Le projet s’appelle EP Tender. Jean-Baptiste Segard en est l’inventeur et  le PdG de la start-up qui le développe. Il m’a invité à participer à une mission en Suède pour que je puisse juger de la pertinence de son projet.

L’idée fondatrice du projet est la suivante : dans un monde où le futur de la mobilité est électrique, doter les voitures électriques de batteries capables de satisfaire la totalité des trajets journaliers sans recharge est un non sens économique et écologique. En effet, les trajets supérieurs à 100km ne représentent que quelques jours par an. Ils pourraient être satisfaits par un dispositif loué pour l’occasion – une remorque avec un groupe électrogène par exemple, qui serait connectée à la batterie du véhicule et la chargerait en roulant ! Un tel dispositif utilisé « à la demande » présente l’avantage de ne pas affecter les performances du véhicule au quotidien avec une batterie lourde et encombrante et de maintenir le prix d’achat ou de location du véhicule au juste nécessaire.

J1 : Lundi 27 Février 2017- Poissy -> Lübeck 985 km

Rendez-vous est pris à la gare de Poissy à 10:00 ce matin où Jean-Baptiste et Frédéric Joint, jeune ingénieur de son équipe, m’attendent pour le départ.

Zoé est prête pour l’aventure, réservoir plein et batterie chargée. Une remorque au design soigné (que l’on nommera tender par la suite) y est attelée,  arborant une robe blanc glacier en harmonie avec le véhicule. L’ensemble est assez compact (5,5m) et ne choque pas l’œil du passant. La moitié du coffre à bagage est occupée par l’outillage et les pièces de rechange en cas de besoin. La moitié de la banquette arrière accueillera donc le solde de nos bagages et avec trois adultes à bord, ZOE est en pleine charge !

10:30, c’est parti pour rejoindre l’autoroute en direction du nord de l’Allemagne. Je reçois ma première leçon de conducteur de véhicule électrique.

Comment organiser son trajet de façon intelligente ? L’objectif pour aujourd’hui est de parcourir la plus grande distance en utilisant les bornes disponibles sur le parcours pour recharger pendant les pauses. Pour cela, il faut effectuer en séquence les opérations suivantes :

  • programmer le trajet sur le navigateur,
  • rechercher sur internet les bornes sur le parcours avec l’application « chargemap »,
  • programmer sur l’application « EP tender» du smartphone le kilométrage jusqu’à la borne visée et le niveau de charge batterie à l’arrivé

Le premier arrêt est programmé à Cambrai où moyennant un petit détour, on pourra accéder à la borne du magasin Auchan pour charger pendant le déjeuner. Tout se passe bien pendant ce premier trajet de 200km : circulation fluide, température de 5 °C, temps couvert.

A l’arrivée, comme prévu la batterie est presque vide (5%) . Pendant le trajet, le moteur thermique et la génératrice du tender ont rechargé la batterie en ajustant la puissance sur l’un des deux niveaux disponibles et géré une décroissance progressive de la charge pour profiter au maximum du roulage en tout électrique.

Première mauvaise surprise – la borne est occupée par une Nissan Leaf dont le temps de charge restant est de 30’. On décide quand même un arrêt déjeuner au stand de restauration rapide du magasin, et Jean-Baptiste fera un break pendant son repas pour aller connecter ZOE à sa borne de charge rapide (43kW gratuite) !

Avec 30’ de charge, la batterie est presque pleine. On profite de l’occasion pour faire le plein à la station service même si le réservoir a encore quelques réserves. Prudence !

Je prends alors le volant au moment où la tempête venant de l’ouest nous rattrape – elle nous suivra jusqu’à la fin du jour.

Pour sortir du parking, la manoeuvre en marche arrière dans un environnement confiné pourrait être délicate avec une remorque mais tout se déroule sans problème. La visibilité arrière est correcte malgré le champ de la caméra de recul partiellement occulté par le tender, mais surtout un dispositif original de roues « secondaires » se déploie dès la marche arrière enclenchée et permet à la remorque de reculer sans se mettre en « portefeuille » !

Lors des premiers kilomètres dans Cambrai, quelques soubresauts sur les ralentisseurs nous rappellent que les  pneumatiques ont été quelque peu sur-gonflés pour optimiser la trainée du véhicule et économiser des kilowatts sur le parcours. C’est bien joué car cela affecte peu le confort sur le parcours autoroutier. La stabilité de conduite est bonne même dans des conditions de vent et de pluie d’exception. On finit par oublier le tender qui n’est pas visible dans les rétroviseurs latéraux car très court et plus étroit que Zoé !

Plus loin, nous improvisons un court arrêt technique en Belgique à la station service de Saint-Georges sur Meuse. Mais alors que la voiture est garée sur le parking, sa belle robe est agressée par la portière du voisin qui s’est brutalement déployée sous l’effet d’une violente rafale lorsque celui-ci est sorti de son véhicule. L’aile plastique de Zoé a plié et s’est déchirée sous l’effet du choc. Pas de mal mais l’arrêt se prolonge pour rédiger le constat et nous profitons fortuitement des 20 minutes d’arrêt supplémentaires pour recharger sur une de 4 bornes gratuites de la station.

