Station de charge rapide de la CNR

En organisant ses rallyes entre sortie touristique, épreuve d’éco-conduite et promotion de la mobilité électrique, Jean-François Villeret sillonne un peu toute la France et rencontre nombre d’opérateurs de la recharge et de la mobilité. Nous l’avons interrogé sur sa perception de la situation en France.

Toute l’année sur les routes en électrique

Qui ne connaît pas Jean-François Villeret qui organise, avec son équipe de Tour véhicules électriques, le plus souvent pour le compte et/ou avec l’aide de syndicats de l’énergie, des événements qui font aujourd’hui référence, comme le France électrique Tour, le Vendée énergie Tour, le Nouvelle-Aquitaine électrique Tour ou le Breizh electric Tour ? D’abord avec une Nissan Leaf, puis désormais avec une Tesla Model S, notre interviewé est le plus souvent sur les routes à envisager les tracés de ses futurs événements. Pour cela, il doit vérifier les bornes disponibles et parfois provoquer ou accélérer l’interopérabilité entre les réseaux. Voilà pourquoi sa vision et son avis sont précieux pour estimer l’état du chantier pour le ravitaillement des véhicules électriques.

Pyramide à degrés, de la charge lente…

Cette année 2017, Jean-François Villeret a beaucoup insisté sur la recharge rapide, au point qu’on a pu à tort supposer qu’il ne jurait que par elle. Sa vision est bien plus large, qu’il représente sous la forme d’une pyramide à degrés, à l’image de celle de Saqqarah en Egypte, ou de Maslow pour les psychologues.

A la base, là où la largeur est la plus importante, une multitude de prises ou de bornes pour la recharge normale ou semi-accélérée jusqu’à 7 kW. « Associées au stationnement prolongé, elles équipent les parkings publics, les entreprises, les candélabres, – comme le SyDEV, syndicat de l’énergie vendéen, l’a testé à La Roche-sur-Yon », commente le dirigeant de TVE. Elles se retrouvent également au domicile, dans les maisons individuelles, mais aussi dans les parkings des copropriétés où il reste un important travail à mener. « Nombres de voitures électriques ne connaîtront que les prises et installations domestiques, et ce sera de plus en plus vrai avec les modèles de plus fortes autonomies », assure-t-il.

…en passant par la recharge accélérée…

En s’élevant sur la pyramide, on trouverait une couche de bornes 22 kW. « Elles existent en version AC grâce au travail des syndicats de l’énergie ; compte tenu de la densité actuelle, pas nécessaire d’accroître leur nombre sauf à installer des bornes 22 – multi-standard (DC CHAdeMO et combo, et AC) », détaille Jean-François Villeret.

Globalement, et c’est encore plus vrai pour la recharge lente ou semi-accélérée, l’objectif n’est pas forcément de repartir à 100% de la capacité de la batterie quand on se branche sur une installation publique payante. En restant plus longtemps que prévu, on risquerait de continuer à payer le service alors que la voiture serait rechargée intégralement.

…les bornes rapides…

Les bornes rapides que Jean-François Villeret a privilégiées dans sa communication cette année arrivent ensuite, en « une couche moins importante de DC-44/50 bien implantées ».

Son discours trouve en partie sa justification dans la volonté de promouvoir la mobilité électrique pour des déplacements de plus en plus longs, en adéquation avec l’augmentation de l’autonomie permise par les avancées technologiques autour des batteries. « En itinérance, on espère pouvoir recharger sa voiture le plus rapidement possible en cours de route pour arriver à destination au mieux », confirme notre interlocuteur.

…jusqu’aux bornes ultrarapides

La dernière couche de la pyramide est réservée à « une petite quantité de stations avec des bornes ultrarapides, – plusieurs au même endroit -, dans une logique nationale, sur des axes importants », espère notre interlocuteur. C’est la grande nouveauté 2017, avec un premier exemplaire inauguré dans l’Hexagone par un syndicat de l’énergie, – le Sieil37 -, lors du passage du France électrique Tour. « Aujourd’hui limitée à une puissance de 50 kW, elle sera progressivement upgradée en 100 puis 150 kW en fonction des besoins », souligne Jean-François Villeret.

