Tableau de bord Mustang

(image : Tachometer Ford Mustang Oldtimer Armature Dashboard par MaxPixel)

Comme nous l’avons vu récemment, avec la disparité des réseaux de recharge, nous ne sommes pas égaux devant la borne. Selon que l’on roule avec une Tesla, avec une voiture premium acceptant la charge rapide, ou une petite citadine proposant une faible autonomie et un débit de recharge limité, la facture peut aller du simple au double, voire au triple selon l’itinéraire choisi et les conditions de circulation (et météorologiques).

En conséquence, une tendance semble se dessiner, celle qui consiste à admettre que toutes les voitures électriques ne sont pas destinées aux mêmes usages.

Une « segmentation » au goût un peu étrange

Autrement dit, il semble utopique de vouloir traverser la France, ou pire, l’Europe, à bord d’une e-208, une Zoé ou une Mini électrique, de la même manière qu’il n’est pas très pertinent ni eco-frendly d’envisager un Taycan Turbo ou une Mercedes EQS pour ses trajets quotidiens domicile-travail. D’ailleurs, pour cela il y a peut-être des alternatives, mais c’est un autre sujet.

On nous rétorquera que cette « discrimination » existait déjà du temps du thermique, ce qui est vrai et faux. Vrai parce qu’il est moins confortable et aisé de faire un long voyage en famille avec une Clio qu’avec une Audi A6 Avant, mais faux parce qu’avec les deux on dispose à peu de choses près de la même autonomie de carburant, et surtout, on paie le même prix à la pompe. De surcroît, faire le plein prend approximativement le même temps.

En somme, à l’ère du thermique, si l’on considère les choses selon l’angle des capacités de déplacement de personnes, une voiture à 10 000 euros rendait les mêmes services qu’une voiture à 150 000 euros. Le confort en moins, mais l’économie en plus (il y a des chances pour qu’une Dacia Sandero consomme un peu moins qu’un Cayenne Turbo). Avec un temps de trajet à peu près équivalent.

Ce n’est plus le cas avec la voiture électrique : une Dacia Spring ne vous emmènera pas aussi loin qu’une Tesla Model S. Ou alors cela vous prendra beaucoup plus de temps. Et, surtout, cela risque de vous coûter bien plus cher… C’est un peu comme si, au temps du thermique, les petites voitures avaient été dotées d’un réservoir d’essence de 15 litres alors que les grosses profitaient d’un réservoir de 80 litres. Avec un prix du litre d’essence plus avantageux pour les grosses.

On voit régulièrement des reportages dans divers médias, mais aussi de particuliers sur les réseaux sociaux, qui rendent compte de leurs galères lors d’un déplacement au long cours au volant d’une petite voiture électrique, avec des réactions qui sont souvent les mêmes (outre le procès fréquent en improvisation) : « Fallait pas voyager avec cette voiture, elle n’est pas faite pour les longs périples, c’est une voiture pour se rendre à son travail ou faire les courses le week-end ».

Une remarque qui est peut-être un peu raide à encaisser quand on vient quand même de mettre entre 25 000 et 35 000 euros dans une voiture électrique « d’entrée de gamme », mais une remarque qui malheureusement reflète une réalité incontestable : dans l’état actuel de la technologie, à chaque auto électrique son usage, car certaines voitures électriques ne sont absolument pas taillées pour l’aventure au long cours. La faute à une capacité de batterie limitée et à un débit de charge asthmatique qui vous coûtera un rein chez Ionity, puisque ce dernier opérateur facture encore à la durée et non à la quantité d’énergie délivrée.

Résultat, on assiste à une segmentation marketing relativement inédite qui consiste à dire sans vraiment le dire que si vous voulez rouler électrique dans tous les cas de figure, il vous faudra débourser au moins de quoi acheter une auto qui offre a minima 500 kilomètres réels de rayon d’action. Les voitures offrant cette caractéristique ne sont pas légion, et demanderont de débourser entre 45 000 euros et… beaucoup plus.

Voiture électrique, une voiture pour chaque usage ?

Autre son de cloche : opter pour une petite électrique pour les trajets quotidiens et garder une bonne vieille thermique pour partir en vacances avec armes et bagages. Soit une sorte d’hybridation répartie sur deux véhicules. Si cette solution offre l’avantage du confort et d’un certain pragmatisme, je pense ne fâcher personne en avançant que ce n’est probablement pas la meilleure des idées d’un point de vue écologique.

Restent deux possibilités pour les grands trajets occasionnels : le train et la location de voiture (idéalement électrique). C’est joli sur le papier, mais pas très réaliste dans les faits. Car, à part pour se rendre d’un point A à un point B, le train n’offre aucune flexibilité, et prive le voyageur du plaisir de la découverte, cette sérendipité géographique que seul permet un moyen de transport individuel. Quant à la location de voiture, elle peut s’avérer pratique, voire avantageuse dans certains cas de figure, mais louer une familiale pour plusieurs semaines au gré des vacances d’été et d’hiver, plus quelques week-ends par ci par là, peut finir par coûter très cher.

Alors, faut-il se résoudre à l’idée que toutes les voitures électriques ne sont pas faites pour les mêmes usages ? Probablement, mais cette segmentation un peu forcée deviendra plus acceptable quand il n’y aura plus de différence de capacité de batterie et de vitesse de charge entre « petites » et « grandes ».

Autrement dit, quand une e-208 ou une Mini électrique proposeront 500 kilomètres d’autonomie WLTP et/ou – selon le développement des réseaux de recharge – une capacité de charge aux alentours de 200 à 250 kW avec une courbe de recharge acceptable. Pour le moment, aucune de ces conditions n’est satisfaite sur les voitures électriques les plus accessibles financièrement.

Ou alors acceptons l’idée qu’à chaque usage sa voiture électrique, et continuons de surproduire. Pas certain que la planète nous remercie.

Note au lecteur : je lis parfois ici des commentaires sur le fait que certains titres de cette rubrique sont formulés comme des questions. Il ne s’agit pas d’un effet de style, mais tout simplement de la nature même de cette chronique, qui est de justement s’interroger sur l’avenir de l’électromobilité, de façon prospective. Il s’agit d’une tribune de réflexion qui tente de se projeter dans le futur, et qui à ce titre, évite les idées toutes faites et les certitudes faciles. Or pour s’interroger sur un marché, un secteur, on n’a pas encore trouvé mieux que de poser une question, avec un point d’interrogation à la fin. :)