On repart avec objectif d’un arrêt 300 km plus loin pour faire le plein et recharger. On y fera le plein mais la borne située au fond du parking dans un endroit sombre et non abrité est hors service… tant pis, on ira jusqu’à  la suivante dans 80 km mais là encore, sur la borne qui est opérationnelle, la prise AC (courant alternatif) qui nourrit Zoé ne fonctionne pas !

On poursuit donc jusqu’à Brème où on fera un plein et une recharge (43  kW ) pendant le repas au Mac Do…Il est tard, on décide de pousser jusqu’à Lübeck pour passer la nuit. Arrivée à 0h50. Ouf, repos bien mérité après presque 1000 kilomètres sur autoroute et sous la pluie.

J2 : Mardi 28 Février 2017 – 545 km  Lübeck -> Växjö – Kronoberg

 8 :00, la tempête est passée, le ciel est couvert mais il ne pleut pas. 3 °C ce matin. Le moral est bon, la journée s’annonce plus tranquille que la précédente et on décide de faire une petite inspection du tender à tout hasard. Surprise, on découvre une petite fuite de gaz sur le silencieux et un soupçon de fissure sur le flexible d’échappement ! Pas de problème, il y a dans le coffre une ligne d’échappement de rechange (c’était le point faible du tender lors de la dernière mission). Par sécurité, on décide de changer la ligne d’échappement mais après avoir démonté on s’aperçoit que la ligne de rechange ne se monte pas ! On sera quitte pour une réparation de fortune et le remontage du silencieux d’origine. 1h30 de perdue !! Et ce n’est pas tout ! Une manœuvre de « désattelage » révèle alors que la roue « jockey » ne se déploie pas (c’est la troisième roue qui permet au tender de se tenir debout  lorsqu’il est détaché  !). Après quelques tests, l’origine de la panne ne sera pas décelée. De guerre lasse on repart, cet incident n’empêchant pas le fonctionnement en roulant.

Le reste de la journée se déroule selon les plans. Nous rechargeons à Fehmarn (43kW) sur une borne gratuite pendant le petit déjeuner avant d’embarquer sur le ferry pour le Danemark à Puttgarden . Avec une longueur inférieure à 6 m, le véhicule reste soumis au tarif des véhicules particuliers ! Une heure de traversée sous un soleil timide avant de débarquer au Danemark que l’on traversera d’une traite jusqu’à Malmö en Suède. Finalement, Il y avait urgence à trouver une station service, car le réservoir est vide et il reste 12% de batterie ! Cette fois la chance était avec nous car nous sommes arrivés quelques minutes avant une Tesla dont le conducteur repartira dépité à la recherche d’une autre borne.

Après un déjeuner en restauration rapide, un plein et une charge gratuite qui nécessite de demander une carte à la station pour activer/désactiver la charge, nous repartons cap au Nord pour notre destination finale Vaxjö au centre de la Suède.

18 :30, c’est la bonne heure pour un arrêt diner à Vaxjö où on a trouvé sur le parking d’une résidence 8 bornes (22kW) libres et gratuites. On repartira chargé à 99% pour nous rendre dans un charmant hotel – ancienne résidence bourgeoise – au bord d’un lac à Ingelstadt (20 km).

J3 : Mercredi 1 Mars 2017 –   270 km  Kronoberg –Växjö -> Gotebörg

 Petite journée aujourd’hui. On doit se rendre à Vaxjö où une présentation du projet est prévue, puis nous rejoindrons Gotebörg dans l’après-midi. Je commence la journée au lever du jour par un petit footing réparateur au bord du lac… même si la Renault Zoé est confortable, les membres s’engourdissent et puis nos arrêts repas n’offrent pas de solutions très diététiques. Par chance, j’ai profité d’une accalmie météo car il neige à mon retour à l’hôtel et le reste de la journée sera froid et humide.

Au départ, toujours pas de solution pour la roue jockey ! Il faudra faire avec et adapter la démonstration en conséquence. Nous roulerons sur des routes nationales bien entretenues dans un paysage vallonné fait d’arbres et de lacs.

Nous avons pu charger à Vaxjö (7kW gratuit) puis sur la route pendant le déjeuner (43 kW payant) profitant de cet arrêt pour faire le plein habituel de 30 l d’essence qui nous permet de faire 350 km.

Arrivée à Göteborg en fin d’après-midi. Zoé dormira dans un parking du centre ville raccordée avec un câble domestique (heureusement emporté avec d’autres ) sur une borne gratuite 3kW.

