L’histoire électromobile de Christian Bruere a commencé en 2007 avec des scooters électriques chinois équipés de batteries plomb. Le lithium et une vision beaucoup plus « made in European », quand ce n’est pas tout simplement « made in France », sont au cœur de ses projets. Portrait.

Allo Resto comme point de départ

En s’associant dans les années 2000 à Sébastien Forest pour dynamiser la jeune entreprise Allo Resto qui se pose en intermédiaire de la restauration livrée, Christian Bruere, tout juste la cinquantaine aujourd’hui, ne se doutait pas encore que la mobilité électrique serait une bonne dizaine d’années plus tard sa principale préoccupation.

« L’époque était à la pratique du ‘cash burn’ : plus une entreprise brûlait de cash rapidement, plus elle était connue dans la presse, classée comme innovante, et espérait en retour gagner des parts de marché », commente notre interviewé. « Pour passer un cap délicat et pérenniser Allo Resto, nous avons fait le choix d’un développement plus organique, où l’on investissait l’argent que l’on gagnait. Les activités ont été diversifiées, jusqu’à celle de conseil, et divers services annexes », poursuit-il. « Les établissements qui utilisent la plateforme Allo Resto bénéficient de notre centrale d’achats », souligne-t-il.

Batterie plomb

C’est justement par l’intermédiaire de cette centrale d’achats que Christian Bruere a eu un premier contact, en 2007, avec la mobilité électrique. « Nous avions des demandes pour des scooters électriques : nous avons testé des engins chinois avec des batteries plomb. Mais devant une autonomie trop faible, nous avons laissé tomber à ce moment-là ! Dans la restauration livrée, les besoins en rayon d’action sont de 60, 70 et jusqu’à 100 kilomètres », chiffre-t-il. L’expérience de l’électromobilité aurait très bien pu s’arrêter tout net ici pour notre interlocuteur, qui aspirait à poursuivre des projets éthiques.

Maroc

« En 2008, j’ai souhaité me rapprocher de la terre et de l’eau. En gagnant le Maroc, j’ai pu m’engager dans un projet éthique au côté de la Banque mondiale, pour aider les petits agriculteurs à s’équiper de panneaux solaires. Nous avons créé une forme de nantissement qui leur offrait une garantie à première demande », détaille Christian Bruere.

Quel rapport avec la mobilité électrique ? « Les transports en commun étant très limités au Maroc, la question d’un mode de déplacement doux et efficace s’est posée dans le cadre du programme », répond-il. « Nous nous sommes retrouvés avec une flotte d’une centaine de scooters électriques. Les premiers étaient équipés de batteries plomb, puis avec les toutes nouvelles au lithium. C’est là que j’ai appris plein de notions en rapport avec la mobilité électrique : moteurs brushless, BMS, technologies de batteries, etc. Nous avions là les premiers scooters électriques, toujours chinois, qui tenaient bien. Nous étions dans les années 2009-2010 », détaille notre interlocuteur.

Du garage pour motos à Cruis’R

« De retour en France, en 2014, mon ami François Wettling, à la tête d’un garage pour motos avec concession Kawasaki, m’a proposé de participer à son aventure. Connaissant mon expérience, il m’a demandé de me renseigner sur les motos électriques », relate Christian Bruere. Tous les 2 sont désormais à la tête de Cruis’R, dont l’activité tourne exclusivement autour de la mobilité électrique, plus particulièrement en ventes et locations de deux-roues branchés.

Brammo, Zero Motorcycles, Vectrix et Ecobit sont les principales marques de motos et scooters électriques au catalogue de l’entreprise. Rejoignant le réseau Blooweels, elle propose également une Tesla Model S et un Mitsubishi Outlander hybride rechargeable, à récupérer dans l’un des 2 points : Saint-Gratien (95), et dans le secteur de Paris Montparnasse. Une deuxième Tesla, sans précision encore sur le modèle, devrait enrichir cette flotte.

Sénat

Cruis’R a fourni la gendarmerie du Sénat en motos électriques. « Nous avons été contacté pour présenter les modèles que nous diffusons. Le choix s’est porté sur des Zero Motorcycles, que nous avons livrées en 3 exemplaires, avec une suite prévue. Cependant, la chute d’un gendarme a suspendu l’opération, dans l’attente que le constructeur équipe ses motos d’un système antipatinage. Avec un couple très élevé, la conduite sur route mouillée est compliquée. Zero aurait pu prévoir au moins un dispositif qui permet de réduire la puissance dans les cas où la conduite est délicate », témoigne Christian Bruere. « Le Vectrix est plus doux, mais la gendarmerie du Sénat ne voulait pas de scooter et avait des exigences en matière d’autonomie », complète-t-il.

Rapidité d’entretien et de réparation

« Nous avons levé le pied sur Zero Motorcycles et Vectrix. On a passé pas mal de temps à résoudre des problèmes techniques avec ces 2 marques. Pour la première, il faut conserver le contact avec un correspondant aux Pays-Bas, et concernant Vectrix, c’est compliqué d’obtenir des pièces détachées », explique Christian Bruere.

Cible principale de Cruis’R, la restauration livrée avec des deux-roues électriques. « On ne peut pas laisser des engins en panne pour cette clientèle », plaide notre interlocuteur. « Aujourd’hui, pour elle, nous travaillons beaucoup avec le constructeur italien Ecobit pour lequel nous sommes concessionnaire exclusif pour la France. Avec eux, on a pu améliorer le scooter électrique équivalent 50 cm3 proposé en 2 versions : biplace, et cargo 1 place avec caisson de 100 à 250 litres », révèle-t-il.