Fin de première étape

« Nous sommes à la fin d’une première étape de déploiement de bornes de recharge, celle portée par l’Ademe. Un bon nombre de programmes suivis par les syndicats de l’énergie sont en cours de finalisation, d’autres le seront dans le courant du premier semestre 2018 », évalue Jean-François Villeret. « Globalement, on a aujourd’hui une assez bonne couverture nationale, avec des territoires déjà bien pourvus, comme en Bretagne et en Occitanie, une partie des Pays de la Loire qui correspond à la Vendée, la Loire-Atlantique et le Maine-et-Loire, et 7 des 12 départements qui constituent la Nouvelle Aquitaine », énumère-t-il, sans vouloir être exhaustif. « La plupart des syndicats de l’énergie ont mené un travail important et prenant pour développer le maillage national », estime-t-il.

Zones blanches

Avant d’aborder la question des zones blanches qui rétrécissent, Jean-François Villeret tient à rappeler que « des retards ont été enregistrés sur certains territoires pour des raisons souvent indépendantes de la volonté des acteurs qui portent les réseaux concernés ».

Il identifie comme zones à combler : « Le Limousin, plusieurs départements de l’Est, le Vaucluse, les Alpes-Maritimes en dehors de la zone niçoise, la Sarthe et la Mayenne ». Il poursuit avec quelques territoires où les choses bougent positivement actuellement : « Le Var a déjà commencé à déployer des bornes qui seront prochainement mises en service ; des programmes vont se concrétiser dans les 2 Charentes ».

Avec ou sans bornes rapides ?

« Concernant l’intégration des bornes rapides par les syndicats de l’énergie dans les réseaux qu’ils développent, différents scénarios coexistent : installations et mises en services programmées dès le départ en même temps que celles des bornes accélérées ; après ces dernières ; révision en cours de route pour en inclure alors que ce n’était pas prévu ou modifier la répartition ; prévision après coup d’un nouveau programme les concernant, comme en Seine-et-Marne ; etc. », détaille Jean-François Villeret qui souligne la performance du département des Landes : « 90 stations au total, dont la moitié avec des bornes rapides ».

Déserts en bornes rapides

« C’est en bornes rapides que l’on trouve le plus de zones blanches, même si là aussi la situation s’est bien améliorée, avec le soutien de réseaux comme celui de Nissan et ses partenaires Auchan et Ikea, le Corri-Door de Sodetrel, et le couloir de la CNR dans le Rhône », témoigne Jean-François Villeret. « Si on veut que les voitures électriques se développent, il faut qu’elles puissent être suffisamment polyvalentes, en les rechargeant par exemple chez soi 340 jours par an de façon lente ou accélérée, mais rapide lors des longs déplacements », prévient-il. « Entre Bordeaux et Poitiers, en passant par Angoulême, aujourd’hui, il n’y a que 2 connecteurs CHAdeMO et aucun Combo pour 240 kilomètres de trajet », cite-t-il en exemple.

Bornes rapides doublées : l’exemple de la CNR

« La CNR a mis en place un bon maillage dans le Rhône qui longe la route Nord-Sud, avec des bornes relativement rapprochées, installées par paire », relève Jean-François Villeret. « Sur les grands axes, c’est l’implantation en stations de plusieurs bornes qui est la plus efficace, à l’image des superchargeurs Tesla », affirme-t-il.

Il explique : « Si, sur 6 installations, 3 sont occupées, il en reste 3 de disponibles : pas besoin de se demander s’il vaut mieux attendre que l’unique borne soit libérée ou en rejoindre une autre distante de plusieurs dizaines de kilomètres ». Concernant les grandes villes, il plaide également « pour une organisation en stations, à l’entrée ou à la sortie, sur les grands axes ».

Corri-Door

« Sodetrel, à l’image du réseau Nissan et associés, est parfois le seul opérateur de recharge à proposer des bornes dans certaines zones, qui, sans cela, seraient totalement désertes », tient à préciser Jean-François Villeret. « Souvent, lors des rallyes comme le France ou le Nouvelle-Aquitaine électrique Tour, le réseau qui fonctionne le plus mal est celui des téléphones portables ! », affirme-t-il.

Ce qui signifie ? « Certaines bornes sont implantées dans des creux en pleine campagne : c’est pas étonnant qu’elles connaissent des problèmes de communication et de supervision ! », illustre-t-il. « Quand on rencontre un souci de réseau avec son portable, la borne à côté risque fort de ne pas fonctionner », complète-t-il.