J4 : Jeudi 2 Mars  2017 –  845 km  Gotebörg -> Osnabrück

Après une autre présentation du projet prévue dans la banlieue de Gotebörg , nous aborderons le chemin du retour sur les traces de l’aller avec une météo plus clémente et quelques éclaircies.  Sur le chemin du site de démonstration, nous cherchons une station de lavage pour rendre Zoé et sa remorque un peu plus présentables après le roulage sous la pluie et la neige, mais nous sommes alertés par des bruits suspects lors de manœuvres de marche arrière. La commande mécanique des roues secondaires marque des signes de faiblesse, il va falloir la ménager ! Fort heureusement cela tiendra pendant la présentation et même jusqu’à notre retour à Paris.

Nous ferons le trajet sans encombres jusqu’à Osnabrück en Allemagne avec là encore charge (payante) et plein pendant le déjeuner et traversée éclair du Danemark pour arriver pile à l’embarcadère de Rodbyhavn pour le départ du ferry. Diner à bord puis cap sur Osnabrück en Allemagne où nous arriverons à 1h00 du matin !

Une certaine routine s’est installée dans le déroulement du voyage. L’obsession de la charge pour réduire la consommation de carburant a disparue. Nous devons absolument être de retour à Paris vendredi après-midi. Charger devient une opportunité et non plus une contrainte.

Sur le pont entre Malmö à Copenhague

J5 : Vendredi 3 Mars 2017  :  700  km Osnabrück -> Saint-Germain en Laye

 Dernier jour enfin ! 8:00, nous partons tôt pour une trace directe avec deux arrêts. Le beau temps est revenu. Petit déjeuner à Tecklenburg en Rhénanie du nord avec charge et plein puis déjeuner à Ressons sur Matz en Picardie pour arriver à Saint-Germain en Laye vers 17 :00. La route est sèche, la circulation fluide et le tender donne de la voix lorsqu’il passe en mode « puissance maxi ». Non pas que ce bourdonnement soit gênant, ni même  plus présent que sur un véhicule thermique, mais on attendrait du tender qu’il soit discret en toutes circonstances.

Pendant le trajet nous tentons une petite expérience de « vidage » de la batterie en roulant à 130 km/h alors que la batterie est presque déchargée. En effet, au delà de 110 km/h, le tender n’est plus capable de maintenir l’état de charge de la batterie qui se décharge alors jusqu’à atteindre le niveau d’alerte. C’est bien ce qui va se passer puisque, arrivée à ce stade, Zoé se mettra en mode Eco en limitant la vitesse à 90 km/h. Du coup, le tender va très vite la recharger pour nous permettre de revenir à la vitesse de croisière de 110 km/h !

Au total, nous avons parcouru 3345 km dans des conditions de fin d’hiver avec 207 litres d’essence et douze recharges pour un total de 195 kWh. Soit une moyenne de 6,16 l/100km équivalent à ce que j’aurais consommé avec ma Renault Captur. Par ailleurs, la location du tender pour ce voyage aurait coûté 200 € à un client.

Que retenir de ce voyage si ce n’est une belle démonstration par l’absurde…

Le voyage était motivé par les démonstrations prévues en Suède qui nécessitaient de fait le déplacement en voiture, sinon il est probable que le choix se serait porté sur l’avion qui est plus rapide et plus confortable pour de telles distances.

Il reste que, c’est très convaincant pour ce qui concerne l’usage du tender. Si l’on oublie les petits incidents qui n’ont pas perturbé le voyage, le tender offre une réelle prestation « temporaire » d’autonomie illimitée – sauf les pleins de carburant tous les 300 km environ bien sûr.

Pour un déplacement d’une journée de type départ en vacances ou en week-end, le client d’ EP Tender n’aura plus à se préoccuper de recharger sa batterie sur le trajet, évacuant ainsi le stress de la batterie vide et l’incertitude sur la durée du trajet. Il est à ce sujet frappant de constater que sur les autoroutes que nous avons empruntées, peu de véhicules électriques s’aventurent « hors les murs » et nous n’en avons pas rencontré sauf à proximité de Copenhague .

Même avec une batterie de plus grande capacité (ZOE 40 kWh ou Tesla par exemple) le voyage que nous avons effectué resterait une aventure pour les véhicules électriques car il faudrait planifier un arrêt tous les 200 km avec un temps de charge d’une à deux heures avec le risque de trouver la borne occupée ou défaillante.

Il y a donc pour les clients de véhicules électriques, avec EP Tender,  une belle opportunité d’élargir leur territoire d’exploration en toute sérénité et à un coût raisonnable. Et si l’on se projette loin dans le futur en imaginant que la science va trouver les solutions de stockage d’énergie à haute densité et faible coût, est-il raisonnable d’équiper les voitures électriques de batteries capables d’une très grande autonomie alors qu’une « petite » batterie suffirait pour les trajets quotidiens ? Enfin, les puristes qui roulent en électrique par idéologie et qui seraient hostiles à faire quelques centaines de kilomètres par an avec un moteur thermique pourront attendre les futures versions de tender à hydrogène ou batteries haute capacité.