La présentation il y a quelques jours du maillage en chargeurs rapides du jeune énergéticien français a déchaîné les commentaires sur Automobile Propre. Nous avons souhaité en savoir davantage en interrogeant Johann Tardy, directeur général de Kallista Energy.

Grâce à Automobile Propre ?

Dans son dossier de presse émis le 2 juillet dernier, l’entreprise, créée en 2005, se définit comme « un producteur français indépendant d’énergies compétitives ». Son orientation vers la mobilité électrique est cependant plus récente. « Nous nous sommes intéressés à l’électromobilité en 2016. Je connais très bien Automobile Propre que je consulte depuis longtemps tous les jours et l’apprécie comme site de référence. C’est d’ailleurs en découvrant les différentes expériences des précurseurs que je me suis dit : ‘Allez, on y va !’ », rapporte Johann Tardy.

« Nous sommes nous-mêmes usagers de véhicules électriques. Nous disposons de 8 voitures des marques Tesla, Kia et Hyundai que nous utilisons régulièrement pour des déplacements de plusieurs centaines de kilomètres entre nos bureaux de Paris, Bordeaux, Lyon et autres implantations régionales comme à Nantes. Nous sommes d’ailleurs embarrassés par la fermeture de nombreuses bornes du réseau Corri-Door, au point d’avoir dû différer l’acquisition de Renault Zoé », souligne-t-il, précisant : « Chacune de nos voitures électriques totalisent plus de 30.000 km à l’année ».

Rapprochements entre parcs éoliens et stations de recharge

« Du fait de notre activité avec les éoliennes, nous maîtrisons très bien depuis des années les convertisseurs de puissance. Nous obtenons des taux de disponibilité de l’ordre de 99%. En rapprochant cette performance, avec les problèmes régulièrement rencontrés sur les réseaux de recharge rapide, nous avons pensé : ‘Il y a un truc à faire là, il faut qu’on regarde !’ », explique Johann Tardy.

« Pour éliminer nombre de problèmes sur les bornes, plutôt que d’avoir un convertisseur de puissance pour chacune, nous en aurons 2 plus importants pour toute la station, fonctionnant selon le principe de redondance. Si l’un tombe en panne, l’autre continuera à fonctionner pour toutes les bornes. La puissance de recharge pourra éventuellement être réduite selon la fréquentation de la station, mais tous les points seront opérationnels. D’où une disponibilité des chargeurs proche des 100% », détaille-t-il.

20.000 V

« En rechargeant nos Tesla aux stations du constructeur, nous avons observé qu’elles sont reliées au réseau électrique par un câble 20.000 V. Exactement comme dans nos parc éoliens. Le coût pour un tel câble enterré est de l’ordre de 100 euros le mètre. C’est d’ailleurs pour limiter les investissements que nombre de stations de recharge rapide s’éloignent du réseau routier », avance l’ingénieur spécialisé en réseaux électriques.

« Notre activité nous permet de mutualiser les équipements. Ce câble 20.000 V dont nous disposons sur un parc éolien peut aussi servir à une station de recharge rapide sur le même site. D’où des coûts bien moins importants, pour nous, par rapport à d’autres opérateurs, à la réalisation d’une station de recharge », met-il en avant.

Le problème de l’implantation

« Une grosse problématique a rapidement été mise au jour chez Kallista Energy : nos parcs éoliens ne sont pas souvent aux bons endroits, éloignés des grands axes par exemple. C’est pourquoi nous avons eu l’idée, plutôt que d’ouvrir des sites de production importants, d’imaginer un réseau maillant toute la France avec des stations bien situées et espacées d’environ 150 km, chacune associée à seulement 2 éoliennes », révèle Johann Tardy.

« Cette configuration plus légère peut être bien plus rapidement mise en place, et à proximité des axes principaux de circulation », justifie-t-il.

Des stations alimentées à plus de 80% par les 2 éoliennes

« J’ai pris connaissance des commentaires de lecteurs qui sont dubitatifs concernant l’alimentation intégrale des stations à plus de 80% du temps avec les 2 éoliennes installées à proximité. En prenant des éoliennes de 3-5 MW unitaires, soit 6-10 MW par site, nous avons volontairement surdimensionné nos capacités de production. Le surplus sera envoyé sur le réseau électrique national, ce qui augmentera encore la part de l’éolien dans le mix énergétique français », rétorque Johann Tardy.

« En règle générale, nos éoliennes tournent à plus de 80% dans nos parcs déjà ouverts, mais pas toujours à pleine puissance. Avec l’architecture que nous allons privilégier pour nos stations, ce sera suffisant pour toujours faire face aux besoins des stations dans ces périodes », complète-t-il. « Pendant moins de 20% de l’année, il faudra en revanche un complément en provenance du réseau, épaulé la plupart du temps par notre production électrique dans l’Hexagone. De telle sorte que l’énergie consommée à partir de nos bornes soit toujours verte », se réjouit notre interlocuteur.

Eoliennes Enercon

Le coût d’achat d’une éolienne est proportionnel au nombre d’unités commandées. On peut donc imaginer que le prix unitaire sera plus élevé pour les 2 éoliennes d’une station que pour celles qui forment un parc. « Pas forcément ! Pour retrouver notre business plan habituel, nous nous sommes engagés auprès d’Enercon sur un achat global », balaye Johann Tardy.

Pourquoi avoir choisi Enercon ? « Comme nous souhaitions une disponibilité maximale de nos stations, nous avons d’abord retenu 2 entreprises disposant d’un service de maintenance partout en France. Seul Enercon propose aussi des chargeurs rapides, qui sont en outre d’une qualité équivalente à ses éoliennes. Ce choix permet des synergies, notamment en n’ayant besoin que d’une seule installation régulatrice du réseau électrique pour les 2 éoliennes et les e-Charger d’Enercon », répond-il.