Adaptation à la clientèle…

« Via notre société Cruis Rent spécialisée dans la location et la gestion de flottes de scooters électriques connectés et destinés à la livraison, nous sommes nos meilleurs clients. Voilà pourquoi nous avons tout intérêt à améliorer au maximum les modèles que nous mettons à disposition. Ainsi, à la place de la fourche arrière, nous avons demandé que les scooters électriques Ecobit soient munis d’un monobras duquel on peut démonter la roue maintenue par 5 écrous, à la manière des jantes de voitures. A l’origine, ce deux-roues était équipé d’un seul convertisseur DC/DC. Maintenant, il en compte 3, dont 1 pour les accessoires, tels un sac chauffant, ou un éclairage Led pour la publicité du client. Si son matériel provoque des dégâts électroniques, au moins, avec cette architecture, le scooter continue de rouler. Au pire, avec 3 convertisseurs, on peut démonter temporairement le fusible de l’un pour refaire fonctionner le plus utile. Nous avons aussi demandé un contrôleur surdimensionné pour qu’il soit plus robuste en n’étant jamais proche de ses limites. Au final, le surcoût supplémetaire par scooter est remboursé à la première intervention… qui aura été évitée », détaille Christian Bruere.

Des pneus sélectionnés

« Avec les pneus asiatiques, les glissades sur le sol mouillé étaient fréquentes. Nous avons donc testé différentes marques, dont Bridgestone et Pirelli, pour retenir finalement Michelin, avec 2 modèles qui conviennent : City Grip et Power Pure. Selon nos observations, c’est cette dernière référence la plus adaptée, et celle que nous avons retenue. Dans la foulée, Nous avons noué un partenariat marketing avec l’équipementier français », rapporte notre interlocuteur.

Les batteries source d’attention

Même les batteries font l’objet de toute l’attention de l’équipe dirigeante de Cruis’R et de ses sociétés annexes. « Le nombre de packs va dépendre de l’autonomie souhaitée. La capacité totale peut être répartie sur plusieurs packs, suivant les besoins. Dans certains cas, un pack sera exploité sur le scooter pendant qu’un autre sera en charge. Avec ce principe, en le dimensionnant bien, on assure aux scooters électriques une autonomie illimitée », avance notre interlocuteur.

« Aujourd’hui, nous utilisons des batteries taiwanaises BMSPow réalisées avec des cellules Panasonic 18650 PF, mais dans le courant 2018, nous espérons pouvoir profiter de batteries produites dans des ateliers en France. Nous nous sommes rapprochés pour cela de 2 sociétés, l’une en Normandie, et l’autre dans la région bordelaise », indique Christian Bruere, qui prévoit la création d’une nouvelle filiale.

Objectif 1.000 scooters électriques en 2018

« Nous avons en projet d’immatriculer un millier de scooters électriques en 2018. Via le programme d’investissements d’avenir, nous avons retenu l’attention des commissions de 6 ou 7 ministères différents réunis pour le dispositif Initiative PME. Grâce à cela, nous avons obtenu une enveloppe de 200.000 euros afin de réaliser un scooter électrique connecté », chiffre le cofondateur de Cruis’R.

« Nous allons réaliser un boîtier communiquant pour faire durer les batteries. A l’obsolescence programmée, nous voulons opposer la pérennité programmée », lâche-t-il, avec une pointe d’humour, et beaucoup de sérieux. « Le dispositif vous nous aider à analyser les usages de nos scooters, comprendre les usures, et anticiper les problématiques », assure-t-il. « Nous récolterons des données sur les distances parcourues, les zones géographiques de travail, afin d’optimiser et gérer au mieux les ressources », développe notre interlocuteur.

Un scooter électrique français pour le B2B ?

« Nous visons les services de livraison du dernier kilomètre avec nos scooters électriques, plutôt en location : le marché B2C n’est pas encore mûr », rapporte Christian Bruere. « Un serveur vocal est disponible 24/7 qui redirige vers les responsables concernés les messages signalant des problèmes, avec promesse de réparation dans les 24 heures », schématise-t-il, conscient des impératifs de sa clientèle principale.

Si Cruis’R et ses entreprises associées s’inquiètent de disposer de batteries fabriquées en France, l’idée d’un scooter électrique entièrement réalisé dans l’Hexagone fait son chemin. « Nous nous sommes rapprochés du constructeur de scooters thermiques IMF Industrie, basé près de Poitiers, dans la Vienne, pour étudier la possibilité de produire un modèle électrique en France », anticipe notre interlocuteur.

Social

« Loger des personnes démunies, accueillir des associations et entreprises solidaires, favoriser la présence d’artisans et de créateurs, partager des outils et des espaces de travail, créer un parc public d’un genre nouveau, avec des activités pédagogiques, culturelles et sportives, ouvertes aux résidents, comme aux riverains et aux touristes », tels sont quelques-unes des actions poursuivies par « Les Grands Voisins », hébergés dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul au cœur du 14e arrondissement de Paris, qui comptent parmi eux Cruis Rent. « Par ce biais, nous participons à des projets écologiques et/ou sociaux : ainsi, actuellement, en cofinançant un outil pour les cartes graphiques », illustre Christian Bruere. « Chez Cruis’R, tout le monde est associé au capital, dans une démarche où nous substituons au capitalisme le capitalisme social, mais aussi l’économie circulaire à la consommation à outrance », conclut-il.

 

Automobile Propre et moi-même remercions vivement Christian Bruere pour sa grande réactivité et le temps consacré à répondre à nos questions.