comme le Français Oreca ou l’Autrichien AVL sont déjà en mesure de fabriquer de tels blocs, avec des rendements (autour de 40 %) et une fiabilité proches des standards actuels.
« Mon travail est de m’assurer que nous ayons toutes les briques techniques prêtes pour le jour où la catégorie sera lancée », précise Pierre-Jean Tardy, ingénieur en chef hydrogène chez Alpine. La marque a développé en interne son propre V6 3,5 litres, entièrement pensé pour l’usage de H2, étrenné à bord de l’Alpenglow H6. Il développe 740 ch. La mise au point est assurée par le centre technique historique de Viry-Châtillon, consacré jusqu’ici aux blocs de Formule 1.
Pour les amoureux des sports mécaniques « traditionnels », ces ICE H2 (Internal Combustion Engines) ont l’avantage de produire… du son. À l’oreille, dans la tribune ou sur le muret des stands, l’utilisation de dihydrogène plutôt que du sans-plomb est imperceptible. Présentée en piste avant les 24 Heures, l’Alpine Alpenglow a fait grand bruit. Au sens propre.
De surcroît, ces moteurs n’émettent pas directement de CO2, participant donc à la décarbonation attendue des sports mécaniques. Pour les constructeurs, la solution permet aussi d’adapter des moteurs existants sans revoir fondamentalement l’intégration dans les châssis.
Mais le défi majeur est celui du stockage. Le dihydrogène possède un gros défaut : sa faible densité volumétrique d’énergie. Sur les véhicules de série (Toyota Mirai, Hyundai Nexo…) comme en compétition (projet LMPH2G), les travaux initiaux ont porté sur l’état gazeux. À bord du véhicule, on stocke l’H2 dans d’épais réservoirs, capables de supporter une pression de 700 bars. Mission H24 a ainsi aidé à définir les standards de résistance pour un usage en compétition.
Aujourd’hui, le consensus pour le sport automobile penche pour le stockage à l’état liquide, à l’image de celui utilisé pour les fusées. Avantage : une densité plus favorable. Le prototype H24EVO pourra ainsi emporter 71 kg/m³ à 1 bar contre 40 kg/m³ à 700 bars sous forme gazeuse.
Ceci permet d’envisager un relais d’une quarantaine de minutes plutôt que la petite demi-heure prévue initialement selon les chiffres fournis par Mission H24. Le ravitaillement est aussi accéléré. Les réservoirs sont également moins lourds et moins imposants, facilitant l’intégration dans une voiture de course.
Mais attention : le stockage liquide exige que le dihydrogène soit maintenu à très basse température (-253°C). Ce qui pose de nouveaux défis en termes d’isolation thermique. La température doit aussi être ramenée à un niveau plus standard pour usage dans une pile à combustible ou un bloc à combustion interne. Et les pompes souffrent du grand froid.
L’an dernier, la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) a fait connaître sa volonté de généraliser le stockage liquide en compétition. L’arrivée en course de véhicules « à hydrogène » se fera donc avec ces réservoirs. Mais ce changement de cap explique lui aussi le calendrier décalé.
Mais pour donner naissance à une catégorie 100 % H2 et passer au concret, il faut encore contourner des obstacles. « Nous sommes partants, mais il faut maintenant répondre aux questions habituelles, poursuit Bruno Famin, le patron d’Alpine Motorsport. Quand ? Quoi ? Où ? Combien ? ».
Une première brique est posée ce vendredi. À l’occasion de sa conférence de presse annuelle de l’ACO, la Fédération internationale automobile a présenté une première règle du jeu : elle concerne la sécurité des réservoirs d’hydrogène liquide. « Nous avons validé le premier règlement basé sur le stockage liquide au conseil mondial de cette semaine », détaille Xavier Mestelan-Pinon, directeur technique de la sécurité de la Fédération internationale automobile. C’est un règlement générique à déployer pour l’endurance, conjointement avec l’ACO. Cela va permettre d’engager des voitures à court terme ».
Au-delà, ces standards de sécurité posent la question de l’équipement des circuits (et de leurs coûts). L’an dernier, Pierre Fillon laissait entendre que la catégorie H2 ne pourrait pas visiter tous les tracés du championnat dès la première saison prévue pour 2028. Spa, Le Mans et Fuji pourraient porter l’innovation pendant une première campagne. Les autres circuits attendraient.
Pas encore en piste, mais déjà dans le village des 24 Heures, dans l’enceinte du circuit. Les enjeux de l’hydrogène sont expliqués sur un espace de 2 500 m² jouxtant le circuit. Le public peut notamment découvrir de visu une maquette du prototype hydrogène-électrique H24EVO, la Toyota GR LH2 ou l’Alpine Alpenglow H6. Des ravitaillements en hydrogène grâce à la station mobile mise à disposition par Total sont également prévus.
D’autant que la réglementation Hypercar, actuellement en vigueur, a attiré un nombre record de constructeurs. Et Le Mans a rarement connu une telle médiatisation. Pour l’endurance, la tentation de la stabilité est forte : l’homologation des voitures actuelles a ainsi été prolongée jusqu’en 2032.
Introduire une catégorie H2 nécessitera donc de réfléchir à des équivalences avec ces Hypercars. Pénalisées par leur masse plus importante ou des arrêts plus longs, les voitures à hydrogène pourraient bénéficier de davantage de chevaux. Ou de concessions aérodynamiques comme des ailerons mobiles. Habitué aux joutes autour de la Balance de Performance, le régulateur devra trouver les justes équivalences entre ces deux catégories.
L’ICE H2 pose lui-même encore bien des questions. S’il ne génère pas d’émissions directes de CO2, le moteur à combustion interne H2 rejette des oxydes d’azote (NOx). Il faudra potentiellement en établir les limites ou réfléchir à des solutions techniques pour les retenir.
Parmi celles-ci figure l’utilisation d’un turbocompresseur électrique. Ou encore un travail sur la richesse du mélange. Ce qui ne manque pas de créer de nouveaux champs d’investigation pour le régulateur. D’autant qu’une parité avec la pile à combustible doit être prise en compte.
À lire aussiLe monsieur H2 de l’ACO, Berard Niclot, détaille : « On travaille beaucoup à la simulation des performances des voitures et on évalue différentes technologies. On essaye de faire une boîte à outils ou un portfolio de technologies qu’on va mettre ou pas dans les voitures en regardant ce que ça apporte en performance ». « On discute en permanence, poursuit-il. Il y a des allers-retours et c’est ça l’enjeu. Il faudrait que l’on ait fini assez nettement avant la fin de l’année pour définir ça. Après, on pourra travailler sur l’écriture du texte réglementaire ».
Pour donner naissance à la catégorie et éviter une ruineuse course aux armements, les marques intéressées cherchent à se mettre d’accord sur des pièces communes. « Nous sommes plutôt en phase avec les autres constructeurs, nous assure Pierre-Jean Tardy, le directeur technique « hydrogène » chez Alpine Motorsports. Nous travaillons pour que certains éléments puissent être partagés. » Mais pour y arriver, des cahiers des charges doivent être établis, des appels d’offres passés, des contrats signés. Ce qui prend du temps.
Il y a deux ans, Toyota espérait faire débuter son prototype H2 en 2026. On sait désormais que l’horizon est plus lointain, sans doute autour de 2028 à 2030. Bernard Niclot : « Nous, on est un peu dans les starting-blocks et ça va se situer entre ces deux dates, un petit peu en fonction du niveau de préparation des constructeurs ».
Si une catégorie hydrogène doit voir le jour avant la fin de la décennie, le temps presse. Sans règles, difficile de jouer…
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