0,30 euro le kWh

Kallista Energy communique sur une charge facturée au kilowattheure (paiement possible via carte bancaire, badge RFID, application mobile), à raison de 0,30 euro par unité. Un tarif que l’on rencontre déjà, parfois avec une part fixe supplémentaire pour le service, auprès des réseaux ouverts par les syndicats de l’énergie, comme en Vendée ou en Ille-et-Vilaine, par exemple.

« Sauf que le nôtre permet des recharges à des puissances bien supérieures aux habituels 50 kW. Les e-Charger Enercon, et nos 80 stations qui compteront entre 8 et 48 points de recharge, sont compatibles 350 kW avec les connecteurs Combo CCS », réplique Johann Tardy.

Les standards T2 et CHAdeMO seront aussi proposés. « Nous considérons que de nombreux véhicules utilisent encore CHAdeMO, et que ce sera le cas encore longtemps. Pas sûr que ce standard disparaisse aussi vite que certains le pensent. Nous n’avions donc pas de raison de l’exclure », rassure-t-il.

Quid de la rentabilité du réseau ? « Nous arriverons rapidement à l’équilibre, peut-être difficilement au début », assure-t-il.

Des alliances avec des constructeurs ?

« Les seules relations que nous avons avec les constructeurs, c’est pour connaître leurs programmes de développement de voitures électriques. Nous n’avons pas besoin de leur implication dans le financement de notre réseau de recharge », certifie Johann Tardy.

« Avec un investissement initial par station de l’ordre de 400.000 euros, qui peut être très variable selon l’infrastructure énergétique, l’enveloppe totale est estimée dans une fourchette de 600 millions à 1 milliard d’euros. D’importants financeurs institutionnels sont avec nous. En particulier APG et Ardian. Pour les besoins de notre réseau de recharge, nous avons déjà embauché une quinzaine de personnes », chiffre-t-il.

Premières stations en 2024

Pourquoi communiquer si tôt pour de premières ouvertures de stations en 2024 ? « Pour nous, le projet a démarré il y a déjà 2 ans. Nous sommes déjà sur le terrain. Nous avons rencontré plus de 150 élus à ce jour, auxquels nous avons présenté notre futur réseau. Nous ne voulions pas que la presse locale dévoile notre projet avant d’en parler nous-mêmes. Nous avons donc décidé de prendre les devants », réagit Johann Tardy.

« Par ailleurs obtenir des autorisations pour installer des éoliennes prend du temps. Egalement pour obtenir le 20.000 V. Là, il faut compter une année. C’est pourquoi nous nous activons beaucoup sur ce projet actuellement. Pour nous, 2024 : c’est demain », poursuit-il.

« Une station pilote sera ouverte l’année prochaine. Nous voulons éviter les difficultés qu’ont rencontré nos confrères et tester toutes les configurations, en particulier au niveau du parcours client. Ce sera notre station crash-test. Peut-être qu’elle fonctionnera très bien dès le départ », développe-t-il.

Ionity et Corri-Door

« L’expansion du réseau Ionity va servir celle du maillage de Kallista Energy. Nous espérons aussi que Corri-Door sera repris », affirme Johann Tardy qui envisage la complémentarité de ces différents réseaux.

Et pourquoi pas une reprise des couloirs autoroutiers d’Izivia par votre entreprise ? Après un blanc de quelques secondes qui montre que le sujet, délicat, a été abordé en interne : « Ce que fait Corri-Door, ce n’est pas ce que nous voulons faire », conclut le DG.

Automobile Propre et moi-même remercions beaucoup Johann Tardy pour sa grande réactivité et le temps pris à expliquer un peu tout ce qui tourne autour du futur réseau de recharge rapide de Kallista Energy.

Avis de l'auteur

De 8 à 48 points de recharge ultrarapide par station évolutive, les 3 standards (Combo CCS, CHAdeMO, T2) présents, matériel fiable de qualité allemande, électricité verte, tarif accessible et identique pour tous les électromobiliens, interopérabilité, paiement par carte bancaire et autres moyens (application smartphone, badge RFID), localisation le long des grands axes : Bref, le maillage que Kallista Energy compte développer en France apparaît comme idéal.

Faut-il pour autant douter de l’aboutissement de ce programme qui vise le sans faute ?

Personnellement, j’estime que les dirigeants de Kallista Energy et leurs partenaires investisseurs ont mis toutes les chances de leur côté pour enfin doter notre pays d’un réseau efficace de recharge rapide. Un tel maillage est nécessaire et incontournable pour favoriser les déplacements longues distances en véhicules électriques.

Choisir et être reconnu par Enercon – le fabricant des éoliennes et e-Chargers – est un des points qui donnent confiance en l’avenir de ce programme. Un autre est la qualité des investisseurs institutionnels rassemblés autour. Encore un de plus avec des dirigeants qui s’inspirent d’Automobile Propre pour envisager les meilleures solutions.

Remarquable est aussi cette volonté d’indépendance vis-à-vis des constructeurs en véhicules électriques qui pourraient emmener le projet dans de mauvaises directions, comme on peut le voir avec Ionity par exemple.

Le réseau de recharge ultrarapide de Kallista Energy pourrait donc devenir à partir de 2024 le premier dans l’Hexagone à se montrer à la hauteur au niveau national. Et comme j’aime bien les belles histoires, sans pour autant verser dans la naïveté…