Bornes de recharge : un nouveau décret pour favoriser l’interopérabilité

Un écosystème pas toujours fiable

« Les réseaux de recharge pour véhicules électriques ne forment pas encore un écosystème totalement fiable », remonte Jean-François Villeret. « En plus des problèmes de communication, il faut prendre en compte ceux liés à la surchauffe des bornes rapides qui interdit la recharge. A priori, quasiment tous les modèles de bornes sont concernés, comme j’ai pu le constater en accompagnant les engagés aux différents rallyes que j’organise avec TVE », déplore-t-il.

Utilité des bornes ultrarapides

« Qu’est-ce qui marche aujourd’hui ? A l’image de Tesla, une voiture avec une grosse batterie et des superchargeurs d’une puissance supérieure à 100 kW assemblés en station ! Avec ça, on va partout ! C’est ce vers quoi on doit tendre pour réussir à faire adopter la mobilité électrique par un maximum d’automobilistes », donne en exemple notre interlocuteur.

« Avec les batteries à forte capacité qui vont équiper de plus en plus de voitures électriques à l’avenir, des bornes à 50 kW seront un peu justes pour des trajets supérieurs à 400 ou 500 kilomètres ; d’où la nécessité d’anticiper l’implantation des bornes ultrarapides, même si nombre de propriétaires de VE ne les utiliseront jamais », envisage-t-il.

Répartition à soigner

« Mais attention, la répartition des bornes ultrarapides ne doit pas être réalisée n’importe comment ! Les bornes ultrarapides devraient être disposées selon des couloirs nationaux, en stations de plusieurs bornes, une par département par exemple, distantes d’environ 150 km », prévoit Jean-François Villeret.

« Si ces bornes seront indispensables avec les VE équipés de batterie de capacité supérieur ou proche de 60 kWh, inutile de remplacer pour autant toutes les bornes rapides 50 kW », prévient-il. « Inutile également d’envisager des recharges unitaires à 350 kW, comme le souhaitent pourtant la plupart des constructeurs allemands, via certains de leurs représentants qui n’ont jamais eu à effectuer de longs trajets avec une électrique , tonne-t-il. « Réaliser, comme aujourd’hui avec une Tesla, un Poitiers-Nice avec 3 arrêts de 20 minutes pour la recharge, c’est bien », estime-t-il.

L’interopérabilité va se développer…

« L’interopérabilité est loin d’être complète ! », affirme d’emblée le dirigeant de TVE. « Avant l’arrivée de la carte ChargeMap, il fallait a minima, pour l’itinérance en recharge rapide, le KiWhi Pass, le badge Sodetrel et celui pour accéder au réseau de son propre département de résidence. Et même ainsi, on était loin de pouvoir recharger à toutes les bornes. ChargeMap a pas mal d’accords avec les syndicats de l’énergie, via la plateforme Gireve. On peut souvent se contenter aujourd’hui de cette carte et de la KiWhi », détaille-t-il.

« Les réseaux des syndicats de l’énergie, dès lors que ces derniers en confient la gestion en région à Bouygues, sont interopérables sur de vastes territoires. Ainsi pour l’ancienne Aquitaine ou l’Occitanie », témoigne-t-il. « Lors du Breizh electric Tour, l’interopérabilité a été mise temporairement en œuvre et avec succès, via Gireve, entre les 4 départements administratifs bretons, comme se sera le cas en réel dès le début de l’année 2018″.

…avec le paiement de la recharge

« L’interopérabilité n’est pas gratuite pour les opérateurs de recharge. C’est pourquoi elle n’est pas encore très répandue. Elle le deviendra à mesure que les recharges seront facturées », prévoit Jean-François Villeret. Un scénario qui va se développer en 2018, selon lui. « En adoptant la norme de communication OCPI, la plateforme KiWhi s’est engagée dans une voie intéressante : un étage intermédiaire pourrait être supprimé, facilitant la communication entre les opérateurs de recharge et les opérateurs de mobilité, et réduisant les frais d’interopérabilité », conclut notre interlocuteur.

Automobile Propre et moi-même remercions vivement Jean-François Villeret pour le temps pris à commenter pour nos lecteurs le développement des bornes de recharge et de l’interopérabilité.