Si l’Etat a mis son grain de sel en créant un droit à la prise pour ceux qui résident dans des immeubles à usage d’habitation, c’est que les difficultés rencontrées par les électromobiliens concernés sont réelles. En témoigne Pierre Solviche, qui, à 88 ans, n’a à ce jour pas vraiment d’autre choix que de recharger sa Citroën C-Zero en passant par ses filles, à une quarantaine de kilomètres de chez lui.

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A l’origine du présent article, ce commentaire déposé par Pierre Solviche à la suite de notre production intitulée « Adopter une voiture électrique : une histoire de famille ! » : « Habitant au 2e étage d’une résidence, je n’ai pas de prise domestique, ni borne de recharge dans un rayon de 5-10 kilomètres autour de chez moi. Le maire refuse de m’autoriser à installer une wallbox à mes frais dans le parking municipal … Recours au tribunal administratif depuis 9 mois … Recharge chez ma fille à 40 km … Des milliers de personnes sont dans mon cas et n’achètent pas de voiture électrique. Vous n’en parlez jamais dans vos colonnes ! ».

Eh bien justement : parlons-en !

Ne vous méprenez-pas !

La situation de Pierre Solviche est très particulière, comme peuvent l’être, à leur manière, celle de bien des automobilistes, déjà électromobiliens ou qui aimeraient le devenir. Surtout, n’allez pas imaginer que notre interlocuteur a acheté sa voiture électrique trop rapidement, avant de s’inquiéter des moyens de la recharger. Lorsqu’il a pris livraison de sa Citroën C-Zero, il habitait une villa, au Vésinet (78), à partir de laquelle il était simple de brancher le câble de ravitaillement en énergie sur une prise domestique.

Le décès de son épouse a contraint ce citoyen, autrefois engagé dans la commission circulation et sécurité de sa commune, à élire son nouveau domicile dans une résidence pour personnes âgées, toujours dans la même ville, qu’il n’a pas abandonnée depuis son enfance.

Le souci de l’environnement

Pierre Solviche est donc une figure du Vésinet, et certainement pas un automobilistes qui aurait pris à la légère une soudaine envie de passer à la mobilité électrique.

« C’est l’âge de ma vieille Citroën ZX, polluante, consommant 9 litres aux 100 kilomètres, et en partie responsable des 40.000 morts prématurés par an en France, qui m’a décidé à acheter une voiture électrique, sans émissions nocives sur son passage », témoigne-t-il. Il avait aussi en tête « le très faible coût de l’énergie pour la déplacer et la quasi disparition des opérations d’entretien » habituelles pour un modèle thermique. Il évoque cependant un souci de communication avec son concessionnaire qu’il a jugé, à l’époque, « manifestement incompétent sur les électriques ». En cause, l’affirmation du professionnel concernant un « câble de recharge rapide CHAdeMO fourni avec la voiture ».

Stationnement

Depuis qu’il a rejoint la résidence de 4 étages, Pierre Solviche gare sa voiture électrique, contre 190 euros mensuels, dans le parking municipal adjacent, à 50 mètres de chez lui. « Le stationnement sur voirie est limité et payant », justifie-t-il. « Il existe bien un autre parking au Vésinet, mais sans plus de moyen de recharge, et celui de Saint-Germain-en-Laye, qui dépend de Vinci Park [NDLR : Indigo désormais], a ses 2 places dédiées aux voitures électriques squattées en permanence par des thermiques », poursuit notre interlocuteur.

« Il n’y a pas une seule borne de recharge sur le territoire des 8 communes de la boucle de la Seine qui compte 175.000 habitants : Voyez la carte de ChargeMap ! », tonne-t-il. Du côté des bornes rapides, rien à espérer : « Elles sont chez Nissan, et réservées à la clientèle des concessions de Nanterre et Chambourcy, respectivement à 5 et 10 km de chez moi », souligne Pierre Solviche. Quant à exploiter les Bornes Autolib’ des Hauts-de-Seine, notre interviewé ne s’imagine pas « rester à surveiller son câble domestique contre le vol pendant les 6 heures de la recharge ».

Refus de la mairie

Pierre Solviche est amer : « Le Maire me refuse l’autorisation d’installer une Wallbox à mes frais, car les décrets du ‘droit à la prise’ de 2014 et 2015 ne nomment pas explicitement les collectivités locales ». Depuis, un nouveau texte est en vigueur, publié en 2016, qui « oblige les collectivités locales à équiper de prises de recharge électrique les parkings municipaux existants, de même que les copropriétés », invoque notre interlocuteur.

Et donc ? « Le Maire se retranche derrière la communauté de communes nouvellement créée, mais ce n’est ni de ses moyens, ni de ses  missions », s’insurge-t-il. Et si l’attitude du premier élu du Vésinet a du mal à passer, c’est, parce qu’en « commission extramunicipale des déplacements, j’ai recommandé d’acheter des voitures électriques pour le personnel technique, ce qui a été fait ainsi que 6 bornes de recharge … qu’il m’a refusé d’utiliser temporairement, et pire encore, qu’il refuse au personnel de la mairie d’utiliser ».

A 40 km de chez lui

Pierre Solviche ne peut s’empêcher de comparer la situation au Vésinet avec celle du département de l’Orne, où les usagers peuvent exploiter gratuitement les bornes de recharge des collectivités locales lorsqu’elles sont disponibles.

Depuis qu’il vit dans un logement en habitat collectif, il ne trouve pas vraiment d’autre possibilité acceptable que de recharger sa Citroën C-Zero chez ses filles, à une quarantaine de kilomètres de chez lui ! Doit-on rappeler l’autonomie d’un tel véhicule !? Entre 90 et 110 km ou 120-135 km l’été, selon que l’engin est équipé d’un pack d’une capacité de 14,5 ou 16 kWh.

« Pour l’une de mes filles, je pars de chez moi disons avec une réserve de 90 km. J’arrive avec une autonomie restante estimée de 50 km. Je recharge pour en retrouver jusqu’à 120 (au début j’atteignais 136. Km). Au retour, avec un profil de route en descente, je parviens chez moi souvent avec les 120 km du départ. Ainsi, je peux effectuer des petits trajets de proximité, jusqu’à la prochaine visite à ma fille. Pour l’autre, le scénario est moins favorable », détaille notre interlocuteur.

Une situation pas viable ?

Clairement, la situation n’est pas viable. Pourtant, le Vésigondin parvient encore à relativiser : « Je ne fais que de petits trajets, et dans certains cas je ne consomme rien, le système de récupération de l’énergie aux ralentissements et dans les descentes étant particulièrement efficace ! Sans toucher au frein ni à l’accélérateur, la voiture se régule d’elle-même ». Un petit plaisir, quand même, de temps en temps, avec cette C-Zero qu’il estime « très jouissive » : « Quelquefois, à un feu rouge, je me paye le luxe de laisser sur place les grosses cylindrées… sur 50 mètres, pas plus, évidemment. Pour tenter de me rattraper, certains consomment 25 litres de pétrole ! », reconnaît-il. « Si Peugeot et Citroën avaient adopté les bornes rapides CHAdeMO dans leurs concessions, je pourrais aller voir mes petits enfants en province ! », se prend-il à rêver. Une bulle de quelques secondes, qui s’efface rapidement : « Mais ils préfèrent s’apprêter à licencier dans quelques années, quand les constructeurs étrangers seront prêts au tout électrique ».

Action au tribunal administratif

Le 21 décembre 2016, Pierre Solviche clame avec raison dans une interview qu’il a accordée au Courrier des Yvelines : « C’est tout de même inadmissible que des résidents soient interdits de conduire proprement à l’heure où l’on parle de pollution en Ile-de-France et de circulation alternée ». Trois mois auparavant, le 14 septembre 2016 très exactement, il a déposé un recours auprès du tribunal administratif de Versailles.

« Malgré une relance et l’intervention auprès du préfet et du défenseur des droits, je n’ai toujours pas de réponse, plus d’un an après », se désole-t-il. « Je m’appuyais sur la Charte de l’environnement de 2004, inscrite dans la constitution, et sur l’absence de prise domestique accessible dans ma résidence », précise-t-il. Les difficultés que rencontre Pierre Solviche seraient de nature à décourager nombre d’automobilistes. Pas ce militant dans l’âme :  « Je me bats aussi pour les milliers d’utilisateurs potentiels qui n’ont pas de parking, donc pas de prise domestique, et renoncent à acheter une électrique… En attendant, la pollution augmente, et le pouvoir d’achat passe dans le pétrole ! », déplore-t-il.

Sa vision de la mobilité électrique dans les Yvelines

L’ex-intervenant départemental à la sécurité routière, qui a mené dans ce cadre une centaine d’enquêtes au sujet d’accidents mortels survenus sur le territoire, a un regard plutôt acerbe sur la situation des Yvelines : « C’est un département de l’automobile, celui de Renault qui veut écouler son stock de véhicules diesel et n’est pas prêt pour un véhicule électrique bas de gamme. Renault sait que les Chinois et l’Inde sont prêts. Le constructeur a un accord avec EDF. L’énergéticien ne veut pas de pointes de consommation dues au développement de la voiture électrique, tant qu’il n’a pas résolu le problème de stockage dans les vieilles batteries dans le but d’écrêter les pics de consommation ».

Automobile Propre et moi-même remercions vivement Pierre Solviche de nous avoir proposé le sujet développé dans le présent article, ainsi que pour sa disponibilité et sa réactivité.